Comment "Avatar" a-t-il marqué la pop culture?

"Une expérience sensorielle et émotionnelle", "un vertige immersif", "une déflagration"... En 2009, Avatar a profondément marqué le public et changé l'histoire du cinéma en proposant une immersion jusqu'alors inédite dans un monde virtuel. Pourtant, au cours des années 2010, l'idée que le plus grand succès de l’histoire du cinéma n'a laissé aucune trace dans l’imaginaire collectif s'est peu à peu imposée.

Sans suite et sans produit dérivé, à part un spectacle du Cirque du Soleil, Avatar aurait "disparu dans la nature sans laisser de trace", avait écrit en 2014 dans Forbes le journaliste américain Scott Mendelson. Il a depuis reconnu que cette théorie n'était plus vraie "depuis au moins quatre ans". Les années d'attente pour la suite d'Avatar n'ont fait que renforcer son aura, alors que Hollywood basculait dans les franchises.

Les premières estimations des observateurs le confirment: Avatar - La Voie de l'eau devrait récolter lors de son premier week-end d'exploitation une somme estimée pour l’instant entre 140 et 170 millions dollars. Aux États-Unis, selon un sondage mené par le système de billetterie Fandango, ​​les 18-24 ans qui ont grandi avec le premier volet attendent avec impatience la suite.

"Un peu de snobisme"

Paradoxalement, les débats sur l'absence d'influence d'Avatar sont bien la preuve de la marquée qu'il a laissée. "Cette phrase a souvent été reprise en dépit d’éléments 'factuels' prouvant le contraire de cette croyance", se désole Robin Fender, un fan. "C'est très curieux parce que laisser une trace n'est pas forcément immédiat. Il faut laisser un peu de temps au temps", précise le twittos Nico13, un autre fan.

Ce cinéphile déplore "une relecture de l'histoire" et "un peu de snobisme" des détracteurs. C'est avant tout présomptueux: l'histoire du cinéma nous a appris qu'il ne fallait jamais douter de James Cameron. Ses films ont tous été de gigantesques défis dont il est toujours sorti victorieux. Et surtout, ce cinéaste visionnaire a réalisé deux des meilleures suites de l'histoire du divertissement américain: Aliens et Terminator 2.

Alors pourquoi ce malentendu persiste-t-il autour d'Avatar? "Il y a eu très peu de productions intellectuelles et d'essais", remarque le journaliste Lloyd Chéry, du podcast C'est plus que de la SF. "Le film n'a pas forcément été beaucoup débattu", regrette de son côté Renaud Besse, scénariste et rédacteur en chef du site spécialisé Cinématraque. Les amateurs d'Avatar sont aussi moins vindicatifs que les fans de Marvel et de DC, et sont même réputés pour leur cordialité.

Pas uniquement aimé par les geeks

Malgré ses allures de superproduction hollywoodienne, Avatar reste aussi un film insaisissable. Même pour ses fans, chez qui il n'a pas toujours laissé des souvenirs impérissables: "Il avait un peu quitté mon esprit, pour être honnête", reconnaît Nico13. Puis la ressortie leur a fait reprendre conscience de la force du film. "Je n'avais pas perçu la première fois toute la densité du récit", admet Robin Fender.

"C'est l'un de ces très rares films dont j'ai vraiment compris et mesuré l’impact et la qualité avec le temps", renchérit Renaud Besse. "Les personnages et la trame sont assez archétypaux pour qu’on ne les retiennent pas et pourtant des choses sont restées, comme les nattes qui se connectent. Ce n'est pas un hasard."

Transgénérationnel, Avatar a touché à la fois un public familial friand de films à grand spectacle et les amateurs de James Cameron. "Ce n'est pas un film qui est aimé uniquement par des geeks", précise Morgan Bizet, co-animateur du podcast Arrêt Caméra. "Il y a une dimension cinéphilique qu'il n'y a pas trop chez Marvel. Et les cinéphiles n'en ont rien à faire de la question de l'impact d'Avatar."

Avatar a surtout été tributaire d'une décennie où Hollywood a produit à outrance des suites, donnant l'illusion qu'il fallait occuper le terrain pour marquer les esprits: "Ces films qui reviennent sans cesse, comme les Marvel, donnent l'impression de laisser une trace dans la pop culture. Et comme il n'y a pas eu de suite pour Avatar, on a l'impression que le film n'a pas laissé d'héritage", note Morgan Bizet.

Un événement cinématographique, pas une franchise

Si Avatar a longtemps été sans héritier, c'est aussi parce que la Fox, qui a produit le film, "l'a envisagé comme un événement cinématographique et non pas comme une franchise qui allait se déverser dans la pop culture", précise Guillaume, un fan de la première heure. Lloyd Chéry avance une autre hypothèse: la difficulté, pour les superproductions non inspirées de licences préexistantes, de marquer le public.

"La dernière grande franchise de ce genre à avoir laissé le plus de traces dans le cinéma est Matrix", précise le journaliste. "Le problème d'Avatar, c'est que le film est finalement assez mal aimé des amateurs de SF. C'est une prouesse technologique majeure, mais on lui a souvent reproché d'être trop simpliste en termes de scénario. Et il lui manque aussi un héros et un méchant iconiques."

Et pourtant, "il y a un vrai attachement aux personnages et à l'histoire", insiste Guillaume. La ressortie d'Avatar en septembre l'a prouvé. "Il ne devait rester à l’écran qu'une semaine et il a rapporté plus de 70 millions de dollars. Les parents ont emmené leurs enfants. Des spectateurs ont cru que c'était la suite et restaient par plaisir. C'est ça, Avatar: le souvenir d’un film qu’on ne peut pas vraiment revivre à la maison."

Au-delà de la vague des films en 3D (Gravity) produits dans la foulée, Avatar a accéléré la modernisation des salles pour y accueillir la 3D et "changé la manière d’appréhender la mise en scène à l’ère des technologies numériques", rappelle le journaliste Julien Dupuy. "La bande-annonce du reboot de La Planète des Singes mettait en avant que l'équipe des effets spéciaux d'Avatar était de la partie."

Marvel et "Star Wars" sous l'influence d'"Avatar"

Avec Avatar, James Cameron a perfectionné un procédé, la performance capture, qui avait déjà fait des merveilles dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Un travail qui a ensuite bénéficié à Avengers: Infinity War pour Thanos. "Marvel doit beaucoup à Avatar", acquiesce Julien Dupuy. "Cette conscience qu'ils peuvent à ce point modifier un film en postproduction leur vient en large partie du modus operandi d'Avatar. C’est sûr et certain."

"Avatar, c'est une découverte d'un monde virtuel, que le film conscientise lui-même. Le personnage a un avatar pour faire l'expérience du monde. C'est une idée totalement reprise par Marvel par la suite, ou même par Star Wars", complète Morgan Bizet. "Beaucoup de gens ont refait ce film soit en s'inspirant visuellement soit en s'appuyant sur les mêmes procédés. Avec La Voie de l'eau, beaucoup vont s'en rendre compte."

La liste des œuvres sous influence est longue: After Earth, Pacific Rim, Valérian, Aquaman, L'Odyssée de Pi, Black Panther, Maléfique 2... Même le cinéma d'animation (Dragons 3, Vaiana, Les Schtroumpfs 2) et les séries (​Terra Nova, Dark Crystal: Age of Resistance) le citent, tout comme le cinéma français (Sur la piste du Marsupilami, Antigang), la mode (Thierry Mugler) et le jeu vidéo (Star Wars Fallen Order).

Tous ont tenté de proposer leur version de la forêt bioluminescente d'Avatar. Disney a même employé Robert Stromberg, le directeur artistique du film de James Cameron, pour ses remakes live action de ses classiques (Alice au pays des merveilles, Maléfique, Le Livre de la jungle). "Ça fait donc douze ans que les autres courent après lui, et personne ne l’a encore rattrapé", s'amuse Julien Dupuy.

"L'art de créer des mondes"

Hollywood a voulu proposer d'autres expériences aussi immersives qu'Avatar. Comme le dit le Guardian, "l'art de raconter des histoires est alors devenu l'art de créer des mondes". "Avatar est aussi le reflet de la capacité étourdissante de Cameron à créer des univers", s'enthousiasme Robin Fender. "Imaginer un monde, avec sa faune et sa flore, ses 'règles' de fonctionnement... tout cela a été très largement repris."

Mais les propositions qui ont suivi - John Carter, Prometheus, Jupiter Ascending - n'ont pas réussi à séduire le public. Et rares sont les films de SF à avoir proposé un univers aussi "chatoyant et jouissif", insiste Morgan Bizet. Denis Villeneuve et Christopher Nolan, qui se sont imposés comme les grands maîtres du genre après James Cameron, sont davantage connus pour leur esthétique froide et brutaliste.

La révolution technologique promise par Avatar en 2009 n'a pas vu le jour. "Ce qui est fascinant, c'est que le film brille par l'impact qu’il n'a pas eu", indique Renaud Besse. "Il montre ce qu'un véritable artiste est capable de faire avec ces nouvelles technologies. C'est d'autant plus flagrant quand on le compare aux productions Marvel, qui utilisent des technologies similaires, mais ne parviennent pas à atteindre le même niveau."

Avatar est enfin le dernier blockbuster de gauche de Hollywood. Film empreint d'animisme, de shintoïsme et d'écologie, il revisite l'histoire du génocide amérindien, qu'il mêle à celle de Che Guevara pour dénoncer l'impérialisme américain. "C’est l'un des derniers blockbusters avant l'ère Marvel à assumer un côté premier degré, sans blague venant désamorcer l’action", précise Renaud Besse.

"On verra ce qui se passera après ce film"

James Cameron est parfaitement conscient du statut de son film et des débats qui l'entourent. Pour l'heure, il botte en touche. "Vous construisez votre impact culturel au fil des années", a-t-il expliqué il y a quelques semaines au Hollywood Reporter. "Marvel s'est appuyé sur 26 films pour bâtir son univers, avec des personnages qui se croisent. On verra ce qui se passera après ce film."

La Voie de l’eau devrait pérenniser la place d'Avatar dans la culture populaire. Disney a pour cela adopté une stratégie offensive, axée sur un merchandising outrancier. Mais pour réussir à s'imposer complètement, la franchise de James Cameron devra répondre à quelques exigences, notamment scénaristiques. Car depuis 2009, les demandes du public envers les fictions ont beaucoup évolué.

"Maintenant, il y a quand même un avant et un après Game of Thrones en termes de narration", prévient Lloyd Chéry. "Si le scénario ne muscle pas un peu son jeu, ou si les enjeux ne deviennent pas un peu plus dramatiques, ça risque d’être compliqué. Le film marchera, mais la vraie question, c’est est-ce qu'Avatar va réussir à se propulser comme une franchise incontournable de science-fiction."

Article original publié sur BFMTV.com