"Australia Day" ou "Invasion Day" ? La fête nationale australienne de plus en plus contestée

Des manifestants dénonçant l'
Des manifestants dénonçant l'

Ce jeudi est célébrée la fête nationale australienne. Mais la journée a surtout vu le défilé de nombreux cortèges hostiles à cette date, considérée par ses détracteurs comme une insulte à la mémoire des Aborigènes victimes de la colonisation britannique.

Les Australiens ont célébré leur fête nationale ce jeudi. Enfin, "célébrer" est un bien grand mot au vu de la contestation grandissante dont cet "Australia Day" fait l'objet, comme l'a remarqué ici le Guardian. L'expression d'"Australia Day" elle-même n'est peut-être pas idoine: en effet, de nombreuses manifestations - réunissant des dizaines de milliers de marcheurs - ont plutôt saisi l'occasion pour fustiger l'"Invasion Day" ("Jour de l'Invasion"), le "Survival Day" ("Jour du début de la Survie") selon les banderoles et les discours.

Les détracteurs du 26-Janvier reprochent à la date de ne pas prendre en compte l'histoire des "indigènes" - catégorie regroupant les ethnies aborigènes et les habitants du détroit de Torres - voire d'être une injure jetée à la mémoire des autochtones. Ils militent pour le déplacement de la célébration à un autre créneau et pour une meilleure représentation politique des populations originaires.

De la "première flotte" aux "guerres de frontières"

Pour mieux cerner le problème, il faut en revenir à l'événement commémoré dans la circonstance. Il s'agit de se souvenir de l'arrivée en Australie de la "première flotte", le 26 janvier 1788, c'est-à-dire de l'accostage à Sydney Cove de onze bateaux anglais transportant un ensemble de passagers appelés à devenir les premiers habitants européens de l'île.

Ces expatriés n'ont d'ailleurs pas dû se réjouir de leur entrée dans la baie. La Grande-Bretagne (l'appelation de "Royaume-Uni" ne verra le jour qu'en 1801) ayant décidé d'aménager un point de chute carcéral dans ces nouvelles terres bien loin de Londres, ceux-ci étaient des prisonniers de droit commun accompagnés de leurs gardes. Au terme de leur odyssée, les voyageurs de la "première flotte" ont ainsi été enfermés dans une colonie pénitentiaire.

Ce débarquement européen a de surcroît initié un long cycle de guerres, les "guerres de la frontière", au cours duquel les colons ont rogné sur le territoire d'abord laissé à leurs prédécesseurs sur place, les repoussant toujours plus loin, jusqu'à imposer leur mainmise sur l'intégralité de l'Australie.

Un "mensonge"

Signe que ce 26-Janvier s'est toujours entouré d'une aura polémique, précise le Guardian, et a toujours peiné à susciter l'enthousiasme des foules, il n'est devenu férié qu'en 1994 après avoir été pourtant marqué au calendrier dès 1808. Trente ans plus tard, il trouve de moins en moins de défenseurs. Les autorités locales ont même renoncé à procéder à l'officialisation des naturalisations lors de cette journée.

Mais c'est bien parmi les Aborigènes que la critique est la plus véhémente. L'une d'entre elles, Lynda June-Coe, qui a pris la parole devant les manifestants rassemblés à Sydney, a déclaré, comme l'a chroniqué le quotidien britannique :

"235 ans après, on n'est toujours pas plus avancés. Ils ont essayé de nous effacer de la carte, on est toujours là. Ils ont essayé de faire de nous de l'histoire ancienne, on est toujours là. Ils ont essayé de commettre un génocide contre nous, on est toujours là".

L'universitaire Marcia Langton, elle-même d'origine aborigène, a confié à la même source:

"Il faut arrêter de se mentir. Et le plus grand des mensonges, évidemment, c'est l''Australia Day'. On doit bien être capable de trouver une date plus oecuménique et je pense qu'on peut commencer à dire la vérité sur l'histoire de l'Australie, et à manifester un peu de respect à l'égard de tous les survivants des guerres de la frontière".

Changer la date ? L'idée fait son chemin

Pour autant, aucune date alternative ne s'est imposée jusqu'à présent et, à ce stade, l'exécutif local n'envisage pas davantage d'en changer. Ce qui n'empêche pas l'idée de faire son chemin au sein de la population générale. D'après ce sondage annuel, 26% des Australiens se sont ainsi déclarés en faveur d'un nouveau créneau pour leur fête nationale en 2023, contre 20% en 2022, et 15% en 2019.

Si sa diffusion est rapide, cette opinion est donc encore minoritaire. L'explication tient en partie à la démographie, l'ensemble des autochtones ne représentant que 900.000 personnes sur 25 millions d'Australiens, selon ces chiffres exposés par Ouest France.

Trouver sa "Voix"

Le débat autour de la fête nationale n'est pas l'unique controverse relative au poids de l'histoire de l'Australie et au statut des peuples indigènes. La réflexion autour de la représentation de ces derniers travaille en profondeur la société et la classe politique australiennes. Comme l'a souligné Libération ici, le gouvernement australien a ainsi annoncé l'organisation d'un référendum en novembre prochain portant sur l'introduction au Parlement d'une "Voix indigène".

Le concept, détaillé ici par le site de la RTBF, est le suivant: il s'agirait d'un organe consultatif - c'est-à-dire que ses préconisations ne seraient pas contraignantes pour les élus et n'auraient donc pas force de lois - composé de 24 personnes, issues des différents peuples aborigènes et des habitants du détroit de Torres. Il leur reviendrait de conseiller ou de se prononcer sur les politiques touchant aux autochtones.

"Nous voulons un vrai pouvoir"

La proposition ne fait guère plus consensus que le 26-Janvier. De nombreux acteurs ou observateurs la jugent insuffisante eu égard aux torts subis et à la détresse sociale qu'éprouvent encore les Aborigènes. Lidia Thorpe, sénatrice écologiste et elle-même aborigène, a expédié auprès du Guardian:

"Est-ce qu'on veut devenir des conseillers maintenant? On mérite mieux. (...) Notre constitution vient du sol et du sang des nôtres. On veut la paix. On mérite mieux qu'un corps consultatif".

"Nous voulons un vrai pouvoir, et on ne se satisfera de rien de moins", a-t-elle ajouté.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - COP sur la protection de la biodiversité : le combat des peuples indigènes contre la déforestation