Aude : un village se cloître dans le silence après le passage à tabac de deux jeunes Noirs

Deux jeunes hommes noirs ont été tabassés par la foule dans un village de l'Aude - Getty Images/iStockphoto

Le 24 juillet 2022, un jeune homme d’origine guadeloupéenne et un d’origine mahoraise ont été passés à tabac par une foule. Ils étaient accusés d’avoir piqué des fêtards sauf que la gendarmerie n’a trouvé ni seringues ni traces de piqûres. Depuis, l’omerta règne.

Comme chaque année dans la plupart des régions rurales de France, l’été du département de l’Aude a été rythmé par les fêtes de villages. Mais comme le rapporte le site d’investigation Mediapart dans une longue enquête, celle de Verzeille a tourné au tabassage de deux jeunes hommes noirs, un d’origine guadeloupéenne et l'autre d’origine mahoraise, respectivement appelés Hans et Karim. Le prénom de ce dernier a été modifié par nos confrères. Accusés par les villageois d’avoir piqué des fêtards, les deux victimes ont été poursuivies, gazées, tabassées et couvertes d’insultes racistes par une quinzaine de personnes dont le second adjoint au maire du village.

Cette histoire commence lorsque Hans et ses amis arrivent à la fête du village, qui en est à son troisième jour. Ils ont passé le début de la soirée au bord d’une rivière et ont maintenant envie de boire quelques verres au son du DJ set. Mais très vite, Hans et Karim sentent qu’on les regarde. Quelques minutes plus tard, un groupe s’approche d’eux et les accuse d’avoir piqué les danseurs qui se sont effondrés au milieu de la piste un peu plus tôt. La France est en pleine psychose des piqûres sauvages et les habitants de Verzeille ne font pas exception à la règle. À la demande d’un vigile, les garçons montrent le contenu de leurs sacs et de leurs poches quand quelqu’un intervient. C’est Nelson, chef de cuisine de 43 ans. "Je les avais tout de suite vus dès qu’ils sont arrivés car je m’étais fait la réflexion que certains de leur bande étaient noirs, comme moi. Je souriais en me disant qu’on était bien seuls dans toute cette fête", explique-t-il à Mediapart. "Il est venu dire au vigile qu’on ne pouvait pas avoir piqué des gens puisque le malaise des deux personnes avait eu lieu avant qu’on arrive à la fête", ajoute Hans.

Une "ratonnade" ultra violente

Les choses ne s’arrêtent pas là. Alors que Hans et Karim s’éloignent pour prendre des cigarettes et uriner, ils entendent du bruit. "C’est les Noirs, c’est les Noirs", hurle quelqu’un avant qu’une quinzaine de personnes ne se ruent sur eux. Ils tentent tous les deux de s’échapper mais ils sont rattrapés et violemment tabassés. D’après des images filmées par un habitant présent sur place, Hans reçoit au moins une vingtaine de coups de poings et de pieds au visage. Parmi ses agresseurs figurent de nombreux notables du village dont le second adjoint au maire Ludovic Bérail, qui reconnaîtra les faits plus tard. Les deux jeunes hommes ne doivent leur salut qu’à l’intervention de Nelson et de ses amis. Malgré le gaz lacrymogène qu’il reçoit, l’ancien videur de boîte de nuit parvient à faire comprendre à la foule que les choses doivent s’arrêter là. "Sans nous, ces deux jeunes seraient tout simplement morts", affirme-t-il.

Après avoir renoncé à se faire soigner aux urgences le soir-même, Hans fait constater ses blessures le lendemain de l’agression. On lui marque six jours puis seize jours d’ITT et un mois complet d’arrêt de travail. Karim, qui refuse de porter plainte, est aujourd’hui hospitalisé et incapable de parler à cause d’un accident de voiture survenu peu de temps après les faits. Suite à la plainte de Hans, le parquet ouvre une enquête mais celle-ci ne donne pas les résultats espérés par le jeune homme. D’abord, le village fait bloc. Le maire soutient son adjoint, il n’a d'ailleurs même pas pris la peine de contacter et de recevoir les victimes. Quant aux habitants, la plupart d’entre eux reprochent la médiatisation de l’affaire aux victimes. Quand ils ne soutiennent pas les agresseurs, ils se taisent pour ne pas nuire à l’image de leur village. D’ailleurs, ils ne reconnaissent pas la composante raciste que les victimes et leurs familles attribuent à cette sauvage agression. Selon eux, les habitants ont simplement protégé leurs jeunes d’autres agressions à la seringue en neutralisant ce groupe.

Le parquet ne retient pas le racisme

"Il m’a dit que peu de temps avant, une personne noire d’origine maghrébine, plutôt jeune, lui avait posé la main sur l’épaule avant de lui lancer : 'Ce n’est que le début.'" "Ceux qui sont allés le voir ont retrouvé des seringues dans ses poches, c’est forcément lui !", raconte le père d’un des jeunes supposément piqués par Hans et sa bande au journal L’Indépendant. Seul problème, les gendarmes n’ont trouvé aucune seringue, nulle part. Ni même la moindre trace de piqûre à la seringue sur l’un des fêtards. Selon le rapport d’enquête cité par le même média, tout laisse penser à des comas éthyliques. Des éléments factuels qui n'empêchent pas les habitants de défendre leur version, celle où il n’y a aucun racisme. "Ces personnes auraient été jaunes ou vertes, tout aurait été pareil", promet Céline, la secrétaire municipale dont les propos sont rapportés par nos confrères. Elle poursuit pour prouver ses dires : "Les gens qui les ont frappés m’ont dit plus tard qu’ils n’étaient pas racistes."

Hans et sa mère, Josie, une ancienne chiraquienne membre du RPR, pensent l’inverse. "Si, pour eux, la bande avec laquelle je faisais la fête piquait des gens, pourquoi avoir oublié d’accuser et de frapper mes amis blancs ?", interroge le jeune homme avec un bon sens qui semble avoir échappé aux enquêteurs et au parquet. Toujours selon Mediapart, les premiers n’ont pas fait analyser les téléphones des victimes alors que des témoins ont rapporté qu’il existait une conversation Whatsapp où des habitants se vantaient "d’avoir fait courir des Noirs et des bougnoules". Pire encore, Kevin - le cousin de Hans qui a récupéré la vidéo de l’agression grâce au fait que personne ne savait qu’ils faisaient partie du même groupe d’amis que les victimes - n’a été ni convoqué ni auditionné. Et ce bien qu’il a lui-même amené la vidéo aux gendarmes. Enfin, plusieurs témoignages rapportent que certains des agresseurs riaient de ce qu'ils appelaient une "ratonnade". Quoi qu’il en soit, le parquet de Carcassonne n’a pas retenu le racisme. Les victimes comptent toutefois mettre la question sur la table lors du procès le 2 juin prochain. L’association antiraciste La Maison des Potes s’est constituée partie civile pour les aider dans cette tâche.

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