Au Royaume-Uni, les « vrais » héros du scandale du Post Office entendus par une commission parlementaire
ROYAUME-UNI - En 1998, Alan Bates était un simple responsable de bureau de poste dans la petite ville de Llandudno, au pays de Galles. Aujourd’hui, son nom est associé au combat de centaines de postiers britanniques accusés à tort dans l’une des plus grandes erreurs judiciaires de l’histoire du Royaume-Uni. Un scandale dont l’adaptation en une série télé nommée M. Bates vs The Post Office, diffusée début janvier par la chaîne ITV (et dont vous pouvez voir la bande-annonce ci-dessous), a provoqué une vague de colère outre-Manche, et eu des répercussions politiques jusqu’au Parlement britannique.
Une commission parlementaire, dans laquelle Alan Bates était appelé à témoigner, s’est en effet réunie ce mardi 16 janvier pour tenter d’apporter de nouvelles réponses dans cette affaire, qui connaît soudainement un regain d’intérêt.
« Ils m’ont convaincue que c’était de ma faute »
Entre 1999 et 2015, près d’un millier de responsables d’agences du Post Office sont accusés de vol par l’entreprise publique. À chaque fois, cette dernière pointe des manques à gagner dans les comptes des succursales, des déficits mis au jour par son logiciel de comptabilité baptisé Horizon. 700 responsables d’agence sont poursuivis pour vol. Certains sont emprisonnés. D’autres se ruinent pour rembourser. Quatre se suicident.
Pendant des années, le Post Office ignore les contestations des salariés accusés et rejette toute erreur du logiciel. L’entreprise fait même appel à des experts-comptables ; lorsqu’ils soupçonnent une défaillance d’Horizon, la poste met fin à leur mission.
Il faudra attendre 2019 pour que l’erreur soit reconnue : un groupe de postiers, mené par Alan Bates, gagne un procès devant la Haute cour de justice, qui reconnaît leur innocence et la responsabilité d’Horizon.
« Ils m’ont convaincue que c’était de ma faute, je n’y connaissais rien en technologie », a raconté ce mardi au Parlement Joan Hamilton, 66 ans, une ancienne responsable de bureau dans le comté du Hampshire.
"I felt helpless".
Labour's @IanLaveryMP asks Jo Hamilton about the impact of the prospect of being sent to prison had on her.
She explains the Post Office kept her wages in order to work off the debts the Horizon system falsely flagged. https://t.co/PAiZ4D1jU3
📺 Sky 501 pic.twitter.com/SCg0YkQNs4— Sky News (@SkyNews) January 16, 2024
« Ils m’ont littéralement manipulée pendant trois ans et m’ont fait couler économiquement », a-t-elle témoigné, expliquant avoir dû hypothéquer sa maison à deux reprises pour rembourser les 36 000 livres (environ 41 900 euros actuellement) qu’on l’accusait d’avoir volés. Préférant plaider coupable plutôt que d’être envoyée en prison, elle avait été condamnée pour falsification de comptabilité en 2008, avant que la décision soit annulée en 2021 grâce à l’action en justice commune menée par les postiers.
Alan Bates perd lui aussi son contrat avec la poste en 2003. Il se penche alors sur le logiciel Horizon, installé par Fujitsu, et remarque que plusieurs transactions ont été dupliquées sans raison dans ses comptes. Il lance un site internet qui lui permet de recueillir le témoignage d’autres responsables de bureau ayant remarqué le même problème : c’est le début de l’action de groupe qui mènera ces 555 postiers devant la justice.
L’homme de 68 ans, incarné à l’écran par l’acteur Toby Jones (vu notamment dans Harry Potter et la chambre des secrets), se bat désormais pour que toutes les victimes de cette injustice reçoivent les compensations promises. Car seules 93 condamnations ont été jusqu’ici annulées et 21 millions de livres sterling (24 millions d’euros) versés aux employés concernés.
« Aucune raison ne peut expliquer pourquoi toutes les compensations financières n’ont pas été faites, a-t-il regretté au Parlement, témoignant ce mardi en visioconférence. Cela a trop duré, les gens souffrent, ils meurent. » Critiquant les lenteurs de « la bureaucratie », Alan Bates a notamment cité le cas d’une postière accusée à tort, aujourd’hui âgée de 91 ans. « Combien d’années devra-t-elle attendre ? Doit-elle attendre un télégramme du roi ? », a-t-il demandé.
A pivotal campaigner in seeking justice for those wrongly accused in the Post Office scandal tells the committee he is "frustrated" by the amount of bureaucracy involved in receiving compensationhttps://t.co/YYd9EOc4CO pic.twitter.com/jJ9e2aWkXH
— Sky News (@SkyNews) January 16, 2024
En réponse, une loi rarissime annoncée par le gouvernement
La diffusion de la mini-série début janvier a généré une vague de sympathie pour les victimes de ce scandale, pourtant régulièrement suivi par la presse britannique. Face à cette émotion, le gouvernement de Rishi Sunak a promis la semaine dernière qu’une loi serait « rapidement » introduite pour innocenter et indemniser toutes les victimes. Une mesure (rarissime) permettant d’annuler massivement les condamnations et d’éviter de longues procédures judiciaires individuelles.
"People... had their lives and reputations destroyed through absolutely no fault of their own"
Rishi Sunak announces those convicted as a result of the Post Office scandal will be "swiftly exonerated" plus introduction of new payment of £75,000
#PMQs https://t.co/mNe5nopHp5 pic.twitter.com/8W0LXryRtW— BBC Politics (@BBCPolitics) January 10, 2024
Entendu ce mardi par le Parlement, le groupe informatique japonais Fujitsu a, lui, présenté ses excuses aux victimes, reconnaissant son « obligation morale » à participer aux indemnisations. « Nous avons été impliqués dès le début. Le système comportait des erreurs. Et nous avons aidé le Post Office dans ses poursuites contre les postiers. Nous en sommes sincèrement désolés », a déclaré Paul Patterson, le directeur de l’entreprise pour l’Europe, qui y travaille depuis 2010.
Autre conséquence de cette prise de conscience collective sur l’ampleur de ce scandale : Paula Vennells, qui a dirigé le Post Office entre 2012 et 2019, a rendu le 9 janvier sa décoration de Commandant de l’Ordre de l’Empire britannique, l’équivalent de notre Légion d’honneur, qui lui avait été attribué par Elizabeth II en 2018.
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