Au Royaume-Uni, comment le Brexit aggrave la crise économique et sociale

A demonstrator holds a sign reading 'Enough is Enough' as they take part in a rally organised by the Communication Workers Union (CWU), in support of Royal Mail postal workers who are on strike, in Parliament Square in central London on December 9, 2022. - The Communication Workers Union said postal workers had voted overwhelmingly for more strikes this year and next, affecting deliveries in the run-up to Christmas and opening hours at post offices. Formerly state-owned Royal Mail recently announced it would axe up to 10,000 jobs, blaming the move partly on staff strikes that contributed to a first-half loss. (Photo by Daniel LEAL / AFP)

INTERNATIONAL - Après les cheminots, les enseignants, les douaniers et les ambulanciers, les infirmiers s’apprêtent à entrer, ce merdredi 18 janvier, dans la danse de la protestation. Au Royaume-Uni, le mouvement de grève pour de meilleurs salaires qui a débuté il y a plusieurs mois s’étend désormais à presque tous les secteurs d’activité, menaçant de paralyser le pays.

Il faut dire que deux ans après la mise en œuvre du Brexit, l’embellie économique promise loin des carcans de l’Union européenne n’est pas au rendez-vous. L’inflation atteint 11 % en un an, le PIB a reculé de 0,3 % au troisième trimestre 2022 et selon la Banque d’Angleterre, le Royaume-Uni est entré dans une période de récession qui devrait se poursuivre en 2023. C’est également le seul pays du G7 à n’avoir pas encore retrouvé son PIB d’avant la pandémie.

« Évidemment, le Brexit a un impact dans la crise actuelle, affirme Aurélien Antoine, directeur de l’Observatoire du Brexit et professeur de droit à l’Université de Saint-Étienne. Lorsqu’on sort de 50 ans de relations très fortes, intégrées, d’une organisation supranationale comme l’UE, ce n’est pas facile. Alors que les relations étaient étroites et constantes, comment voulez-vous que ce soit simple ? »

Surcoût et perte de temps

À titre d’exemple, « le Brexit a réduit le commerce extérieur britannique de 10 à 15 % par rapport à un scénario sans Brexit », a rapporté à l’AFP Jonathan Portes, économiste au King’s College de Londres. « Il y a des formalités administratives et des contrôles supplémentaires, de nouvelles règles, des frais de douane..., détaille Aurélien Antoine. Tout cela entraîne un surcoût et de la perte de temps dans tous les domaines économiques. »

Catherine Mathieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, refuse de désigner le Brexit comme responsable de tous les maux. « Quand on regarde dans les autres pays européens, la hausse des prix au Royaume-Uni est comparable à celle observée en Allemagne, nuance-t-elle. En Europe de l’Est, l’inflation atteint même les 20 %. Ce n’est pas dû au Brexit, mais à la hausse des prix de l’énergie. Seuls les pays ayant mis en place des boucliers tarifaires, comme la France, sont épargnés. »

Les deux spécialistes s’accordent toutefois pour dire que le Brexit a une responsabilité dans la pénurie de main-d’œuvre, l’immigration étant rendue plus difficile pour les Européens. En 2021, ce manque de travailleurs dans les transports - conjugué à la crise du Covid-19 - avait par exemple provoqué des problèmes d’approvisionnement dans les supermarchés et stations-service.

Le NHS au bord de la crise de nerfs

Aujourd’hui, c’est le secteur de la santé qui souffre. Si des tensions existaient déjà avant le Brexit, la situation s’est aggravée. Selon l’étude du think tank Nuffield Trust health relayée par le Guardian, 37 000 médecins travaillent dans le pays. Ils auraient dû être 41 000 sans le Brexit, soit un manque de 4 000 spécialistes : anesthésistes, psychiatres, pédiatres...

« Est-ce que le Brexit est à l’origine de tous les problèmes du Royaume-Uni en ce moment, bien sûr que non », concède néanmoins Aurélien Antoine, auteur de Le Brexit. Une histoire anglaise. Il fait référence à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, à l’origine de la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, même s’il reconnaît qu’il « est difficile de dire quelle est la part de responsabilité de la guerre, du Covid et du Brexit dans la crise actuelle ».

Catherine Mathieu souligne aussi l’impact des politiques des conservateurs au pouvoir depuis 2010 : « Ils ont mis en avant leur objectif de réduction du déficit public, qui passe non pas par des hausses d’impôts mais par la baisse des dépenses. Cela fait dix ans que le système de santé public subit l’austérité du gouvernement. »

65 % des Britanniques veulent revenir dans l’UE

« À cela s’ajoute la pandémie, pendant laquelle les soignants ont été très sollicités et ont vu leurs conditions de travail se dégrader. Logiquement aujourd’hui, face à la forte inflation, ils réclament une hausse des salaires plus conséquente que les 5 % promis début 2022 », poursuit l’économiste.

« C’est la même chose dans les transports : on oblige les conducteurs de camion à accepter des conditions de travail plus difficiles sans compensations salariales », pointe-t-elle. C’est ce qui explique le durcissement des négociations et la forte mobilisation de ces deux secteurs dans les grèves historiques actuelles, selon elle.

C’est dans ce contexte tendu que début janvier, un sondage publié par le journal The Independent a révélé que 2/3 (65 %) des Britanniques soutenaient l’idée d’un nouveau référendum pour retourner dans l’UE. Ils étaient 55 % un an plus tôt. « Sous mon autorité, le Royaume-Uni ne cherchera aucune relation avec l’Europe qui repose sur l’alignement sur les lois de l’UE », avait évacué le Premier ministre Rishi Sunak dès novembre 2022.

Les Britanniques doivent donc attendre que le Brexit montre ses effets positifs. « L’erreur des pro-Brexit pendant la campagne, c’était de dire que ça allait être génial tout de suite », souligne Aurélien Antoine. « Il a logiquement des effets négatifs et pour l’avenir, c’est très difficile à dire. Il a fallu des années pour que le Royaume-Uni se sente bien au sein de l’UE. Il faudra des années pour que le Royaume-Uni s’adapte à vivre en dehors. »

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