Au Niger, la Cedeao envisage une intervention militaire mais c’est loin d’être un succès garanti

Des soldats nigériens lors d’une manifestation pro putschistes à Niamey le 11 août près d’une base militaire française.
Des soldats nigériens lors d’une manifestation pro putschistes à Niamey le 11 août près d’une base militaire française.

NIGER - Près de trois semaines après le coup d’État, la situation reste très incertaine au Niger. D’un côté, les putschistes, à la tête d’un tout nouveau gouvernement, qui ont indiqué être ouverts à la négociation avant d’annoncer vouloir poursuivre le président renversé Mohamed Bazoum pour « haute trahison ». De l’autre, la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), qui dit également privilégier la voie du dialogue tout en donnant son feu vert pour une intervention armée.

L’organisation a en effet activé le 10 août sa « force en attente », avec le soutien de la communauté internationale. Jusqu’ici, aucun calendrier ni modalité d’intervention n’ont été dévoilés. Et face aux voix discordantes au sein même de l’organisation, certains experts mettent en doute la faisabilité d’une telle intervention.

• Pas de mobilisation après les coups d’État récents

La « force en attente » de la Cedeao est déployée dans le cadre de missions liées au maintien de la paix. Elle a par exemple été déployée au Liberia en guerre civile en 1990, en Sierra Leone en 1997, également en guerre civile depuis 1991, en Gambie en 2017 lorsque le président sortant refuse de quitter le pouvoir après sa défaite à la présidentielle, et à plusieurs reprises en Guinée-Bissau.

Mais la Cedeao « ne s’est jamais entendue sur le type de missions spécifiques que doivent faire ces forces-là », explique Marc-André Boisvert, chercheur et consultant sur le Sahel affilié au Centre FrancoPaix à Montréal, interrogé par l’AFP.

« Fondamentalement, la force africaine en attente n’a pas été pensée pour rétablir l’ordre constitutionnel dans un pays où il y a eu un putsch (...) les États africains sont très jaloux en général de leur souveraineté et notamment dans les affaires de sécurité et de défense », estime de son côté Elie Tenenbaum, de l’Institut français des Relations Internationales (IFRI), toujours auprès de l’AFP.

Comme le rappelle Le Monde, la Cedeao n’a d’ailleurs déployé sa force « lors d’aucun des récents coups d’État, ni en Guinée et au Mali en 2021, ni au Burkina Faso en 2022 ».

• Des désaccords entre les pays ouest-africains

Le déploiement de cet engagement militaire « dépend de la volonté des contributeurs », ce qui « nécessite beaucoup de négociations entre les pays », note Marc-André Boisvert. Or il note « énormément de méfiance entre les pays » de la Cedeao.

Plus largement, de nombreux pays ouest-africains ont fait part de leurs réserves. Si le Bénin ou la Côte d’Ivoire se disent prêts à envoyer des troupes, le Mali et le Burkina Faso estiment qu’une telle intervention serait « une déclaration de guerre » faite au Niger. L’Algérie voisine a également estimé qu’une action militaire serait « une menace directe » pour sa propre sécurité.

Des critiques internes se font également entendre. Au Nigeria, parlementaires et responsables politiques, jusqu’au Sénat, demandent au président de reconsidérer sa position favorable à une intervention. Au Sénégal, plusieurs tribunes s’opposent à une action militaire, à laquelle le chef de l’État est lui aussi favorable. L’un de ces textes a été signé par plus de 170 personnalités politiques et issues de la société civile, rappelle RFI.

Une réunion des chefs d’état-major de la Cedeao devait se tenir samedi à Accra, au Ghana, pour discuter « des meilleures options » après l’activation de la « force en attente ». Mais le rendez-vous a été repoussé sine die pour « des raisons techniques », selon des sources militaires régionales. Une nouvelle réunion, cette fois du Conseil de paix et sécurité, en charge des conflits au sein de l’Union africaine (UA), se tenait ce lundi à Addis-Abeba en Éthiopie.

• Le Niger en position de force sur le plan militaire

D’après le général sénégalais Mansour Seck, cité par l’AFP, « une opération pareille doit mobiliser 3 000 à 4 000 soldats ». Or, « il est difficile de dégager des effectifs dans ces armées qui sont fragiles et manquent de moyens », estime Elie Tenenbaum.

Au Mali et au Burkina Faso, l’armée est déjà aux prises avec des groupes jihadistes. Un économiste cité par Jeune Afrique note aussi « les difficultés » rencontrées par le Nigeria pour « maintenir la stabilité sur son propre territoire ». Le pays, dont le président est à la tête de la Cedeao, est la troisième armée d’Afrique selon Les Échos.

Jusqu’à maintenant, seule la Côte d’Ivoire, dont le président estimait le 10 août que l’intervention devait avoir lieu « dans les plus brefs délais », a indiqué précisément le nombre d’hommes qu’elle pourrait mobiliser : un millier. En face, l’armée nigérienne serait forte d’environ 30 000 hommes, dont 11 000 déployés sur le théâtre d’opérations, selon les estimations du président Bazoum en 2022 rapportées par l’AFP.

• Quelle réponse de l’armée nigérienne ?

D’après Amadou Bounty Diallo, analyste et ancien militaire nigérien contacté par l’AFP, les chefs d’état-major de la Cedeao « veulent prendre l’aéroport de Niamey », notamment pour y déployer des troupes aéroportées.

Mais pour le général Seck, « la piste d’atterrissage est facile à occuper par les putschistes, il suffit qu’ils y mettent des milliers de jeunes », sur lesquels les pilotes ne pourront pas tirer. « Ce ne sera pas une opération militaire simple (…) L’enlisement est l’un des risques encourus, cela dépend aussi de la détermination des gens sur place » analyse-t-il auprès de l’AFP.

Une opération aérienne sur le palais présidentiel où est retenu le président renversé – dont les conditions de détention inquiètent jusqu’à l’Onu – serait aussi une option, selon Amadou Bounty Diallo. Mais le Niger possède « une défense antiaérienne moderne qui est capable d’abattre leurs aéronefs », note-t-il.

La Cedeao pourra-t-elle compter sur le soutien de certains militaires nigériens ? D’après un conseiller du président déchu, la garde présidentielle, forte de 700 hommes, s’est associée au coup d’État « pour éviter un bain de sang ». « Une fois que ça va se concrétiser, vous verrez beaucoup d’unités se désolidariser », veut-il croire. Une source sécuritaire nigérienne affirme au contraire à l’AFP que « les soldats nigériens ne fuiront pas, c’est mal connaître leur mentalité : l’intervention va les souder ».

Les putschistes bénéficient par ailleurs d’un fort soutien de partisans manifestant régulièrement dans la capitale, et se disant prêts à venir au secours de l’armée.

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