« Au concert de Taylor Swift, j’ai été séparée de mes proches car je suis handicapée » - Témoignage

« Si 1% des sièges étaient réservés aux PMR, nous aurions la place pour eux et un accompagnateur chacun. Nos voisins Européens y arrivent, pourquoi pas nous ? »
DIMITAR DILKOFF / AFP « Si 1% des sièges étaient réservés aux PMR, nous aurions la place pour eux et un accompagnateur chacun. Nos voisins Européens y arrivent, pourquoi pas nous ? »

TÉMOIGNAGE - Je suis en situation de handicap et, je l’avoue, fan de musique pop. Forcément quand Taylor Swift a annoncé qu’elle venait en France, je me suis précipitée pour avoir des tickets. Après un parcours du combattant, j’ai réussi à dénicher quatre billets en fosse or – il ne restait que ça. J’ai cassé ma tirelire, pour fêter dignement mon anniversaire, et j’ai invité mon conjoint et deux amis proches. Tickets, logement et train, le week-end m’a coûté 1 500 €. J’ai un peu culpabilisé mais… On ne vit qu’une fois !

« J’ai pris le train en tant que personne à mobilité réduite, et on m’a traitée comme un carton abandonné »

Durant la vente des tickets, je n’ai trouvé aucune information concernant les personnes à mobilité réduite. Je ne suis pas en fauteuil roulant, mais ma station debout est difficile et j’ai besoin d’une place assise accessible. Je me suis renseignée plus tard et j’ai été soulagée : mes places étaient en fosse, mais le site de La Défense Arena indique qu’ils font tout pour re-placer les personnes à mobilité réduite (PMR) et leurs accompagnants sur des places assises. Parfait. Peu de temps avant l’événement, je reçois un email de confirmation : même son de cloche.

Dès l’arrivée, les choses se corsent

La déception commence à s’installer quand nous arrivons sur place. La file d’attente PMR n’est pas indiquée correctement et n’est pas une file à proprement parler, plutôt un espace contre des barrières. On est en plein soleil, il n’y a aucun siège. Pratique, pour des personnes dont la plupart ont une station debout pénible. Quelques-uns tombent.

On discute avec nos voisins de galère, un couple d’Anglais qui nous disent avoir été choqués de devoir acheter des places en gradins classiques, payant le prix fort car il n’existe pas de places PMR en France. On leur explique que, soit on achète des places assises, soit on est en fosse puis replacées le jour J, de manière aléatoire. Forcément, ils ne trouvent pas ça normal. Il faut dire que chez nos voisins, les PMR sont très bien placés, tout est organisé à l’avance et l’accompagnateur rentre même parfois gratuitement.

Après un peu d’attente, la Défense Arena ouvre ses portes et l’espace n’est pas très praticable. Les files homme et femme pour la fouille ne sont pas indiquées, et obligent les personnes en fauteuil à faire demi-tour dans un espace très étroit. Dernière étape et pas des moindres : les portes PMR ouvrent en même temps que celles de la fosse, et les files se croisent forcément. Une armée de Swifties prêts à tout pour avoir la meilleure place nous coupe la route. On aurait aimé pouvoir se placer avant que la fosse n’ouvre pour éviter le carambolage.

« Vous avez un certificat qui indique votre maladie ? »

Puis une annonce : « Pas d’accompagnateurs, sauf pour les personnes en fauteuil roulant ». La file PMR s’émeut et indique que normalement, il y a toujours un accompagnant. « Pas ce soir », nous répond-on. Pourquoi les fauteuils roulants et pas les autres ? On nous rétorque qu’ils ont besoin d’aide pour évacuer. Une personne malvoyante ou en situation de handicap mentale peut donc évacuer toute seule ? Comme si l’autonomie dépendait d’un objet, et non du handicap.

Mes amis et moi commençons à comprendre qu’on sera séparés pour ce soir. Angoissée, j’entends même, dans un talkie « On accepte que les fauteuils roulants, les autres PMR vont en fosse ». Ne savent-ils pas que 80 % des handicaps sont invisibles ?

Je me rassure tant bien que mal. Je ne peux pas tenir debout longtemps sans risquer le malaise, je vais avoir un siège. Je ne vais quand même pas être seule, on va me laisser être accompagnée par un de mes proches. J’interpelle quelqu’un du staff et lui demande des informations. « Vous avez un certificat de votre médecin qui indique la maladie dont vous souffrez ? » Évidemment que non, puisque ce n’était pas précisé sur le site de la Défense Arena et qu’en plus, il s’agit d’un secret médical. Je tends ma carte MDPH, en lui montrant la mention priorité, indiquant bien une station debout pénible. « Bon… Exceptionnellement, je peux vous donner un siège en gradin mais pas d’accompagnateur. » Douche froide.

La soirée de rêve, mais seule. Je suis en larmes, mes amis vont vers la fosse et je monte en gradins. Là, je rencontre d’autres personnes de la file PMR, certaines sont accompagnées, d’autres pas.

L’inaccessibilité des lieux de concert

Contrairement à d’autres pays Européens, quand on est PMR en France, on n’a pas de gradin réservé, on est placé par-ci par-là. Heureusement j’ai une bonne visibilité, mais les personnes devant moi ne savent évidemment pas que je ne peux pas tenir debout. Donc elles dansent et profitent, comme toute personne le ferait. Et moi, je me retrouve à voir le concert, entre deux épaules, parfois debout quand je n’ai pas trop de douleurs.

Taylor Swift est une grande artiste qui nous offre trois heures de show. Trois heures que j’ai aussi passées à ruminer. Après la soirée, au lieu de dormir, je ressasse et finis par regarder la législation en termes d’accueil des personnes handicapées.

Eh bien, il n’y en a pas. On parle des bâtiments, de l’infrastructure mais jamais de l’accueil. On parle de sécurité, d’évacuation, mais personne ne s’interroge jamais sur nos besoins, notre bien-être. Est-ce que, quand on va en concert, être accompagné est vital ? Non, mais être isolé n’est pas agréable non plus. Si 1 % des sièges étaient réservés aux PMR, nous n’aurions pas un tel problème. Nos voisins Européens y arrivent, pourquoi pas nous ?

Pourquoi est-ce que, parce que je suis handicapée, je devrais accepter d’être séparée de mes amis ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de passer un bon moment ? Pourquoi est-ce que nos besoins ne sont jamais pris en compte ? Et si vous aviez un handicap, que préféreriez-vous, être seul ou être obligé d’acheter des places assises trois fois plus cher ? Pour moi, c’est une forme de validisme et c’est injuste. Et si je témoigne, c’est surtout pour que cela ne se reproduise plus.


Interrogé par Le Parisien au sujet de l’expérience de Ludivine, Alexandre Beaumont, directeur sécurité et bâtiment de Paris La Défense Arena a répondu :

« Nous nous excusons auprès de cette dame car nous avons une vraie attention sur l’accueil de tous nos clients, qu’ils soient grand public, PMR ou VIP. Il est possible qu’elle ait subi ces désagréments mais nous sommes surpris car ce n’est pas notre politique. Nous avons à cœur de répondre au maximum aux attentes de tout le monde pour que l’expérience soit mémorable. » Il précise par ailleurs que la billetterie de Paris La Défense propose une plateforme pour les personnes handicapées avec un mail dédié. « On essaye au maximum de capter les besoins de chacun en amont pour pouvoir dimensionner au plus juste mais tout le monde ne se signale pas. » Il ajoute que lors du concert de Taylor Swift samedi 11 mai 2024, 180 personnes en situation de handicap ont été prises en charge et « retraitées en temps et en heure ». Enfin, il explique qu’un parcours était dédié aux personnes en situation de handicap qu’ils « essayent de distinguer le moins possible » pour éviter tout sujet de discrimination. Quant à l’absence de siège dans les files d’attente : « Il est impossible d’en installer […] afin de permettre l’accessibilité des secours et ce serait bien plus dangereux en cas de mouvement de foule. »

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