Attentat de Magnanville: au procès de Mohamed Aberouz, la naissance de sa foi décortiquée

Attentat de Magnanville: au procès de Mohamed Aberouz, la naissance de sa foi décortiquée

"Vous avez besoin que je répète mon nom et mon prénom?", demande Mohamed Aberouz, debout derrière la vitre du box des accusés. "Non, ça on les connaît déjà Monsieur", sourit le président de la cour d'assises spéciale de Paris. Tee-shirt gris, cheveux ondulés noués en chignon, barbe fournie et lunettes à monture fine, l'accusé comparaît, depuis ce lundi devant la cour d'assises spéciale de Paris, pour complicité d’assassinat dans l’attentat de Magnanville (Yvelines). Ce mardi, le deuxième jour de son procès était consacrée à son interrogatoire de personnalité.

Le 13 juin 2016, Larossi Abballa a assassiné Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, deux fonctionnaires de police, à leur domicile de Magnanville (Yvelines), sous les yeux de leur petit garçon de trois ans. Le terroriste, qui s’était retranché à l’intérieur du pavillon du couple, a été tué par le Raid. La justice soupçonne Mohamed Aberouz d'avoir apporté son aide à Larossi Abballa, son ami d'enfance. Et pour cause, son ADN a été retrouvé sur l'ordinateur du couple, utilisé par le terroriste pour revendiquer l'attaque. Depuis sa mise en examen en 2017, l'homme de 30 ans nie toute implication dans le drame.

Un "éveil religieux"

Pendant plus de trois heures, ce mardi, dans la célèbre salle Voltaire, Mohamed Aberouz a déroulé calmement le fil de sa vie, en prenant soin de répondre à toutes les questions, y compris les plus sensibles. De son enfance aux Mureaux, au sein d'une fratrie de cinq enfants, au divorce de ses parents et à sa scolarité compliquée, en passant par sa vision de la religion, ses relations avec les femmes ou dernièrement sa détention, tout y est passé.

Si Mohamed a grandi dans une famille musulmane "plutôt pratiquante", ce n'est qu'à l'âge de dix-sept ans, après avoir été exclu définitivement de son lycée professionnel en raison d'une bagarre, qu'il commence à s'intéresser à la religion. "Le fait d’avoir été renvoyé, ça m’a permis de faire une introspection sur moi-même et d’avoir un éveil religieux", explique le principal intéressé, les mains jointes, le regard tourné vers le président. A partir de ce moment-là, sa pratique devient "assidue", avait raconté la veille l'enquêtrice de personnalité.

"J’ai commencé à fréquenter quotidiennement la mosquée, j’ai constaté un apaisement. Plus que je pratiquais, plus je me rapprochais du Seigneur, plus je trouvais une certaine sérénité", raconte-t-il.

En décembre 2010, il profite d'un passage à vide scolaire et professionnel pour partir plusieurs mois en Mauritanie. Là-bas, Mohamed perfectionne ses connaissances de l’arabe et de la religion. Il suit d'abord des cours particuliers, puis intègre une école traditionnelle, au milieu du désert, sans eau, ni électricité.

"C’était dur de passer de la France, avec son confort, à ça, mais j’ai apprécié. J’y ai appris l’humilité, la modestie et le renoncement", poursuit-il.

Le jeune homme acquiert de solides connaissances religieuses, il est "heureux" et "apaisé". "Il a découvert une société islamique, il s'est senti vraiment bien, il a trouvé sa place en quelque sorte", a expliqué l'une des psychologues interrogée lundi.

"Je ne me considère pas comme français"

Mais en juillet 2011, sa mère met fin à son séjour. Son frère, Charaf-Din Aberouz, qui avait tenté de rejoindre une filière jihadiste au Pakistan, vient d'être expulsé vers la France. "Elle a pris peur, elle a voulu que je revienne, elle a cru qu’on ferait un amalgame entre mon frère parti au Pakistan et moi en Mauritanie", regrette le trentenaire. Son aîné sera condamné en septembre 2013 à cinq ans de prison lors du procès d'une filière d'envoi de djihadistes entre la France et le Pakistan.

Sans grand enthousiasme, le jeune homme revient en France. Devenu "salafiste" et "rigoriste", comme il l'expliquera à l’une des expertes qui l'a rencontré, Mohamed a du mal à concilier son travail d'intérimaire et la pratique de sa religion, notamment les prières. "C’est compliqué de trouver un emploi compatible avec la religion en France", estime-t-il. D'autant qu'à cette époque, la religion est devenue "le socle de sa vie".

Mais plus que le travail, c'est l'ensemble de la société française qui n'est pas compatible avec la religion musulmane, selon l'accusé:

"A l’évidence, l’islam, ses valeurs, ses principes ne sont pas compatibles avec la France (...), mais ce n'est pas une surprise", enchaîne-t-il.

"Vous êtes français pourtant?", lui demande alors le président. "Tout dépend ce que vous entendez par français, si on parle de l’état civil ou d'un point de vue ethnique", répond Mohamed Aberouz. "Je ne me considère pas comme français, je me considère comme arabe", enchaîne-t-il. "Ce n’est pas une nationalité arabe", lui assène le président.

"Je suis un musulman d’origine arabe car l’islam ne reconnaît pas de nationalité", répond-t-il alors.

Mais pourquoi n'est-il jamais parti en Syrie s'il ne se considère pas français?, lui demande la cour. "C’était une guerre civile (…) Il est hors de question que je m’imagine aller tuer des musulmans (...) Je n’adhère pas ni aux méthodes, ni aux projets de l'Etat islamique", explique-t-il. "J’ai envisagé la Mauritanie et l’Egypte, mais jamais la Syrie ou le Pakistan, si c'est ce que vous voulez savoir", ajoute Mohamed Aberouz, précisant ne pas être parti pour des "raisons économiques".

Des promises condamnées pour terrorisme

Car aux différents experts qui l'ont interrogé durant l'enquête, Mohamed Aberouz n'a cessé de marteler que, s'il adhère aux idées du groupe Etat islamique, il condamne leurs actions, notamment les attentats. Pourtant, son ancienne promise, Sarah Hervouët, et sa compagne actuelle, Janna C., qu'il a épousé en détention en juin 2021, ont toutes les deux un "engagement religieux, mais aussi terroriste", souligne le président. La première purge une peine de 20 ans de réclusion pour avoir poignardé un policier en civil en septembre 2016 après une tentative d'attentat aux bonbonnes de gaz près de Notre-Dame de Paris. La seconde, quant à elle, est sortie de prison le 14 septembre dernier, après une condamnation à sept ans d'emprisonnement pour un projet d'attentat en juillet 2016. "Ce n’est manifestement pas un rebutoir", lui souffle le président.

"Sarah, quand j'ai commencé à lui parler en mai 2016, elle n'était pas poursuivie", justifie Mohamed. "Je savais qu’elle avait tenté de partir en Syrie. Je lui ai demandé si elle faisait l’objet de poursuites judiciaires. Si elle m’avait dit oui, j’aurais coupé court. Mais elle m’a répondu qu’elle avait interdiction de sortir du territoire. Je me suis dit que ce n’était pas plus mal, comme ça, il n’y aurait plus de tentative de départ", donne-t-il maladroitement comme justification.

Et pour Janna? "Le contexte est différent", répond-t-il, précisant que c'est elle qui le contacte par courrier en 2020. "Quand elle prend contact avec moi, je suis à l’isolement le plus total, depuis six ans, je vois une petite lueur d’une femme qui m’écrit, qui est au courant de ma situation, qui m’apporte un soutien. On ne se prive pas d’un soutien aussi important, qui vous fait ressentir une autre émotion que la colère ou la haine", ajoute-il.

Des conditions de détention injustes selon lui: "J’ai été inscrit comme détenu DPS (détenu particulièrement signalé, NDLR). On me maintient ad vitam aeternam à l’isolement", déplore-t-il. Pourtant, le président mentionne des rapports de l'administration pénitentiaire, évoquant des actes de prosélytisme. "Quand deux musulmans sont ensemble, oui, il peut arriver qu’ils parlent de religion. Quand on parle de télé, de séries, de foot, là, ils ne font pas de rapport. Mais dès qu’on parle de religion, c’est noté dans notre dossier", explique-t-il. Mais qu'importe, parce que sa détention, "c'est une épreuve imposée par Dieu".

Lundi, lors de la première journée d'audience, Mohamed Aberouz avait exprimé sa "compassion" pour les familles des victimes et "réitéré (ses) condamnations à l'égard de Larossi" Abballa pour l'"acte monstrueux qu'il a commis". Le procès doit se poursuivre jusqu'au 10 octobre.

Article original publié sur BFMTV.com