Attaque de Paris : la rétention de sûreté réclamée par le RN fait face à un sérieux obstacle

Jordan Bardella lors d’une conférence sur le terrorisme ce lundi 4 décembre à Paris.
MIGUEL MEDINA / AFP Jordan Bardella lors d’une conférence sur le terrorisme ce lundi 4 décembre à Paris.

POLITIQUE - C’est l’une des mesures évoquées par Jordan Bardella, lors d’une conférence de presse ce lundi 4 décembre en réponse à l’attaque de Paris, qui a fait un mort dans la soirée du samedi 2 décembre : « Rétention de sûreté systématique pour les affaires liées au terrorisme ». Car pour le président du Rassemblement national, les choses sont simples : « Si vous êtes islamiste aujourd’hui, vous serez islamiste demain et après-demain ».

Selon lui, Armand Rajabpour-Miyandoab n’aurait pas pu passer à l’acte si un tel dispositif avait existé. « Les Français se réveillent en se demandant comment un homme ainsi fiché, déjà condamné, avec de telles fréquentations, a pu se promener librement dans le contexte actuel que nous connaissons, au cœur de la capitale un samedi soir, dans un accoutrement qui laisse planer peu de doutes sur ses sympathies islamistes, et commettre l’irréparable », a déploré l’eurodéputé, dénonçant « la faillite du traitement de la récidive terroriste et islamiste, pétri de naïvetés et bercé d’illusions ».

« La place des islamistes est en prison »

Durant la conférence de presse, Jordan Bardella a été mis devant un précédent juridique qui entrave considérablement son narratif : la censure par le Conseil constitutionnel d’un dispositif similaire en 2020. Ce que le président du parti d’extrême droite a balayé d’un revers de main.

« Il est faux de dire que cette mesure serait anticonstitutionnelle, et donc nous la mettrons en œuvre par l’intermédiaire d’un texte de loi à l’Assemblée », a-t-il assuré, en rappelant que la rétention de sûreté existe déjà pour des auteurs de crimes sexuels représentant une menace grave pour la société. Mais que, face à son caractère exceptionnel et difficilement applicable, il est seulement question d’en « assouplir les règles », afin de l’appliquer aux personnes impliquées dans des affaires terroristes. Et ce, de façon systématique.

« La place des islamistes est en prison », a-t-il insisté, assurant qu’il s’agit de permettre à la justice de maintenir en détention des terroristes dont la dangerosité est constatée à l’issue de leur peine initiale. Ce qui était précisément l’objet du projet de loi « instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine », portée à l’été 2020 par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti.

Obstacle juridique

Un texte qui répondait exactement à ce que réclame aujourd’hui Jordan Bardella, puisqu’il prévoyait que les personnes condamnées à 5 ans de prison ou plus pour des faits de terrorisme soient évaluées à l’issue de leur peine. Si ces individus « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme », le procureur de la République pouvait alors ordonner des mesures de sûreté, allant du bracelet électronique au pointage trois fois par semaine à un commissariat. Seule différence, ces mesures ne comportaient pas de placement forcé dans un centre médico-judiciaire, comme le réclame le RN.

Or, même dépourvu de cette proposition dure (et de son caractère systématique), ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel. Parmi les motifs de censure, les Sages ont notamment pointé la nécessité de concilier « la prévention des atteintes à l’ordre public et l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis ». Ce que le texte ne permettait pas en l’état.

Les garants de la Constitution avaient également épinglé quelques angles morts juridiques dans la rédaction de cette loi qui permettait, par exemple, d’appliquer une mesure de sûreté à des personnes ayant écopé d’une peine de sursis. Ce qui aurait pu s’appliquer à des personnes ayant commis des délits mineurs. Ce qu’a fait remarquer le président de la Commission des Lois, Sacha Houlié, dans un tweet adressé au « charognard » ou « ignorant » Jordan Bardella.

Le seul article de la proposition de loi non censuré par le Conseil constitutionnel portait sur une disposition secondaire, qui concernait le suivi sociojudiciaire des détenus sortis de prison. Après cette censure, l’exécutif était revenu à la charge en 2021 dans le cadre d’un autre projet de loi antiterroriste. Un texte qui a eu l’aval partiel des Sages, y compris la « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion », prévoyant notamment l’obligation d’établir sa résidence en un lieu donné, de répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou encore de respecter une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique.

Un dispositif s’appliquant à ceux ayant été condamnés à une peine de minimum de cinq ans. Ce qui, au passage, ne concerne pas le cas de l’assaillant du pont de Bir-Hakeim, qui avait été condamné à quatre ans de prison, et qu’il en est sorti avant l’application de la mesure. Raisons pour lesquelles il est passé entre les mailles du filet. De quoi mesurer l’obstacle juridique qui se dresse devant le Rassemblement national, qui promet, à travers cette mesure, de passer outre cette censure et empêcher des passages à l’acte comme celui déploré samedi.

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