Je suis assistante sociale et l’équilibre dans la relation avec la personne accompagnée est parfois difficile

La thérapie de couple, ça marche?
sorbetto via Getty Images La thérapie de couple, ça marche?

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La personne accompagnée est un être humain à part entière. Avec sa propre histoire, ses propres ressentis, ses goûts, ses expériences, ses compétences, ses inaptitudes. Parfois elle nous ressemble. On s’y retrouve, on est empathique. Parfois nous n’avons rien en commun.

TRAVAIL - Il arrive que l’usager « lâche » et qu’on ne comprenne pas pourquoi.  (Le terme « usager » identifie une personne ayant recours à un service notamment en lien avec le secteur médico-social. En tant qu’assistante de service social, c’est ainsi que sont nommées les personnes que je reçois dans le cadre de mes fonctions.)

Tout avait pourtant si bien commencé. Le plan était précis, soigné, travaillé aux petits oignons. Selon les demandes de la personne. Car bien entendu, nous partons toujours des demandes de nos usagers.

Mais à un moment, la personne accompagnée « disparaît ». Elle ne répond plus aux sollicitations, elle glisse telle une anguille, elle s’échappe. Quelle ingratitude ! J’avais pourtant mis dans ce projet tellement de temps, d’énergie… Tellement de moi… Le problème est bien là ! Ma réalité n’est pas celle de mon usager.

La fraude

Nous mettons parfois tellement d’espoir dans la réussite d’un projet que l’usager, voulant nous faire plaisir, y adhère dans un premier temps. Mais il ne tiendra pas. Et nous le dire serait trop compliqué. Alors il fraude ! Il le dit sans mot. Parce qu’il a bien senti que nous n’étions pas prêts à entendre. Ou que nous ne le voulions pas. Car parfois, malgré toute notre bonne volonté, nous sommes persuadés que nous avons compris ce qui était bon pour l’autre. Nous avons trouvé la bonne marche à suivre, et nous ne lâchons pas.

Traiter l’autre comme on voudrait être traité est parfois un problème. Nous ne sommes pas nos usagers.

La personne accompagnée est un être humain à part entière. Avec sa propre histoire, ses propres ressentis, ses goûts, ses expériences, ses compétences, ses inaptitudes. Parfois elle nous ressemble. On s’y retrouve, on est empathique. Parfois nous n’avons rien en commun.

Coller nos propres représentations à une situation ne peut pas être pas la solution. La voie que je pensais être la bonne est bonne pour qui ? Pour la personne accompagnée ? Pour moi ? Pour mon ego ?

Bien entendu que nous voulons que les personnes que nous accompagnons soient heureuses, que leurs projets réussissent. Mais à quel prix ? Le nôtre ?

Détricoter la demande

Car quelquefois il faut savoir détricoter ce qui se cache derrière la demande initiale. De qui émane-t-elle ? De la personne elle-même ? Ou de sa famille, de la société, du travailleur social ?

Il arrive que les usagers mettent en avant les demandes qu’ils pensent nécessaires (trouver du travail par exemple) pour atteindre l’idée qu’ils se font de la normalité. Il arrive aussi que ces demandes n’aient a priori aucun sens. Ou que l’usager les mette systématiquement en échec. Et à ce moment, ne pas lui en vouloir peut être une gageure ! Cela nous met face à notre impuissance.

L’accompagnement social c’est aussi faire émerger le désir chez l’autre, pas le construire pour lui. Nous accompagnons, nous ne faisons pas à la place. Alors oui, parfois cela ne va pas assez vite. L’usager pourrait faire tellement mieux, tellement plus. Mais selon quels standards ? Quelles sont nos attentes ? Quelle pression mettons-nous, souvent sans même nous en rendre compte ?

Parfois, on veut trop… Trop bien, trop vite, trop loin. Et parfois, vouloir à la place de l’autre c’est vouloir malgré lui. La maltraitance peut s’immiscer dans la relation accompagné-accompagnant l’air de rien ! L’enfer est pavé de bonnes intentions… L’accompagnement social aussi !

Le difficile équilibre

La difficulté est de trouver le juste milieu entre laisser la personne se perdre dans ses problèmes quand elle ne se mobilise pas, ou pas assez, et la conduire malgré elle vers le but que nous avons décidé pour elle.

Il est important de prendre en compte le fait que l’usager n’est quelquefois tout simplement pas prêt. Que sa temporalité n’est pas la nôtre. Et que cela est totalement acceptable si tant est que l’on puisse faire un pas de côté. Il faut trouver le bon tempo. Ne pas se laisser complètement en dehors du projet en se calquant exclusivement sur le pas de l’usager, mais ne pas aller trop vite non plus au risque qu’il perde le rythme. Nous ne faisons pas de l’assistanat. Nous ne sommes ni devant, ni derrière la personne que nous accompagnons. Nous sommes à ses côtés, nous observons la route avec elle, lui faisant remarquer les dangers, la conseillant sur les différentes possibilités qui s’offrent à elle. Le but étant qu’elle puisse se passer de nous, pas de se l’approprier pour la modeler à l’image de l’usager idéal, celui qui fait du bien à l’ego du professionnel compétent que nous sommes.

Le bon usager et le bon travailleur social

Car nous nous construisons aussi à travers nos accompagnements. Notre pratique professionnelle évolue constamment au fur et à mesure de nos expériences de terrain, des rencontres, des projets aboutis et de ceux qui déraillent. Notre parcours est jalonné de ces remises en questions souvent instaurées par tel ou tel accompagnement, de ces faillites, de ces succès. Et quelque part, le mythe du bon usager est en corrélation avec celui du bon travailleur social.

Il faut, me semble-t-il, être ouvert à l’idée que cette relation accompagnant-accompagné nous nourrit, qu’elle ne va pas seulement dans le sens aidant-aidé.

Certains usagers, certaines situations rencontrées nous suivent et nous marquent bien après leur passage. Et cela même quand le but fixé n’est pas atteint. En effet, peut-être que le plus important est moins le résultat que le chemin parcouru avec la personne accompagnée dans le cadre de son accompagnement social, car c’est ainsi que la relation se construit, s’affine et se nourrit.

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