Arnacœur du Var : quand le vol tourne au mensonge et à l’escroquerie « aux sentiments »

L’homme était multirécidiviste, condamné pour des faits de même nature en Belgique en 2022 : des vols et escroqueries de femmes avec qui il entretenait des relations amoureuses.
PhotoAlto/Frederic Cirou / Getty Images/PhotoAlto L’homme était multirécidiviste, condamné pour des faits de même nature en Belgique en 2022 : des vols et escroqueries de femmes avec qui il entretenait des relations amoureuses.

JUSTICE - La peine prononcée à l’encontre de celui que la presse a surnommé « L’Arnacœur du Var » est conséquente. Jugé ce mercredi 20 septembre devant la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, Aurélien A. a été condamné à deux ans de prison ferme pour « vol » et « escroquerie », assortis d’une amende de près de 10 000 euros d’amende pour le préjudice matériel et moral.

Le procès du jeune homme de 32 ans, au teint pâle et aux cheveux noirs coiffés d’une raie sur le côté droit façon jeune premier, aura été anormalement long pour une « simple affaire de vol et d’escroquerie », comme le rappelle son avocat. C’était sans compter l’aspect moral de l’affaire. Et le fait qu’il soit multirécidiviste, condamné pour des faits de même nature en Belgique en 2022 : des vols et escroqueries de femmes avec qui il entretenait des relations amoureuses.

Face à lui, la victime, J.K., dont la plainte a conduit à son arrestation à Paris en août dernier, n’est pas là pour l’argent. Durant l’audience, elle ne cesse de chercher son regard et de le fixer, parfois en larmes, pour essayer de comprendre non pas le vol, mais plutôt la trahison amoureuse.

Il se présente comme un avocat fiscaliste américano-suisse

C’est sur une application, Bumble, que la Néerlandaise d’une quarantaine d’années, mince et fluette, aux cheveux bruns coupés carré, rencontre celui qui se fait appeler Edward Schneider. Il se présente alors comme un avocat fiscaliste américano-suisse inscrit au barreau de New York. « Il m’avait montré un certificat », justifie-t-elle. Elle a un poste haut placé dans une multinationale du secteur de la tech.

Leur idylle démarre sur les chapeaux de roues : bluffée par la personnalité d’Edward, J.K. le laisse rapidement s’installer chez elle à Amsterdam. Il raconte s’être fait voler ses papiers et ses bagages. Elle paie tout, lui achète des vêtements et subvient à ses besoins quotidiens. « Il adorait aller au restaurant et faire des escapades le week-end », raconte-t-elle. Mais toujours à aux frais de sa compagne. Il se montre prévenant et s’incruste dans sa vie, tient à rencontrer ses amis, ses collègues, se rend sur la tombe de ses parents décédés…

Pense-t-elle alors qu’il s’agit alors d’une histoire sérieuse ? Réponse de l’intéressée à l’audience : « Lorsque quelqu’un vous demande en mariage, vous vous dites que oui, c’est sérieux. » J.K. raconte avoir effectué des réservations dans des hôtels et d’une salle pour la cérémonie, qui doit se dérouler à Monaco quelques semaines plus tard. Des faire-part sont imprimés, et elle parle de l’événement à son responsable hiérarchique, qu’elle invite à ses noces. Tout va vite, certes, mais elle y croit.

« Si tu m’aimes, fais-moi confiance »

Le couple se fréquente depuis deux mois lorsque, le 19 juillet 2023, les tourtereaux partent pour un voyage à Paris. Dans un spa, Aurélien/Edward insiste pour garder les effets personnels de J.K. pendant qu’elle profite de son soin. « Si tu m’aimes, fais-moi confiance », glisse-t-il à la jeune femme avant de filer avec son ordinateur, son téléphone et ses cartes bancaires. Il dépensera le jour même un total de 3 600 €.

JK porte plainte immédiatement. Une fois rentrée à Amsterdam, elle lit un article de France Bleu Provence sur un homme multirécidiviste qui aurait escroqué plusieurs autres femmes dans le Var, se faisant passer tantôt pour un avocat fiscaliste, pour un chirurgien à Paris ou pour l’héritier d’une riche famille d’hôteliers. Elle fait le lien et retourne voir la police à Paris. Pas de temps à perdre pour les policiers de la brigade de délégation des enquêtes de proximité du 8e arrondissement de Paris, craignant que celui que la presse surnomme « l’Arnacœur du Var » ne quitte le pays.

Aurélien A. est géolocalisé et retrouvé fin juillet chez une nouvelle victime potentielle à Paris, chez qui il s’est installé depuis une semaine et qu’il dit avoir rencontrée « dans un bar ». Entretemps, il aura eu le temps de séjourner chez une autre femme, à Nîmes, qui, ayant eu des doutes sur son identité, lui a demandé de partir. Pour les policiers chargés de l’enquête, cette histoire sort de l’ordinaire. « J’ai plaisanté au commissariat le jour même en disant : vous allez voir, on va l’interpeller chez une nouvelle victime… », raconte au HuffPost l’un d’entre eux, venu assister à l’audience ce 20 septembre.

« Il est beau garçon, intelligent, sympa »

Lors de la garde à vue, l’homme se montre calme. « Il est beau garçon, intelligent, sympa. Il a un problème de comportement, mais avec les femmes il sait très bien s’y prendre pour les convaincre qu’il est sain, qu’il est amoureux », témoigne le policier, clairement intrigué par sa personnalité. « Quand on est arrivés, il était en train de repasser ses habits à elle. Car il arrive quand même à faire plaisir », raconte-t-il.

À l’audience, Aurélien A. reconnaît les faits de vol mais laisse planer un doute sur ses sentiments, comme pour garder une emprise sur sa victime – et coller à sa légende. « Bien sûr que j’avais des sentiments, j’en ai encore aujourd’hui, assure-t-il. Mais j’étais dos au mur, on allait se marier et elle allait découvrir ma fausse identité. Je me suis senti acculé. » Son récit est celui d’un enfant né à Armentières dans le Nord en 1991 et battu par son père. « Depuis l’âge de 14 ans, j’ai vécu sous de fausses identités pour fuir mon père, décédé en 2017 », justifie-t-il, tout en reconnaissant que « ce n’était pas la bonne décision » à prendre.

Il explique qu’en raison de cette vie sous pseudonyme, il travaille comme développeur pour des clients qui le paient en cryptomonnaie, qu’il a bien du mal à faire convertir. Et l’homme de se retrouver par moments « à court d’argent ». Les policiers n’ont retrouvé aucune trace tangible de cette activité. « Je n’avais pas prévu de la voler, au départ, assure-t-il au sujet de JK. J’ai été dépassé par mes mensonges. » Il refuse de reconnaître un « mode opératoire », terme employé à plusieurs reprises par les avocats généraux.

« On a l’impression de voir “Bel Ami” »

Pour la victime, venir parler à la barre était un « besoin ». Durant l’audience, elle s’adresse à lui autant qu’à la cour. « La honte est immense, mais j’avais besoin de me présenter ici pour me sentir à nouveau humaine et pour les autres victimes, expose-t-elle. J’ai le cœur brisé, j’avais des sentiments pour lui. » Le préjudice moral est difficile à quantifier. Elle souhaiterait, dans un second temps, faire une démarche de justice restaurative. Si tant est qu’Aurélien A. accepte d’y participer.

Son avocate renchérit sur l’humiliation subie par sa cliente. « On a une femme qui a construit sa carrière dans le milieu de la tech, qui a tout mis en œuvre pour arriver là où elle est aujourd’hui. Et puis elle est ramenée à une condition d’être amouraché et naïf, qui fait émerger une plus grande humiliation que si c’était un homme qui était concerné », souligne auprès du HuffPost Heline Kose, avocate au Barreau de Paris.

« Il a utilisé la compassion et la gentillesse de toutes les femmes qu’il a rencontrées. Et la gentillesse ne devrait pas être punie. Personne n’est trop gentil. Il y a juste certaines personnes qui exploitent cette gentillesse », renchérit sa cliente.

« C’est une relation, quand on la quantifie, de deux mois »

Si les faits sont en eux-mêmes extrêmement simples, c’est bien l’abus de confiance qui est en jeu. Ce que récuse l’avocat de l’accusé. « Tout cela est bien romanesque ! Quand on voit ce dossier, on a l’impression de voir Bel Ami, de voir L’Arnacœur de Tinder, fait valoir Seydi Ba, avocat au Barreau de Paris, dans sa plaidoirie. On nous parle de mode opératoire, on nous parle de préméditation, alors qu’il s’agit d’une arnaque à la carte bleue, précédée d’un vol. »

Pour lui, le préjudice moral est à relativiser. « Elle a été trahie. Mais c’est une relation, quand on la quantifie, de deux mois », minimise-t-il. Pour terminer, il compare alors son client à un autre personnage de littérature, Jean Valjean : « Il a choisi de devenir un homme meilleur, en changeant de monde notamment, insiste-t-il. Et c’est une belle histoire qu’il faut commencer à écrire avec M. A. » Une histoire que la cour a décidé de terminer autrement.

Lors de la perquisition au moment de l’arrestation d’Aurélien A., le faire-part de mariage a été retrouvé dans ses affaires. Il devait avoir lieu le 21 septembre 2023.

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