En Arménie, la cheffe Aline Kamakian a cuisiné pour plus de 100 000 exilés du Haut-Karabakh
Ukraine, Gaza, Israël, Arménie… « Le HuffPost » donne la parole à des citoyens touchés par la guerre. Ils formulent leurs vœux de paix pour 2024.
ARMÉNIE - Depuis bientôt un mois, le Haut-Karabakh a cessé d’exister. Après une offensive éclair de l’Azerbaïdjan le 19 septembre contre cette enclave située aux confins du Petit Caucase, les séparatistes d’Artsakh ont déposé les armes. Une semaine plus tard, le Haut-Karabakh annonçait la « dissolution de toutes les institutions gouvernementales et organisations » au 1er janvier 2024.
Entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, pourquoi le Haut-Karabakh frôle la catastrophe humanitaire
En quelques jours après l’annonce de la dissolution, la quasi-totalité des 120 000 Arméniens vivant au Haut-Karabakh a fui vers l’Arménie voisine. Face à cet afflux d’exilés, les associations humanitaires se sont retrouvées débordées.
Aline Kamakian (au centre sur la photo ci-dessous), cheffe libano-arménienne de 55 ans, a alors décidé de quitter son restaurant à Beyrouth pour venir en aide aux bénévoles de l’UGAB, plus ancienne association de diaspora arménienne, présente dans 40 pays. La famille d’Aline s’est réfugiée au Liban après le génocide arménien en 1915, raison pour laquelle le sort des milliers d’Arméniens du Haut-Karabakh l’a autant touchée. « Je voulais aider mes compatriotes », martèle-t-elle.
Le 19 septembre, Aline Kamakian raconte qu’elle était en train de cuisiner quand elle a appris le début de l’opération militaire menée par Bakou. « Mon premier réflexe après l’annonce a été d’envoyer un message au chef étoilé José Andrés. Je lui ai expliqué la situation et lui ai dit que je prenais le premier vol pour l’Arménie », développe celle qui détient Le Mayrig (qui veut dire maman en arménien), un restaurant traditionnel arménien, situé dans la capitale libanaise.
300 000 repas distribués
« Dès mon arrivée, j’ai eu une réunion avec l’UGAB pour organiser la préparation et la distribution des repas. J’ai eu la chance de travailler avec des équipes très efficaces. Dans des situations d’urgence comme celles-ci, où des vies sont en jeu, il faut savoir aller vite », poursuit cette femme d’affaires déterminée qui a dû faire face à « un afflux de 100 000 personnes en quelques jours ».
La grande majorité des habitants d’Artsakh sont arrivés à Goris, située au sud-est de l’Arménie, dans la région de Syunik, « mais rien n’était prévu pour les accueillir et les aider à se nourrir ». À tel point qu’Aline Kamakian raconte que le gouvernement d’Erevan n’avait prévu que « des chips » pour les réfugiés.
« On a déjà commencé à leur donner de l’eau, des yaourts, de la soupe, et, petit à petit, j’ai commencé à cuisiner des repas », détaille-t-elle. Les menus sont devenus de plus en plus complets à mesure que les cuisiniers prenaient le pli de nourrir 100 000 personnes par jour : « chaque repas contenait des produits frais, des plats chauds, avec 150 grammes de protéines par personne ». Au total, plus de 300 000 repas ont été distribués par Aline et ses équipes entre septembre et décembre.
Bakou ne cache pas ses velléités d’expansion
Si ce mouvement de solidarité exceptionnel a donné du baume au cœur et de la force à des milliers d’exilés arméniens, la crise humanitaire est loin d’être terminée. « La situation est stressante », confirme Aline Kamakian, qui évoque des « menaces » pesant encore sur l’Arménie, alors que la guerre à laquelle se livrent Bakou et Erevan depuis plus de 30 ans est loin d’être terminée.
Désormais, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, lorgne en effet sur le sud de l’Arménie. Il souhaite reprendre la main sur la région du Syunik, qui lui permettrait de renforcer le lien entre l’Azerbaïdjan et la Turquie.
Quant aux exilés du Haut-Karabakh, « ils ne sont pas encore pleinement intégrés et installés sur le long terme en Arménie. Dans un pays où l’hiver est particulièrement froid et où la plupart des Arméniens exilés travaillaient la terre qu’ils ont perdue, la situation est difficile pour eux et le travail manque », déplore la cheffe libano-arménienne.
« Ne perdons pas notre culture »
Alors que le Haut-Karabakh a été vidé de ses habitants et que les Arméniens d’Artsakh peinent à trouver leur place dans leur pays d’accueil, il « est difficile d’avoir de l’espoir », concède Aline.
Un accord de paix est tout de même sur le point d’être signé par Bakou et Erevan, mais elle préfère rester prudente. Selon elle, il ne sera effectif uniquement s’il acte de « la reconnaissance de la souveraineté des frontières arméniennes ainsi que la sécurité des Arméniens ».
Aline Kamakian craint surtout que les traditions arméniennes se perdent un jour. « Nous avons perdu un territoire, mais j’espère que nous ne perdrons pas notre culture », appuie celle qui contribue à la répandre en cuisinant des mets arméniens dans ses restaurants, ou en partageant des recettes sur Instagram, comme celle du « gatnabour », une sorte de riz au lait très moelleux.
La cheffe terminera tout de même sur une touche d’espoir : « J’espère que la paix permettra de rassurer tous ceux qui souhaitent découvrir cette culture passionnante et aller à la rencontre des Arméniens qui les accueilleront à bras ouverts. »
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