Après la mort d’Elizabeth II, le deuil d’une reine qui semblait immortelle

LONDON, UNITED KINGDOM - NOVEMBER 06: (EMBARGOED FOR PUBLICATION IN UK NEWSPAPERS UNTIL 24 HOURS AFTER CREATE DATE AND TIME) (EDITORS NOTE: This image was processed using digital filters) Queen Elizabeth II (wearing 'The Diamond Diadem' made by Rundell, Bridge and Rundell) travels down The Mall, from Buckingham Palace to the Palace of Westminster, in the horse drawn Irish State Coach to attend the State Opening of Parliament on November 6, 2007 in London, England. The State Opening of Parliament marks the start of the new parliamentary year at which The Queen's Speech outlines the government's plans for the coming session. (Photo by Max Mumby/Indigo/Getty Images)

Max Mumby/Indigo / Getty Images

La reine Elizabeth le 6 novembre 2007 à Londres (Photo by Max Mumby/Indigo/Getty Images)

ELIZABETH II - Peu de personnes, dans une vie, sont là sans être là, font partie du quotidien ou du moins de l’époque, sans forcément qu’on y prête attention, mais dont on prend pour acquis la présence - dans l’actualité, dans un film ou une série télé, une chanson ou une statuette kitch sur une étagère.

La reine Elizabeth II, qui s’est éteinte à Balmoral jeudi 8 septembre, faisait partie de celles-ci.

Après 96 années bien vécues dont 70 de règne, elle était l’une des figures les plus importantes de notre temps. À tel point qu’on pouvait lui prêter une certaine aura d’immortalité, ce qui rend tout à fait singulier le deuil que s’apprêtent à vivre des milliers, si ce n’est des millions de personnes à travers le monde.

« Nous la pensions immortelle, elle est désormais éternelle », « 70 ans de règne, beaucoup la pensaient immortelle »... Sur Twitter, ce terme revient beaucoup. « On pensait qu’elle ne mourrait plus, alors elle est devenue immortelle », a ainsi écrit la romancière Tristane Banon.

« La singularité de la reine Elizabeth, c’est qu’elle est une référence culturelle absolument majeure et décisive. C’est une figure, à la fois de l’Histoire et de la pop culture », note le psychologue clinicien Samuel Dock, auteur entre autres de Le nouveau malaise dans la civilisation.

Fantasme d’immortalité dans un monde qui change

Cette idée d’immortalité, qu’on lui attribuait peut-être inconsciemment, ne le surprend pas. Il faut dire que ces dernières années, la mère du roi Charles III nous avait habitués à rebondir à chaque fois qu’on la croyait mal en point.

Mais aussi, pointe Samuel Dock, elle était devenue « un point de repère d’un point de vue historique. Elle est même omniprésente dans le langage. Qui n’a jamais entendu quelqu’un dire : ’arrête de te prendre pour la reine d’Angleterre’ ? », interroge-t-il. « Dans ces figures royales, le fantasme d’immortalité est puissant, on aime croire qu’elle sera toujours là, mais d’un coup elle meurt, et cela nous renvoie à notre propre mortalité. Sauf que nous, nous ne laisserons aucune trace. C’est dur à réaliser », poursuit le psychologue.

Parce qu’elle était le témoin de notre siècle, ce n’est pas seulement d’une personne, aussi iconique soit-elle, que nous faisons le deuil, mais de toute une époque qu’on a connue, ou qu’on n’a pas connue. « Dans un monde en perpétuel changement, on a besoin que certaines choses ne bougent pas : la reine restait, quoi qu’il arrive », continue Samuel Dock.

Un deuil presque comme les autres

Employer le terme de deuil pour une reine que l’on ne connaissait pas personnellement n’est donc pas un abus de langage. La tristesse que certains peuvent ressentir est comparable en quelques points à celle qui suit la perte d’un proche. « Quand on parle de deuil collectif, on pense souvent à tort qu’on a besoin de connaître la personne. Mais souvent, ce que les gens ne comprennent pas, c’est que cette personne faisait partie de nos vies même si on ne l’avait jamais rencontrée », explique auprès du site anglophone People un spécialiste du deuil, David Kessler.

« Pendant ses 70 ans de règne, elle a fait partie de nos vies - celles de nos grands-parents, de nos parents, les nôtres. Nous, collectivement et à travers les générations, avons le sentiment que nous la connaissons », abonde sur The Conversation Sarah Wayland, chercheuse australienne en santé mentale.

Pour Samuel Dock, on peut faire le deuil de quelque chose, d’un travail par exemple, de quelqu’un, d’un symbole. « La reine Elizabeth était à la fois un symbole culturel, une personne, la vision d’un monde », note-t-il.

Omniprésente mais mortelle

La différence réside surtout dans toutes les petites « anecdotes personnelles ou expériences partagées » avec la personne, que nous n’avons pas à propos d’Elizabeth II. « C’est difficile de créer une image de qui cette personne était réellement et ce qu’elle signifie pour nous », poursuit Sarah Wayland.

S’ajoute à cette perte une difficulté, celle de faire le deuil d’une présence et d’une absence à la fois. « Ce qui permet de faire le deuil d’un proche, c’est le détachement des souvenirs, des contacts physiques. Or, dans le cas de la Reine, c’est impossible. Elle est omniprésente dans la culture sans qu’on puisse se lester de cela », explique Samuel Dock.

Présente mais absente, omniprésente mais mortelle. Pour celles et ceux qui devront d’une manière ou d’une autre surmonter cette perte, il n’y aura pas de méthode miracle pour faire le deuil. Une chose est sûre, pour George Bonanno, professeur en psychologie clinique, également interviewé par le magazine People : « cherchez des personnes qui sont comme vous, qui ressentent la même chose que vous. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de faire un deuil ».

« Certains auront envie de se plonger dans des ouvrages historiques, d’autres auront envie de se balader à Londres, d’autres essaieront de s’intéresser à la succession pour passer à autre chose », ajoute Samuel Dock. Car l’héritage de la reine est bel et bien là, et il s’appelle Charles III. D’ores et déjà acclamé lors de son premier bain de foule à Buckingham Palace, reste à savoir dans quelle mesure il pansera le cœur meurtri des Britanniques et autres amoureux de la reine.

À voir également sur Le HuffPost : Les hommages à Elizabeth II devant l’ambassade britannique à Paris

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