"Il va falloir apprendre à vivre avec moins d’eau" : face à la sécheresse, des experts appellent à "un changement de système"

Le niveau de la Loire, affecté par la sécheresse hivernale, le 26 février 2023 à Montjean-sur-Loire (Photo by JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)
Le niveau de la Loire, affecté par la sécheresse hivernale, le 26 février 2023 à Montjean-sur-Loire (Photo by JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de mettre en place "un plan de sobriété" sur l'eau, pour faire face aux sécheresses de plus en plus récurrentes.

Un record de 32 jours consécutifs sans pluie significative en janvier et février, l'une des pires sécheresses hivernales qui succède à un été marqué par une sécheresse importante... Face à cette situation qui inquiète, Emmanuel Macron a appelé à un "plan de sobriété" sur l'eau sur le modèle de la "sobriété énergétique", en évoquant "la fin de l'abondance"

"Quand j'entends le Président, j'y vois du blabla, un manque de conscience, un déni de la réalité"

"Quand j'entends le Président évoquer les trois mesures phares de son plan, j'y vois du blabla, un manque de conscience, un déni de la réalité. Il veut inciter à la sobriété sur l'eau en augmentant la capacité de stockage, c'est contradictoire. Car augmenter les capacités de stockage, cela permet d'atteindre l'objectif de disposer de davantage d'eau, pas d'en consommer moins. Ce plan doit contenir de réelles mesures pour consommer moins d'eau". Dans son viseur : les mégabassines, mais aussi les retenues collinaires. "C'est de l'eau qui ne coule pas en aval, dans les nappes souterraines , et ça manque aux écosystemes, aux usagers en aval des retenues", attaque d'emblée Agnès Ducharne directrice de recherche au CNRS, au laboratoire METIS à Paris.

S'attaquer aux fuites d'eau, une fausse bonne idée ?

Lors de l'annonce d'un "plan de sobriété" sur l'eau en marge d'une visite au salon de l'agriculture, Emmanuel Macron a en effet appelé à "mieux récolter l'eau de pluie", "avoir moins de fuites dans les réseaux d'eau" et "mieux répartir l'utilisation de l'eau potable selon les usagers", notamment en "continuant de produire et d'investir sur des rétentions collinaires".

"Les fuites sur le réseau d'eau potable, c'est un des éléments mis en avant par l'État depuis plusieurs semaines, c'est en moyenne 20% de pertes en France. Mais c'est une très bonne performance par rapport au niveau international. Il n'est pas évident que ce soit intéressant d'un point de vue purement économique de passer par exemple de 20% à 10% de pertes dues aux fuites, qui représenterait un investissement économique colossal. Pour autant, il faut continuer le travail actuel de détection des fuites", prône la spécialiste. À titre de comparaison, le taux de fuite se situe à 21% au Royaume-Uni ou à 38% pour l’Italie, rapporte Novethic.

"Il va falloir apprendre à vivre avec moins d’eau"

"Il y a une multitude de solutions, mais les mettre en place prend du temps : limiter la consommation d'eau à usage privé, lutter contre les fuites de canalisation, mieux réutiliser les eaux usées comme en Espagne par exemple, stocker l'eau qui tombe de manière intense comme lors d'un orage, mettre en place des aides de l'État pour permettre aux particuliers de s'équiper en réservoir d'eau... Mais il faut surtout voir à long terme, avec une adaptation de l'agriculture", nous explique Davide Faranda, climatologue au CNRS.

Des mesures phares présentées par le président d'ores et déjà critiquées par les spécialistes, qui appellent à un changement plus profonds. "On va devoir développer des techniques, des modes de consommations moins gourmands en eau lorsque cela est possible, recycler, notamment les eaux usées. ll faut également lutter contre le gaspillage, les pertes sur les réseaux, les fuites. Mais les gains d’efficacité ne permettront pas de maintenir pour autant le statu quo en terme de demande. Il va donc falloir apprendre à vivre avec moins d’eau. Cela ne passera pas juste par des petits gestes individuels, mais par des changements structurels", prône Magali Reghezza, membre du Haut Conseil pour le Climat.

Les solutions pour diminuer sa consommation d'eau

Parmi les petits gestes individuels, Agnès Ducharne liste "prendre un bain ou une douche de 15 minutes alors que cinq minutes suffisent, ne pas avoir de modérateur sur une chasse d'eau, ce qui fait que pour un petit pipi on utilise 9 litres d'eau potable, quand 3 litres suffisent. On peut aussi installer un mousseur sur le robinet, qui va ajouter de l'air dans l'écoulement d'eau, ce qui diminue la consommation d'eau pour se laver les mains ou faire la vaisselle par exemple. Des équipements très peu onéreux, qui devraient etre accompagnés d'incitations financières voire des obligations à installer ces dispositifs dans le neuf", souhaite la directrice de recherche au CNRS.

La spécialiste soutient également la mise en place d'un tarif progressif pour l'eau, dont le prix du mètre cube augmente à partir d'une certaine consommation mais "pas principalement pour les ménages, car ce ne sont pas les plus gros consommateurs d'eau, mais pour les agriculteurs et l'industrie et notamment la production d'électricité", développe Agnès Ducharne.

"Il faut un changement de système"

Les spécialistes s'accordent pour dire que ces gestes individuels ne suffiront pas et qu'il faut un "changement de système". "Dans l’agriculture, certaines variétés devront être changées, voire des espèces nouvelles plantées. On devra aussi gagner en efficacité sur le stockage et l’irrigation. Certaines cultures ou certains élevages vont disparaître, en tous cas dans certaines régions. On retrouve le même problème pour le tourisme ou l’industrie. Pour l’énergie, l’hydro-électricité est en première ligne", poursuit Magalie Reghezza.

Avec la sécheresse, le niveau de certains barrages est bas. Par exemple, dans les Pyrénées-Orientales, le gestionnaire du barrage du lac des Bouillouses est obligé d'arrêter la production d'électricité, rapporte France 3. Une sécheresse qui pourrait également avoir un impact sur la production d'électricité dans les centrales nucléaires : les cours d'eau servent à refroidir les centrales nucléaires. Faute d'eau, elles pourraient être à l'arrêt. Ainsi, certaines projections envisagent une baisse de débit du Rhône allant jusqu'à -35% en 2050, alors que plusieurs centrales sont le long du fleuve.

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