Apprendre les maths, les sciences ou l’art dans une langue étrangère : pourquoi ça motive les élèves
Les résultats des élèves français en langues étrangères, et en anglais en particulier, ne sont pas bons. Alors que les élèves étudient une langue étrangère – très majoritairement l’anglais – depuis la classe de CP, en fin de CM2, seul un élève sur deux (54 %) maitrise à l’oral la syntaxe des questions et phrases simples, selon les données publiées en 2019 par le Conseil National de l’Évaluation scolaire (CNESCO).
En classe de troisième, 75 % des élèves ont du mal à se faire comprendre et à produire une langue globalement correcte à l’oral en anglais (73 % en espagnol, 62 % en allemand). Comparativement aux autres pays européens, d’après la dernière grande étude Surveylang de 2012, la France se classe dans les dernières positions.
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Les causes de cette situation sont multiples : la formation des enseignants du primaire semble insuffisante puisque le rapport du CNESCO indique que 80 % d’entre eux déclaraient (en 2016) n’avoir suivi aucun stage de formation en langues étrangères au cours des cinq années précédentes.
Mais les causes sont aussi d’ordre sociétal : notre état centralisé mettant en avant la maîtrise du français laisse peu de place aux autres langues et au développement d’un plurilinguisme qui permet de mieux développer la maîtrise des langues étrangères. La défense de la francophonie et le doublage systématique de la majorité des dessins animés, films, et documents proposés à la population française ne facilitent pas l’apprentissage de l’anglais auquel sont davantage exposés d’autres pays en Europe.
Des facteurs linguistiques sont également à considérer : les caractéristiques de la langue anglaise elle-même, en particulier concernant sa phonologie qui diffère largement de la langue française, peuvent expliquer les difficultés des Français à maîtriser les langues étrangères et l’anglais en particulier.
En primaire, un nouveau dispositif d’enseignement des langues depuis 2020
Face à ce constat, on peut se demander : ne faudrait-il pas commencer l’apprentissage de l’anglais plus tôt et proposer plus d’heures d’enseignement de langue étrangère en école primaire ?
Les comparaisons montrent que les programmes de l’école élémentaire française qui demandent de démarrer l’apprentissage de l’anglais à 6 ans en CP et imposent au minimum 1h à 1h30 hebdomadaire entre le CP et CM2, sont dans la moyenne européenne. De plus, l’idée qu’« il faut apprendre une langue étrangère le plus tôt possible » pour réussir se révèle un mythe, documenté par la recherche. Plutôt que « plus jeune » ou simplement « plus », mieux vaut se poser la question du « comment » apprendre les langues étrangères.
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Le ministère de l’Éducation nationale s’est fortement penché sur cette question depuis 2018, en commandant un rapport puis en mettant en place la conférence du CNESCO qui a débouché sur 10 recommandations de la part des scientifiques et la publication d’un guide pour l’enseignement des langues vivantes étrangères de l’école au lycée.
Une nouvelle mesure a été mise en place en 2020 avec la création d’au moins une « école EMILE », proposant un Enseignement d’une Matière intégrée en Langue étrangère par département : il s’agit pour ces écoles primaires de dispenser des cours de mathématiques, Éducation physique et sportive, arts ou encore sciences en langue étrangère, comme cela se fait en section européenne en lycée depuis les années 1990.
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La France rattrape ainsi son retard par rapport aux autres pays européens et en particulier l’Espagne sa voisine, dont plusieurs régions ont massivement développé l’approche CLIL (Content Language Integrated Learning) dès l’école primaire depuis les années 2000. Les élus locaux ont parfois répondu très positivement à cette demande, comprenant que la création d’une « école EMILE » bilingue dans leur commune serait facteur d’attraction pour les parents.
Le dispositif « écoles EMILE » est en augmentation constante en France depuis sa création en 2020. On ne trouve pas à l’heure actuelle de données à l’échelle nationale, mais plutôt des données régionales. À titre d’exemple, la région Centre-Val de Loire comptait entre 2 et 9 « écoles EMILE » par département en juin 2023.
Des élèves plus investis
Peut-on alors espérer que cet apprentissage d’autres disciplines en langue étrangère aura des répercussions positives sur le niveau en langue des élèves français ? Pour l’instant, la recherche ne peut pas conclure en ce sens, comme l’explique Stéphanie Roussel dans son ouvrage L’approche cognitive en didactique des langues. Pour y répondre, les chercheurs devront affiner leurs outils d’analyse, définir précisément ce qu’on veut mesurer lorsqu’on parle de « niveau en langue », développer des études en école primaire.
Dans notre laboratoire, l’Équipe de Recherche Contextes et Acteurs de l’Éducation (ÉRCAÉ – EA7493), nous sommes trois enseignants et chercheurs à aller dans ce sens en lançant une recherche exploratoire pour la période janvier 2023-juin 2024. En observant et échangeant avec des enseignants de notre région qui se sont lancés dans le dispositif, nous avons pour l’instant été amenés à constater des effets bénéfiques de l’EMILE, bien au-delà des compétences linguistiques. Exposés plus régulièrement à l’anglais, les enfants s’engagent davantage et montrent moins d’appréhension face à cette langue étrangère.
Dans des disciplines où ils participaient peu par crainte de se tromper, par exemple les mathématiques, des élèves de CM1 et CM2 s’investissent plus lorsque la leçon se déroule en langue étrangère. De nombreux professeurs des écoles ont également témoigné sur le fait que leurs élèves étaient plus attentifs lorsqu’ils faisaient le cours en anglais. Plus concentrés et engagés, on peut donc supposer que leurs résultats peuvent progresser.
Comment expliquer que les langues étrangères puissent permettre des progrès dans des disciplines et connaissances « non linguistiques » comme les mathématiques, les sciences, etc. ? Ceci va en effet à l’encontre d’une idée répandue, qui fait dire à de nombreux parents et enseignants que les élèves doivent d’abord avoir des compétences dans une matière pour pouvoir l’aborder en langue étrangère, car celle-ci rajouterait une couche de difficulté supplémentaire pour l’élève.
Favoriser la flexibilité cognitive
Nous pouvons émettre quelques hypothèses pour expliquer qu’au contraire, utiliser une langue étrangère pour enseigner un contenu non linguistique peut aider les élèves à mieux y réussir. Les enseignants que nous avons suivis ont tous témoigné du fait qu’enseigner en anglais les amenait à davantage réfléchir aux moyens de faire comprendre les concepts aux élèves.
Partant du principe que la langue étrangère représentait un obstacle, ils déployaient d’autres méthodes, plus visuelles, plus explicites, plus progressives ; ils ont d’eux-mêmes reconnus que, à tort, lorsqu’ils enseignent en français, ils pensent que les élèves comprennent, ce qui n’est pas toujours le cas, car le problème n’est pas tant la langue utilisée que la façon dont on amène les élèves à comprendre.
Du côté des enfants, nous avons pu constater qu’eux aussi, se rendant immédiatement compte qu’ils ne comprennent pas, font davantage un effort d’attention que lorsque le cours se déroule en français, qui peut leur donner l’illusion que c’est facile.
D’autres facteurs psycholinguistiques expliquent sans doute que la langue étrangère puisse faciliter l’apprentissage. Comme on l’observe chez les enfants bilingues, devoir passer d’une langue à l’autre favorise la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à passer d’une tâche à une autre, à adapter ses stratégies, donc à apprendre. On sait également que pour accéder aux concepts, on doit passer par la parole. Plus on parle de langues, plus on parle tout court, et plus les enfants ont des chances d’accéder aux concepts qui permettent la connaissance.
Pour un enfant, dire devant toute la classe qu’on ne comprend pas quand la leçon a été présentée en anglais semble normal, l’enseignant va sans doute tenter d’aider l’élève par d’autres moyens ; alors que dire devant ses camarades qu’on n’a pas compris ce que le maître ou la maîtresse vient d’expliquer en français, c’est une autre histoire…
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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