Ankara cherche des alliés pour une intervention au sol en Syrie

Ankara a demandé à ses alliés, dont les Etats-Unis, de prendre part à une opération terrestre en Syrie pour mettre fin à un conflit vieux de cinq ans qui menace désormais de dégénérer en confrontation directe entre la Turquie et la Russie. /Photo d'archives/REUTERS/Umit Bektas

par Tulay Karadeniz et Ece Toksabay ANKARA (Reuters) - Ankara demande à ses alliés, dont les Etats-Unis, de prendre part à une opération terrestre en Syrie pour mettre fin à un conflit vieux de cinq ans qui menace désormais de dégénérer en confrontation directe entre la Turquie et la Russie. L'offensive lancée par l'armée gouvernementale syrienne dans la région d'Alep, avec le soutien de milices chiites soutenues par l'Iran et de bombardements aériens russes, a permis aux forces de Bachar al Assad d'approcher à 25 km de la frontière turque. Plus grave encore aux yeux d'Ankara, les combattants kurdes des Unités de protection populaire (YPG), considérées par la Turquie comme un mouvement terroriste, de surcroît alliées de Damas, ont mis à profit cette offensive pour déloger les rebelles syriens de plusieurs de leurs bastions proches de la frontière. Ce changement de rapport de force dans le nord-ouest de la Syrie, et le cortège de nouveaux réfugiés arrivant dans le même temps à la frontière turque, est inacceptable pour Ankara, qui a tracé ce week-end une ligne rouge devant la ville d'Azaz à coups de tirs d'artillerie visant les Kurdes. "Plusieurs pays, comme nous, l'Arabie saoudite et certains pays d'Europe occidentale ont dit qu'une opération terrestre était nécessaire. Mais il ne serait ni juste, ni réaliste de ne l'attendre que de l'Arabie saoudite, de la Turquie et du Qatar", a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, dans une interview accordée à Reuters. "Si une telle opération doit avoir lieu, elle doit être menée de façon collective, comme les frappes aériennes", a-t-il ajouté en référence aux raids aériens menés en Syrie et en Irak par la coalition mise en place par les Etats-Unis contre l'Etat islamique. "La coalition n'a pas accordé de débat sérieux à la question de cette opération terrestre. Il y a des adversaires, et il y a ceux qui ne veulent pas y participer mais ont exprimé le souhait que la Turquie ou d'autre le fasse", a-t-il dit. Ankara juge que sans une opération au sol, il sera impossible d'en finir avec la guerre en Syrie. RIPOSTE "PROPORTIONNÉE" La Turquie a accusé lundi Moscou de s'être rendu coupable d'un "crime de guerre" après le bombardement de plusieurs hôpitaux et écoles dans les provinces syriennes d'Alep et Idlib et a promis aux Kurdes "la plus vive des réactions" s'ils tentent à nouveau de s'emparer d'Azaz. "Nous ne permettrons pas la chute d'Azaz", a martelé le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu. Les tirs d'artillerie, qui durent depuis quatre jours, ne constituent pour le moment qu'une riposte "proportionnée", a-t-on ajouté mardi de source militaire turque. La Russie a rejeté de son côté les accusations d'Ankara, niant être à l'origine des tirs de missiles qui ont tué des dizaines de civils, notamment à Azaz. "Nous n'acceptons absolument pas de telles déclarations, d'autant plus qu'elles n'apportent aucune preuve à de telles accusations sans fondement", a déclaré aux journalistes le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. La progression des Kurdes a incité la Turquie à sortir de sa réserve, après avoir déjà manifesté son mécontentement face à l'offensive russe en abattant un Soukhoï qui aurait violé son espace aérien en novembre dernier. Ankara considère les YPG, la branche militaire du Parti kurde de l'Union démocratique (PYD), comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), auquel elle livre un combat féroce sur son propre territoire, et craint que l'établissement d'une zone autonome kurde dans le nord de la Syrie n'encourage ses propres séparatistes. "Le PYD est devenu un mercenaire à la solde des projets régionaux de la Russie et sa priorité est de nuire à la Turquie... Le PYD et les YPG ne sont clairement pas les représentants des Kurdes", a déclaré mardi Ahmet Davutoglu aux membres du parti au pouvoir réunis au Parlement. "S'il y a un risque de guerre (régionale) en Syrie, ce n'est pas la Turquie qui l'aura créé", a-t-il affirmé. EMBARRAS DE L'OTAN La confrontation ouverte entre les Turcs et les YPG provoque l'embarras des pays occidentaux, et en premier lieu des Etats-Unis, qui ont jusqu'à présent vu dans les peshmergas kurdes leurs meilleurs alliés sur le terrain pour combattre l'organisation djihadiste Etat islamique (EI), qui contrôle encore de larges pans de territoire dans le nord-est de la Syrie. Alors que deux puissances sunnites régionales, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, dont les alliés syriens sont les grands perdants des derniers développements, se sont dites prêtes à envoyer des troupes au sol en Syrie, dans le cadre d'une coalition internationale, l'Otan tente d'enrayer l'escalade des derniers jours. "Les Kurdes sont partie prenante du conflit en Syrie, mais aussi en Irak, et ils devraient donc faire partie de la solution", a déclaré ce week-end le secrétaire général de l'Alliance, Jens Stoltenberg, pendant la conférence internationale sur la sécurité de Munich. Le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a de son côté appelé la Turquie et la Russie à désamorcer la crise. "J'espère que Moscou et Ankara vont adhérer, sur le plan militaire et politique, aux engagements pris (vendredi) à Munich et que l'on va assister à une réduction mesurable des activités militaires avant même la conclusion d'un accord définitif sur un cessez-le-feu", a-t-il dit. Soucieuse d'amadouer le président turc Recep Tayyip Erdogan, la chancelière Angela Merkel s'est prononcée pour la première fois, lundi, en faveur de la création d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie, le long de la frontière turque, une revendication de longue date d'Ankara qui dit vouloir éviter ainsi l'afflux de réfugiés sur son territoire. Damas et Moscou rejettent cette idée, estimant qu'elle permettrait avant tout aux rebelles de se renforcer. (avec Humeyra Pamuk à Istanbul et Darya Korsunskaya à Moscou; Tangi Salaün et Henri-Pierre André pour le service français)