« Anatomie d’une chute » : cette scène intense était très redoutée par Justine Triet
CINÉMA - On l’entend avant de la voir. Puis pendant une dizaine de minutes, la tension monte jusqu’à exploser. La scène de dispute d’Anatomie d’une chute, sorti ce mercredi 23 août, cristallise à elle seule toute la tension du film de Justine Triet, qui a remporté la Palme d’Or du Festival de Cannes 2023.
Sandra Hüller y joue Sandra, une écrivaine allemande mariée à Samuel (Samuel Theis), un prof français. Le couple vit loin de tout à la montagne avec leur fils malvoyant de onze ans, jusqu’à la mort de Samuel, après une chute fatale du deuxième étage. Une enquête pour mort suspecte est ouverte et Sandra se retrouve au cœur d’un procès ultra-médiatisé.
Anatomie d’une chute examine la vie du couple sans jamais montrer le mari à l’écran, hormis son cadavre et quelques photos de famille. Lorsqu’il apparaît enfin, dans une scène de flash-back, à plus de la moitié du film, c’est un grand moment de cinéma.
« C’est une scène que je redoutais énormément au tournage », confie Justine Triet dans notre interview vidéo en tête d’article. « Étant donné que ce personnage, on ne le voit jamais, la scène arrive à une heure et demie de film et on la tease pendant très longtemps, j’avais peur de décevoir », nous dit la réalisatrice.
Scène de ménage
La scène démarre « avec une certaine douceur » mais rapidement, la conversation du couple tourne à la dispute. Chaque mot est pesé, l’intensité de chaque cri mesurée, et le résultat est si réaliste qu’on oublie regarder un film.
Selon la réalisatrice, cette scène a été l’une des plus longues à écrire. « On a échangé beaucoup de versions entre mon coscénariste et moi, on n’était pas d’accord sur le fond de cette dispute », raconte-t-elle à propos d’Arthur Harari, son mari avec qui elle a écrit le film.
Le tournage, qui a duré deux jours, s’est révélé aussi intense que le contenu de la scène. Justine Triet se souvient d’un moment « assez fou, l’un des plus intenses du tournage ». Physiquement, les plans séquences de plus de dix minutes étaient épuisants pour les techniciens.
Et émotionnellement, la scène a demandé à l’équipe du film « un état vraiment particulier ». « Les acteurs étaient tellement intenses », explique la cinéaste. « Le texte a résonné différemment pour chacun des deux, mais très fort, ce qui fait que je n’ai quasiment pas eu à les diriger ».
Du son à l’image
La scène et le film questionnent les rapports de force dans le couple. Sandra Hüller incarne une femme indépendante, plus accomplie professionnellement que son mari et libérée sexuellement. Le personnage de Samuel Theis lui reproche sa carrière d’écrivain avortée pour s’occuper de leur fils.
« Ce que je trouve intéressant, c’est que c’est un couple qui essaie d’être à égalité, il y a quelque chose d’assez moderne là-dedans », estime Justine Triet. « Il y a le désir d’être à égalité et ça ne marche pas. Et c’est ce déséquilibre infernal, insupportable qui est à l’origine de leur discorde ».
Les spectateurs ont droit à un aperçu privilégié dans l’intimité de leur vie conjugale. Mais cette scène montre ce que les jurés du film ne font qu’entendre. Après la mort de Samuel, un enregistrement sonore de la dispute est retrouvé par la police sur une clé USB. « C’est un caprice de metteur en scène d’aller vous montrer la scène », s’amuse Justine Triet. « En réalité, les gens dans la salle n’entendent que le son ».
De la même manière qu’il s’agit d’une pièce à conviction essentielle dans le procès, la scène de la dispute devient le point culminant d’Anatomie d’une chute. Habillement, Justine Triet met le spectateur à la place des jurés et nous fait douter de ce qu’elle vient de nous montrer. Pour mieux nous laisser décider.
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