Amnesty International alerte : les « libertés civiles » sont de retour à un niveau d’avant la chute du Mur de Berlin

Des Palestiniens à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 avril 2024, dans le cadre du conflit en cours dans le territoire palestinien entre Israël et le groupe militant Hamas.
- / AFP Des Palestiniens à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 avril 2024, dans le cadre du conflit en cours dans le territoire palestinien entre Israël et le groupe militant Hamas.

DROITS - « Les atteintes aux droits humains ont été d’une ampleur considérable en 2023 », résume Amnesty International dans son rapport annuel. L’ONG fait le bilan, après un an d’enquête et 155 pays analysés par plus de 80 chercheurs et chercheuses indépendants, et souligne « la défaillance des mécanismes internationaux ».

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« Le nombre de personnes vivant dans des démocraties (c’est-à-dire, de façon générale, dans des pays où s’applique l’État de droit, où l’exécutif est soumis à un contrôle exercé par les pouvoirs législatif et judiciaire, et où les libertés civiles sont respectées) est revenu en 2023 au niveau de 1985, soit avant la chute du Mur de Berlin, avant la libération de Nelson Mandela et avant la fin de la Guerre froide, alors synonyme d’un espoir d’ouverture vers une ère nouvelle pour l’humanité », alerte l’ONG en introduction du rapport, publié ce mercredi 24 avril.

Voici les principaux points à retenir de ce (sombre) état des lieux.

• Les civils, des pions « sacrifiés sur l’échiquier des conflits armés »

Que ce soit en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, au Soudan, en Éthiopie, au Myanmar, en Syrie, au Sahel, en Ukraine ou en République du Congo, l’ONG souligne que les civils « pris dans les conflits paient le prix fort, sur fond de violations du droit international par les États ».

« Ce mépris flagrant pour le droit international affiché par les États parties au conflit est exacerbé par l’incapacité des États membres des institutions internationales à mettre un terme aux bains de sang infligés aux populations civiles, ajoute Amnesty. Cette inertie menace d’extinction l’ordre mondial fondé sur le droit créé au lendemain de la Seconde guerre mondiale. »

• À Gaza, des « signes avant-coureurs d’un génocide »

Contexte oblige, Amnesty International met l’accent sur Gaza dans son rapport, décrivant « une descente vers un enfer dont les portes avaient pourtant été verrouillées en 1948 ».

Le document pointe « de nombreux signes avant-coureurs d’un génocide » : propos racistes et déshumanisants de la part de certains représentants du gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens, déplacements forcés de plus de 80 % de la population de la bande de Gaza, mise en place d’un blocus illégal, bombardements de camps de réfugiés bondés et de bâtiments résidentiels, ou encore destruction des écoles, des hôpitaux et d’autres infrastructures essentielles.

Amnesty poursuit et explique les principes inscrits dans la Charte des Nations unies, les Conventions de Genève, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et le droit international relatif aux droits humains « ont été bafoués » au cours de la réponse à l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas.

Selon l’ONG, « Israël n’est cependant pas le seul coupable ». « Les États-Unis ont aussi joué un rôle déterminant, comme certains dirigeants européens et les responsables de l’Union européenne » dénonce Amnesty, soulignant une fois de plus la politique du « deux poids, deux mesures ».

• La menace des nouvelles technologies

« Les technologies nouvelles ou existantes ont de plus en plus été utilisées comme armes au service de forces politiques répressives dans le but de diffuser de la désinformation, de dresser les communautés les unes contre les autres et d’attaquer les minorités », dénonce Amnesty. Que ce soit aux États-Unis, où l’élection présidentielle approche, ou ailleurs.

En France, la loi autorisant l’introduction de surveillance associée à l’intelligence artificielle, que les autorités présentent comme « expérimentale » et gage de sécurité lors des Jeux olympiques et paralympiques 2024, risque en outre d’étendre « de manière excessive les pouvoirs de police en élargissant l’arsenal des équipements de surveillance de façon permanente », redoute l’ONG.

« Les gouvernements doivent interdire immédiatement les logiciels espions et la technologie de reconnaissance faciale, qui sont extrêmement intrusifs. Ils doivent prendre des mesures législatives et réglementaires fermes pour lutter contre les risques et les préjudices liés aux technologies de l’IA. Ils doivent aussi encadrer les géants de la technologie, en particulier en remédiant aux dangers inhérents au modèle d’activité fondé sur la surveillance » résume Amnesty.

• L’égalité des genres et les droits sexuels et reproductifs en danger

En dépit des progrès accomplis dans certains pays, les réactions violentes contre les droits des femmes, des filles et des personnes LGBTI se sont intensifiées, constat encore l’ONG. « Le retour en arrière s’est accentué en 2023 et bon nombre d’acquis de ces 20 dernières années se sont retrouvés menacés », souligne Amnesty.

En Afghanistan par exemple, les talibans se livrent à un « potentiel crime contre l’Humanité fondé sur le genre ». En Iran, les femmes qui refusent le port obligatoire du voile sont « traquées et harcelées ». Aux États-Unis, 21 États ont interdit ou sévèrement limité l’accès à l’avortement. En Ouganda, une loi « anti-homosexualité » inquiète le monde entier. Tandis qu’en Pologne, au moins une femme serait morte en 2023 faute d’avoir eu accès à des services d’avortement.

« Par ailleurs, l’hostilité envers les personnes LGBTI s’est intensifiée dans de nombreux pays et 62 pays ont encore des lois érigeant en infraction pénale les relations sexuelles entre personnes de même sexe », résume Amnesty.

• Les populations marginalisées touchées par les crises économiques et le changement climatique

« Les crises économiques, le changement climatique et les dégradations de l’environnement ont touché de manière disproportionnée les populations marginalisées », selon l’ONG, qui note que « cet impact disproportionné s’explique par plusieurs facteurs, dont les effets cumulés de discriminations structurelles et directes, passées ou présentes. »

Par conséquent, dans le monde entier, des communautés marginalisées n’ont pas toujours les moyens ni la possibilité d’accéder à des médicaments et à d’autres biens ou produits de première nécessité, notamment à l’eau potable, à une nourriture suffisante et à l’énergie.

L’ONG liste dans ce chapitre certains des « groupes racisés, notamment les peuples autochtones et d’autres communautés victimes de discrimination intersectionnelle » tels que les Rohingya au Myanmar, qui ont tout particulièrement souffert du passage du cyclone Mocha, ou encore les populations paupérisées du Pakistan, premières victimes des vagues de chaleur.

• L’érosion des droits humains en France

La situation des droits humains en France a continué en 2023 son « érosion » termine Amnesty International. L’ONG basée à Londres s’inquiète notamment des coups portés selon elle à la liberté de manifester. Lors de rassemblements pour contester la réforme des retraites ou des projets de mégabassine (réservoirs d’eau), ou en soutien aux Palestiniens - quand ils ont été autorisés -, les autorités ont recouru de façon « abusive à la force dans le maintien de l’ordre », déplore-t-elle, citant « des dispersions violentes et des matraquages aveugles ».

Sur la question de la liberté d’expression, « on demande depuis des années le fait que ces délits d’apologie du terrorisme soient abrogés dans les lois », a confié Nathalie Godard, directrice de l’Action d’Amnesty International France à l’AFP. « Il faut limiter la liberté d’expression sur les questions d’appel à la haine, mais l’apologie du terrorisme, c’est une infraction qui est définie de manière extrêmement vague et subjective, et qui donc représente en soi un risque d’atteinte à la liberté d’expression », ajoute-t-elle.

Cette question est de nouveau au cœur de débats politiques après l’annonce de la convocation de la cheffe des députés LFI Mathilde Panot par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme ».

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