« Ambiguïtés avec l’islamisme radical » : ce que cachent les attaques d’Elisabeth Borne visant la LDH

Dans le sillage de Gérald Darmanin, la Première ministre a instruit un procès en dérive visant l’association centenaire.

Malgré le caractère flou de cette attaque, celle-ci est particulièrement infamante. « Ambiguïtés avec l’islamisme radical », voilà ce que la Première ministre Élisabeth Borne a lâché, au détour d’une réponse sur les menaces à peine voilées de Gérald Darmanin au sujet de la Ligue des Droits de l’Homme en marge des affrontements déplorés à Sainte-Soline.

« J’ai beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné » mais « je ne comprends plus certaines de ses prises de position », a déclaré la cheffe du gouvernement, en pointant donc ces fameuses « ambiguïtés », sans pour autant s’étendre sur le sujet ou appuyer son propos sur des exemples concrets étayant ce constat. Mais qu’est-il reproché au juste à l’association de défense des droits de l’homme ?

Un procès en « dérive »

Depuis la menace exprimée par Gérald Darmanin, plusieurs détracteurs de l’association, créée au moment de l’affaire Dreyfus en 1898, affirment que la LDH a opéré une sorte de virage au mitan des années 2000, en épousant les luttes antiracistes touchant les personnes issues de l’immigration. Ce qui aurait conduit l’association à se focaliser sur les discriminations et l’islamophobie, au risque de se montrer, selon les mêmes, complaisante avec l’islamisme.

À l’appui, cette tribune publiée par deux ex-membres de la LDH, Antoine Spire et Cédric Porin, dans Le Monde en 2006. « Sans distance à l’égard du mouvement social, trop souvent ambiguë ou même compromise à l’égard d’un intégrisme islamiste dangereux, et en recul sur la lutte contre l’antisémitisme ou la défense de la liberté d’expression, la Ligue a perdu sa légitimité d’autorité morale de la République », écrivaient les auteurs, dénonçant la « dérive » de l’association.

Autre reproche fait à la LDH sur ce terrain, son « combat pour la défense de la burqa », selon le député du Lot Aurélien Pradié, en référence aux débats qui ont agité la France au moment de la loi interdisant le port de ce vêtement en 2010. Plus récemment, c’est l’avocat Richard Malka qui tirait à boulets rouges sur l’association, dont il déplorait l’absence au procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. L’essayiste Caroline Fourest, également représentante de cette « laïcité de combat » dite « intransigeante », est plusieurs fois montée au créneau contre l’association, au sujet entre autres du soutien apporté au Collectif contre l’islamophobie en France au moment de sa dissolution, lancée après l’assassinat de Samuel Paty.

Des accusations fondées ?

Face à ces accusations, la Ligue des droits de l’Homme a toujours répondu la même chose, à savoir que le cœur de son action était la défense de l’État de droit contre l’arbitraire. « Elle combat les injustices, le racisme, le sexisme, l’antisémitisme et les discriminations de tous ordres. Elle s’intéresse à la citoyenneté sociale et propose des mesures pour une démocratie forte et vivante, en France et en Europe. Elle défend la laïcité contre les instrumentalisations xénophobes, les libertés, l’égalité des droits et la fraternité comme fondement d’une société fraternelle et, donc, solidaire », peut-on lire sur son site.

Au moment où Antoine Spire et Cédric Porin avaient annoncé leur départ de la LDH en 2006, l’avocat Henri Leclerc, alors président d’honneur de l’association, avait publié une réponse sévère dans Le Monde, dans laquelle il accusait les deux démissionnaires de « travestir la vérité », en démontant plusieurs exemples cités par les signataires.

Quant à la « défense de la burqa » évoquée à droite, il s’agit, a minima, d’une surinterprétation de la position de la LDH à l’époque. Le 21 mars 2010, l’association a publié sa position sur le voile intégral, décrit comme une « négation rédhibitoire de la personne ». Pour autant, l’association dénonçait le dispositif législatif conduisant à son interdiction.

« Réglementer les costumes et les coutumes est une pratique dictatoriale ; que ce soit de façon discriminatoire, pour signaler une population donnée, ou au contraire par l’imposition d’une règle universelle. Obliger les femmes à porter le voile comme leur interdire de cacher leur visage (sauf dans les cas prévus où l’identité doit être prouvée) est également liberticide », écrivait la LDH, qui n’était pas la seule à l’époque à dénoncer cette loi.

Concernant ses liens avec le CCIF (association dissoute après l’assassinat de Samuel Paty) les détracteurs de la LDH soulignent de nombreuses actions communes, en citant des actions judiciaires visant à suspendre l’interdiction du burkini sur les plages, ou sa participation à la marche contre l’islamophobie en novembre 2019.

Mais là encore, la LDH disait défendre le droit. Ce qui avait été notamment confirmé au sujet du burkini par le Conseil d’État, qui avait considéré en 2016 que les arrêtés interdisant ce vêtement portaient « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Même chose au moment de la dissolution du CCIF. La LDH a dénoncé une « décision politique », tout comme d’autres collectifs a priori étrangers à l’islamisme radical, comme la Quadrature du Net où le Syndicat des avocats de France.

Pourquoi ces accusations ressortent

Au-delà des positions de l’association, le réveil des critiques sur ses « ambiguïtés avec l’islamisme radical » apparaît assez éloigné du motif pour lequel Gérald Darmanin a l’association dans le viseur et qui a mis la LDH sous le feu des projecteurs : la manifestation de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, le 25 mars dernier.

En cause, l’enregistrement qui nourrit la théorie de l’entrave à l’intervention des secours commise par les forces de l’ordre. Une accusation grave alors que deux manifestants étaient dans le coma à la suite des affrontements et que l’action des gendarmes déployés sur place nourrit d’intenses débats sur le caractère proportionné (ou non) de la force.

Au Sénat, Élisabeth Borne a d’ailleurs reproché à la LDH d’avoir « attaqué un arrêté interdisant le transport d’armes par destination à Sainte-Soline » avant d’évoquer ses « prises de position » vis-à-vis de l’islamisme. Une façon de reprendre, sans le dire, la rhétorique de la « dérive » ciblant une LDH qui aurait trahi ses fondements. L’association a bien déposé un référé-liberté contre cet arrêté préfectoral, mais pour une raison bien précise : « la formulation de ces arrêtés permet en réalité l’interpellation de toute personne en possession d’un quelconque objet ».

La Ligue des droits de l’Homme prenait d’ailleurs soin de préciser ses intentions dans son communiqué : « s’il n’est bien entendu pas envisageable pour la LDH de contester des arrêtés interdisant le port d’armes, la rédaction des articles premiers des arrêtés contestés a pour objet d’autoriser les forces de police à infliger une contravention à toute personne présente sur ce territoire qui serait titulaire d’objets du quotidien susceptibles de constituer une arme par destination ».

Une vision des choses qui ne méritent pas tant de remontrances, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Dans un courrier adressé à la Première ministre, cette autorité indépendante a vigoureusement condamné les propos de Gérald Darmanin, dont le discours visant à « dénigrer les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile » n’est pas sans rappeler « celui largement utilisé par les autocraties à l’égard des défenseurs des droits de l’Homme ».

Une lettre qui n’a manifestement pas touché Élisabeth Borne, qui a repris à son compte les attaques visant la LDH, une association qui subissait jusque-là sur le plan politique des attaques venant quasi exclusivement du Rassemblement national, de Hénin-Beaumont à Mantes-la-Ville en passant par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

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