Aline Le Guluche, illettrée jusqu’à 50 ans : “Cet enseignant m'a dégoûtée de l'école, il a fait de moi une serpillière”

Aline Le Guluche a appris à lire à 50 ans après avoir caché à tous son illettrisme pendant des années. Pour Yahoo, elle a accepté de se livrer sur son parcours, revenant notamment sur son impasse scolaire, ses embûches professionnelles et sur la honte sociale ressentie. Un témoignage touchant et inspirant.

Une personne sur quatre est atteinte d’un trouble psychique à un moment de sa vie. Et la pandémie de Covid-19 a encore renforcé ces troubles. Pour briser le tabou, personnalités et anonymes se confient au micro de Yahoo dans "Tourments", le nouveau format de Yahoo.

À 62 ans, elle est désormais libre et autonome. Après avoir franchi de nombreux obstacles, Aline Le Guluche a enfin gagné son combat contre l’illettrisme, un phénomène qui concerne 2,5 millions de personnes en France. Égérie de la Fondation "Write her future" de Lancôme et porte-parole de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, elle est l’autrice de deux ouvrages sur le sujet dont le dernier (“Mon combat contre l’illettrisme”, ed. Prisma) est sorti le 7 septembre dernier. Pour Yahoo, elle a accepté de se livrer sur son histoire, revenant notamment sur son enfance, sa carrière, son parcours sentimental et sur ses nombreuses déconvenues. Une véritable leçon de courage et de résilience (Retrouvez l'intégralité de l'interview en fin d'article).

Comme elle le raconte, Aline vient d’un milieu paysan. Pour sa famille, la priorité est de travailler, de s’occuper des champs et de la ferme afin de se nourrir. Mais à l’âge de six ans, la jeune fille est contrainte d’aller à l’école, une étape obligatoire pour tous les enfants. “Je n’avais jamais tenu un stylo, ni jamais ouvert un livre”, se remémore-t-elle, tout en expliquant avoir vécu un véritable calvaire à cause de sa dyslexie, un mal dont elle n’avait pas encore conscience. Son enseignant est “maltraitant”. Constamment frappée et punie, elle n’a plus l’envie d’apprendre. “Il m'a dégoûtée de l'école. Il m'a enlevé ma confiance en moi et a fait de moi une serpillière qui n'avait plus envie de rien”.

Par chance, il quitte l’établissement, une aubaine pour la jeune fille qui se retrouve avec un tout nouveau professeur, bien plus empathique. Lui comprend son problème et s’adapte à son handicap. Mais la lecture n’est toujours pas acquise et Aline perd pied lorsqu’elle se retrouve confrontée à d’autres professeurs, bien moins patients. “Pour eux, si je n’arrivais pas à écrire, c’est que j’étais bête”. Finalement, elle quitte l’école à l’âge de 16 ans et décide de gagner sa vie. Mais décrocher un travail sans savoir lire ni écrire relève du parcours du combattant. Elle y parvient malgré tout et reste jusqu’à ses 28 ans dans une usine de pâtisseries.

Entre-temps, Aline se marie et devient, sans en prendre réellement conscience, dépendante de son époux. Mais c’est lorsqu’elle devient maman qu’elle commence à réaliser l'étendue de son problème. “Comment lire des histoires à un enfant lorsqu’on ne sait pas lire ?”, s’interroge-t-elle, expliquant devoir trouver constamment des subterfuges pour faire illusion. “Je ne voulais surtout pas qu'ils aient un soupçon, le moindre soupçon, sur mes incompétences. Je ne voulais pas qu'ils me regardent comme si j'étais bête”. Malgré tout, la jeune femme n’est pas réellement à l’aise avec sa situation et craint quotidiennement que son secret soit percé à jour.

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En plus de son malaise, l’harmonie familiale n’est plus au rendez-vous. “Comme je suis illettrée, mon mari a cru qu'il était beaucoup plus facile de me diriger, de me commander, d'être supérieur à moi, de me manquer de respect”, confie-t-elle, expliquant avoir échappé de peu à la mort. Victime de violences conjugales, elle prend conscience de la dangerosité de son époux lorsqu’il tente de la tuer avec un fusil.

Mais à son grand désarroi, les ennuis continuent suite à son divorce. Un nouvel homme entre dans sa vie, un homme “qui savait utiliser son intelligence à mauvais escient”. Bien conscient de son illettrisme, il en use pour lui faire signer des crédits immobiliers sans qu’elle soit propriétaire de quoi que ce soit. “J’ai coulé plusieurs années avec cette personne sans me rendre compte de son abus”. Finalement, elle finit par découvrir la supercherie et le quitte.

VIDÉO - Aline Le Guluche, illettrée jusqu’à 50 ans : “J'ai décidé de ne plus marcher à l’ombre, je n’ai plus honte”

Une supercherie qu’elle découvre grâce à son retour sur les bancs de l’école. “Je voulais y retourner car je ne comprenais pas ce qui se passait. J’étais de plus en plus mal dans ma peau”, se rappelle-t-elle. Alors, pour renverser la tendance, elle décide donc de parler de son projet aux Ressources humaines de l’hôpital où elle travaille. Et, quelques semaines plus tard, ils finissent par lui trouver une école sur Paris, une école pour adultes que l’ANFH à mis en place.

Au total, elle y reste six mois. “Ce n’est pas assez mais ça m’a permis d’aller mieux, de me remettre un peu à niveau avec les verbes, les mots invariables, de reprendre confiance en moi”. C’est là-bas que le déclic se produit. “J’ai décidé de ne plus marcher à l’ombre, de marcher la tête haute au soleil”. Aujourd’hui, Aline a 62 ans et traverse la France de long en large pour aller voir les personnes en situation d'illettrisme. Bien dans sa peau et dans sa tête, elle se dit “très heureuse” d’en être arrivée là. “Je suis assez fière de ce que je suis devenue. Je suis glorieuse”, confie-t-elle tout en expliquant ne ressentir aucune “honte”. “Ce sont les autres qui devraient avoir honte”.

Retrouvez en intégralité l'interview d'Aline Le Guluche