Comment Alexeï Navalny était devenu, en quelques années, le principal opposant de Vladimir Poutine
"On a tué un symbole", résume Olivier Védrine, rédacteur en chef du journal d'opposition russe Russian Monitor. Alexeï Navalny était devenu, en une dizaine d'années, la principale figure d'opposition en Russie. De l'ouverture de son blog anticorruption à son récent emprisonnement dans une colonie pénitentiaire en passant par son empoisonnement sous les caméras du monde entier, BFMTV.com revient sur la genèse de cette voix forte mais isolée, dont les autorités pénitentiaires russes ont annoncé, ce vendredi 16 février, la mort.
Les premières prises de position de cet opposant russe de 47 ans se concentrent sur la lutte contre la corruption. Dès 2007, il achète des actions d'entreprises semi-publiques pour accéder à leurs comptes et exiger leur transparence. Sur son blog, il traque des faits de corruption dans l'administration. La même année, il est exclu du parti d'opposition libéral Iabloko pour ses prises de positions ultra-nationalistes.
Candidat à la mairie de Moscou
Alors qu'en 2011, des manifestations anti-Poutine voient le jour, dans un contexte post élections législatives, Alexeï Navalny prend la tête du mouvement, dont les rassemblements sont d'une ampleur inédite. L'occasion pour lui d'écoper de ses premières peines de prison et de créer la Fondation anti-corruption (FBK). En 2013, il devient le visage de l'opposition à Moscou en remportant 27,2% des voix à l'élection pour la mairie, face à un maire sortant considéré comme proche de Poutine.
Dans une vidéo qu'il publie sur Youtube au fort retentissement, il accuse le Premier ministre de l'époque, Dmitri Medvedev, d'être à la tête d'un empire immobilier financé par des oligarques. En quelques années, il multiplie ces vidéos incriminant le pouvoir en place. Une situation assez inédite dans le pays, analyse Paul Gogo, consultant Russie pour BFMTV. "Ce sont des vidéos vues par des millions de personnes dans lesquelles il s'attaque frontalement à Vladimir Poutine, ce qui n'arrive plus en Russie", explique l'expert.
Empoisonné en 2020
En 2018, il tente de se porter candidat à l'élection présidentielle.
"Il était parvenu à créer une forme d'élan de la part de la jeunesse, à faire campagne à travers tout le pays, à ouvrir des bureaux de campagne, ce qui était une première: personne ne fait ça pendant les élections russes", ajoute Paul Gogo.
La tentative échoue cependant, sa condamnation dans une affaire pour détournement d'argent le rendant inéligible. "Nous allons appeler tout le monde à boycotter ces élections, nous ne reconnaîtrons pas les résultats", avait aussitôt annoncé Alexeï Navalny à la presse.
Le tournant qui encre définitivement Alexeï Navalny comme la principale figure d'opposition en Russie se produit le 20 août 2020, lorsqu'il échappe de peu à la mort, à la suite d'un empoisonnement lors d'une visite de soutien pré-électorale à ses collaborateurs locaux. Hospitalisé dans un état grave en Sibérie, il est transféré dans le coma à Berlin à la demande de ses proches. L'Allemagne conclut alors à un empoisonnement par une substance de "type Novitchok", produit neurotoxique développé à des fins militaires à l'époque soviétique. L'opposant accuse ouvertement Poutine d'en être le responsable.
Prix Sakharov
Après sa convalescence, il rentre en Russie en janvier 2021 et est immédiatement arrêté à Moscou, ce qui provoque la colère de milliers de sympathisants, qui battent le pavé en signe de protestation. Il est envoyé dans une colonie pénitentiaire à Pokrov, située à 100 kilomètres à l'est de Moscou. C'est dans ce contexte que le 20 octobre 2021, il reçoit le prix Sakharov de défense de la liberté de pensée.
Jugé coupable d'"escroquerie" et "outrage à magistrat", il est condamné à neuf ans de prison. En 2023, il est également condamné à 19 ans de prison dans une colonie pénitentiaire aux conditions très difficiles. Un verdict largement dénoncé par les ONG et une grande partie de la communauté internationale. Et pour cause, en Russie, la quasi-totalité des opposants d'envergure sont emprisonnés ou en exil.
Depuis sa prison, son influence sur la vie politique russe diminue largement.
"Il n'avait plus beaucoup de moyens pour parler aux Russes depuis qu'il était emprisonné, mais surtout parce que ses partisans sont harcelés, en Russie comme à l'étranger. Plus personne ne pouvait porter sa voix en Russie, il n'était plus entendu", analyse Paul Gogo au micro de BFMTV.
Après presque trois semaines sans nouvelle, sa porte-parole avait indiqué, le 25 décembre dernier, que le dissident politique se trouvait dans une colonie pénitentiaire de Kharp, dans l'Arctique russe. C'est dans cette prison qu'il a été retrouvé mort, selon les autorités pénitentiaires locales, après près de 20 ans d'une lutte politique acharnée.