Alain Damasio: écrire avec "la volonté de changer les choses"

Alain Damasio, auteur et scénariste de science-fiction, le 10 avril 2024 à Paris (Emmanuel DUNAND)
Alain Damasio, auteur et scénariste de science-fiction, le 10 avril 2024 à Paris (Emmanuel DUNAND)

Alain Damasio en est convaincu : "les auteurs de science-fiction sont les seuls à écrire à la vitesse de ce qui est en train de se passer". Pourtant, son nouveau livre, inspiré d'un reportage sur la Silicon Valley, s'éloigne de son style de prédilection.

Rien ne prédestinait ce garçon né dans une paisible banlieue de Lyon, d'un père carrossier et d'une mère agrégée d'anglais, passionné de foot, à embrasser la science-fiction et à devenir l'un des rares auteurs français du genre connu du grand public.

"Pour moi, la SF, c'est d'abord des BD comme celles de Moebius ou de Druillet, puis des films, Star Wars, etc. Mais, pour être honnête, ça ne m'intéressait pas tellement", admettait l'écrivain de 54 ans à l'AFP, à la veille de la parution vendredi de "Vallée du silicium" aux Editions du Seuil.

L'écriture est d'abord un moyen de fuir un quotidien monotone : "Ma banlieue n'était ni belle ni pourrie, mais c'était un milieu qui manquait de passion, d'originalité. J'ai eu besoin de faire appel à l'imaginaire pour sortir de cette médiocrité, pour vivre des choses plus intenses".

Puis, il écrit par conviction : "J'ai commencé à lire sur le tard. Je lisais Foucault, Deleuze, de la philosophie politique et, à un moment, j'ai eu besoin de me révolter, de m'insurger contre le contrôle social, la société de consommation et ses affres".

Ces thèmes sont ceux de son premier roman, "La zone du dehors" (1999), qui lui vaut un premier succès de librairie. Ils sous-tendront le reste de son oeuvre.

"Je suis venu à l'écrit par la politique, c'est indiscutable. Je n'aurais jamais écrit un livre si je n'avais pas eu la volonté de changer les choses", développe-t-il.

Son roman "La horde du contrevent" (2004), vendu à 400.000 exemplaires, lui vaut une place parmi les incontournables de la science-fiction française.

- L'IA, un basculement -

"La science-fiction permet de poser un cadre, des enjeux, et d'aller au bout des choses. C'est le genre spéculatif par excellence, qui permet de réfléchir, d'imaginer", commente-t-il.

En 2020, Alain Damasio est invité par la Villa Médicis à faire une résidence d'écriture aux Etats-Unis. Il demande immédiatement à visiter la Silicon Valley.

Sous la forme de petits reportages, de méditations sur l'innovation et les produits numériques de masse, il s'inquiète du rôle que les nouvelles technologies sont amenées à jouer dans le futur de nos sociétés, et plus particulièrement l'intelligence artificielle.

"J'ai eu l'intuition, en 2007 ou en 2008, que ce serait un enjeu fondamental. Que cette intelligence artificielle personnalisée serait un basculement qui allait nous donner un alter ego, une interface par laquelle passera systématiquement ton rapport au monde, un miroir numérique extrêmement subtil que tu auras entraîné toi-même".

Au risque d'en devenir prisonnier.

"Je parle de choses dont les auteurs de littérature contemporaine ne parlent pas parce qu'ils sont sur des problèmes plus anciens, universels. Mais qui occultent le thème-clef du moment, le thème crucial qu'est notre rapport à la technique au quotidien", estime l'auteur.

Dans la nouvelle qui conclut son nouveau livre, il a utilisé le modèle d'intelligence artificielle phare ChatGPT pour restituer au mieux "la langue moyenne, super chiante" d'une IA. "Il y a quinze ans, je me serais sans doute planté. J'aurais écrit sur un ton glacial, froid et robotique. Mais ça aurait été complétement ringard aujourd'hui, parce que l'intelligence artificielle  est en fait un agrégé de notre propre production".

Pour autant, l'auteur, qui vit sans téléphone portable, en communauté dans les montagnes des Alpes-de-Haute-Provence, ne se veut pas alarmiste.

"Je ne suis pas d'un naturel inquiet. Mais je pense que ce qui va se passer, c'est une chute du niveau de confort occidental, qu'on va sortir de l'orgie du tout-technologique, peut-être avec l'épuisement des métaux rares. Et ce sera plutôt une bonne nouvelle, parce qu'on arrivera ainsi à une sorte de sobriété naturelle, à une voie peut-être un peu moins délirante que celle que l'on connaît aujourd'hui".

pim/pel/or