Agriculteurs : le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, défend son camp et avance sa méthode - INTERVIEW

« On nage dans l’hypocrisie » : les leçons de Grégory Doucet (ici en juillet 2023), le maire écolo de Lyon, sur la crise agricole.
LUDOVIC MARIN / AFP « On nage dans l’hypocrisie » : les leçons de Grégory Doucet (ici en juillet 2023), le maire écolo de Lyon, sur la crise agricole.

POLITIQUE - Le maire des batailles. Grégory Doucet a beau être l’édile de Lyon, la troisième ville de France davantage reconnue pour ses bouchons que ses exploitations paysannes, l’écologiste a des choses à dire sur la crise agricole qui secoue le pays depuis bientôt deux semaines.

Les Verts sont-ils responsables de tous les malheurs dans les campagnes ? Faut-il revoir les normes européennes conspuées à travers l’Europe ? Les réponses du gouvernement vont-elles dans le bon sens ? Interrogé par Le HuffPost, le maire de Lyon défend son action pour une alimentation locale, fustige « l’hypocrisie » de la classe politique sur les traités commerciaux et s’élève contre l’agribashing.

Le HuffPost : Comment jugez-vous les réponses de l’exécutif à la crise agricole ?

Grégory Doucet : Un certain nombre de choses ne sont pas nouvelles. Le Premier ministre dit qu’il veut accélérer la mise en œuvre de la loi Egalim et aller vers 50 % d’alimentation locale et 20 % de bio. Très bien. Je me réjouis qu’elle soit mieux appliquée par l’État, mais on pourrait espérer des autorités qu’elles soient déjà engagées sur son application sans attendre une crise agricole. Aujourd’hui, dans les crèches lyonnaises, on est à 100 % de bio et 80 % de local. Les mots d’amour, c’est bien. Les preuves, c’est mieux.

Emmanuel Macron a confirmé la réticence de la France à signer l’accord entre l’UE et le Mercosur. Cela doit vous satisfaire ?

Je ne peux que me réjouir de l’annonce sur le Mercosur. Vous savez mon opposition à ces traités qui sont pour une grande partie des aberrations. Mais il faut être cohérent et questionner l’ensemble de ces accords. Celui signé avec la Nouvelle-Zélande et soutenu par le groupe LREM au Parlement européen prévoit par exemple l’importation de 38 000 tonnes de viande à l’heure où on connaît l’importance de réduire notre consommation et où la production française et européenne apparaît suffisante.

Je souhaite que les maires puissent faire valoir une clause de localité de nos achats publics pour les produits agricoles

Notre agriculture ne peut pas être une monnaie d’échange. Il faut une exception agricole française et la sortir des traités commerciaux pour qu’elle ne soit plus une variable d’ajustement permettant de vendre d’autres produits.

Malgré les annonces du gouvernement, la fronde agricole pourrait se poursuivre. À Lyon, certains accès à la ville ont été bloqués. Soutenez-vous cette mobilisation ?

Étant maire de la capitale mondiale de la gastronomie, mon soutien pour ceux qui nous nourrissent n’est pas nouveau. C’est ma responsabilité d’aider ceux qui produisent autour de notre ville. Quand on transforme la restauration scolaire (26 000 repas par jour), pour y mettre plus de bio, plus de local, quand on travaille notre cahier des charges avec des associations d’agriculteurs, on sécurise leur revenu et on leur donne de la visibilité. On renforce les filières et donc notre terroir. L’impact de nos commandes publiques est considérable.

Quand on est responsable politique, aller s’exhiber devant les caméras ne me semble pas être le plus utile pour aider l’agriculture française. Transformer les cantines, défendre une exception agricole française et un système d’achat local, oui.

Quels sont les autres leviers à l’échelle locale ?

Je souhaite que les maires puissent faire valoir une clause de localité de nos achats publics pour les produits agricoles. Voilà une mesure que le gouvernement devrait mettre en place.

Il faut sauver nos terres agricoles et se garder de remettre en question le ZAN (« zéro artificialisation nette ») comme le fait Laurent Wauquiez

Il y a également la question du foncier. Certains paysans me disent qu’ils ont du mal à accéder à des terres agricoles à cause de propriétaires qui spéculent en espérant que leurs terres deviennent constructibles. Un vrai péril. Dans ce contexte, la métropole de Lyon a multiplié par 4 son budget dédié à l’agriculture. C’est aussi pour cela que le ZAN (le « zéro artificialisation nette » qui vise à endiguer la bétonisation) est extrêmement utile. Il faut sauver nos terres agricoles et se garder de remettre en question ce dispositif comme le fait le président de région Laurent Wauquiez.

Pour certains agriculteurs, les militants écologistes et l’écologie politique sont responsables de leurs difficultés. Que leur répondez-vous ?

Ceux qui ont intérêt à opposer agriculture et écologie sont ceux qui se fichent pas mal de la terre, de l’eau, de ce qu’on y produit et globalement des agriculteurs.

Certains parlent « d’agribashing »…

Les agriculteurs que j’ai rencontrés m’en ont effectivement parlé. Certaines personnes viennent directement les voir en remettant en question leurs pratiques, en leur reprochant l’arrosage ou l’épandage. C’est dur pour eux.

Maire de Lyon, vous n’entendrez pas de ma bouche des critiques à leur égard. Justement, je cherche à les valoriser. Dans notre projet éducatif, on met l’accent sur le rapport à la nature, au vivant. Pourquoi ? On souhaite que les enfants lyonnais puissent comprendre les cycles, savoir comment pousse une tomate. L’idée est de recréer les liens entre la ville et la campagne, et de valoriser les métiers, les activités de l’agriculture.

Ceux qui appellent à changer les choses sont les mêmes qui font les règles depuis le début de l’Europe, les sociaux-démocrates et la droite

Les politiques écolos mises en place à l’échelle européenne sont pointées du doigt par les agriculteurs. Faut-il réduire les normes ou revoir certaines règles ?

Les agriculteurs que j’ai rencontrés se plaignent surtout des normes françaises qui sont beaucoup plus nombreuses. Ils veulent de la cohérence pour éviter cette distorsion de concurrence avec d’autres pays de l’UE. Les responsables politiques ont tendance à cibler l’Union européenne comme si c’était la source de tous nos maux. C’est un peu facile en période électorale : ceux qui appellent à changer les choses sont les mêmes qui font les règles depuis le début de l’Europe, les sociaux-démocrates et la droite du PPE.
On nage dans l’hypocrisie.

Les propositions de votre parti, à l’échelle nationale, ne semblent pas correspondre aux revendications de la majorité des agriculteurs (réduction des pesticides, accent mis sur le bio, fin de l’élevage intensif). Cette crise va-t-elle vous amener à les revoir ?

Les fondamentaux de notre programme sont plus que jamais d’actualité. Assurément, il faut y ajouter d’autres éléments, comme des mesures fortes concernant l’agribashing. Il ne s’agit pas de faire des campagnes d’affichage montrant un agriculteur avec un agneau dans les bras pour changer leur image. Ce n’est pas ça. Mais c’est un métier noble, il faut encourager des gens à s’y engager.

En complément de ce que l’on propose, il faut également réintensifier notre agriculture en main-d’œuvre. Si elle veut progresser, l’agriculture de demain ne pourra pas se faire qu’avec des machines, de la génétique ou du numérique. Elle devra être plus humaine.

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