Agnès Buzyn estime que quitter le ministère de la Santé a été "la pire erreur de sa vie"

L'ancienne ministre de la Santé raconte dans un livre "la vérité" sur la gestion gouvernementale de la crise du Covid-19 et estime que ses alertes n'ont jamais été entendues.

"Renoncer au ministère de la Santé a été la pire erreur de ma vie". Plus de trois ans après avoir quitté le gouvernement en pleine montée de l'angoisse mondiale sur le Covid-19 pour remplacer au pied levé Benjamin Griveaux dans la course à la mairie de Paris, Agnès Buzyn publie un journal de bord de la pandémie sous forme d'un livre de 500 pages, intitulé Agnès, tu as fait peur au Président. Elle donne à cette occasion des interviews dans Ouest-France et Le Parisien.

Avec cet ouvrage, l'ancienne ministre, qui a depuis migré à la Cour des comptes, dit vouloir "proposer un autre récit que celui qu'on entend depuis plus de trois ans" et dénonce "le déversement de haine" complotiste et antisémite à son égard sur les réseaux sociaux.

SMS avec Emmanuel Macron et Édouard Philippe

Agnès Buzyn y publie notamment plusieurs mois d'échange par SMS avec Emmanuel Macron et Édouard Philippe, pour faire part de sa bonne foi sur la gestion de la crise et éviter de "les voir apparaître par petits morceaux, hors contexte et de façon instrumentalisée". Elle explique que ces messages auraient fuité à un moment ou un autre, car ils sont consignés dans le dossier d'instruction de l'enquête sur la gestion de la crise sanitaire.

Agnès Buzyn a un temps été mise en examen dans ce dossier pour "homicide involontaire" avant que cette procédure ne soit annulée. Elle est toujours mise en cause dans ce dossier, sous le statut de "témoin assisté", en attente d'un potentiel jugement.

"Le récit sera récupéré par l'opposition et par les complotistes", se résigne-t-elle déjà, "je ne vais pas y échapper mais je fais confiance à l’intelligence collective".

Défense de son travail d'alerte

La médecin, spécialiste en hématologie, jure et tente de prouver, récits et SMS à l'appui, qu'elle a tenté d'alerter le sommet de l'exécutif, aussi bien le président et ses conseillers que le Premier ministre, sur la gravité du danger que présentait le Covid-19 qui avait déjà mené la Chine à placer en quarantaine plusieurs villes.

"Je suis la première en Europe, et peut-être même dans le monde, à avoir commandé des masques", "je suis la première ministre au monde à faire une conférence de presse sur le Covid", essaime-t-elle comme autant de gages de sa bonne foi.

Elle étrille également l'OMS qui "n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire" et le Conseil scientifique, "un mélange des genres entre scientifiques de haut niveau et personnes de la société civile" qui n'a pas su recommander le confinement à temps selon elle.

L'ex-ministre estime d'ailleurs que sa phrase sur le risque "faible" de propagation du Covid-19 à la France, le 24 janvier, a été mal interprétée, et souhaite qu'on se rappelle des mots qu'elle a effectivement prononcés: "le risque d'introduction en France est faible mais ne peut pas être exclu, d’autant qu’il y a des lignes aériennes directes entre la France et la ville de Wuhan".

Forcée à devenir candidate pour la mairie de Paris

Mais trois semaines après la première mort due au virus en France, le 26 février, on lui demande d'endosser en un rien de temps la charge de candidate du parti présidentiel à la mairie de Paris, après le retrait le 14 février de Benjamin Griveaux, qui vient de voir ses photos intimes diffusées sur Internet par Alexandra de Taddeo, avec qui il entretenait des relations extra-conjugales, et l'artiste sulfureux Piotr Pavlenski.

Agnès Buzyn se décrit alors dans une impasse: poussée par son entourage et par la disparition momentanée des cas des Covid-19 en France, elle "cède", à contre-cœur, après avoir pourtant annoncé son intention de rester à la Santé quelques jours plus tôt. Elle sait aussi qu'Emmanuel Macron souhaite un remaniement après les municipales, et qu'un nouveau refus de sa part, après celui de devenir tête de liste aux élections européennes de 2019, pourrait précipiter sa sortie du gouvernement.

"J’ai eu la chance de servir mon pays en étant ministre, il faut que je rende ce qu’on m’a donné. C’est mon côté loyal, bon soldat ", résume-t-elle.

Lancée dans une campagne qu'elle considère rétrospectivement comme "perdue d'avance" au vu du chaos qui a accompagné le retrait de Benjamin Griveaux, elle continue malgré tout à alerter Emmanuel Macron et Édouard Philippe, sans toujours recevoir de réponse.

C'est d'ailleurs de son insistance que vient le titre de son livre. Il s'agit selon elle d'une phrase prononcé par le secrétaire général de l'Élysée et homme de l'ombre du président, Alexis Kohler, après que la défense par la ministre auprès d'Emmanuel Macron de l'option d'un confinement dès le 12 février, face à l'explosion des cas en Chine.

Potentiel retour en politique

Après son départ du gouvernement, Agnès Buzyn dit avoir constaté à regret une gestion "virile" et "un peu bravache" de la crise sanitaire. "À l’international, on voit que les cheffes d’État, elles, ont pris au contraire des mesures plus protectrices pour leur population", défend-elle.

Et de s'interroger le poids du sexisme dans la prise en compte de ses alertes: "Si j’avais été un homme ou si j’avais été plus puissante politiquement avec un parti, ma parole aurait-elle été entendue différemment?"

Aujourd'hui, l'ex-ministre rode avec ses avocats une potentielle défense devant la Cour de justice de la République en cas de jugement. "La France est le seul pays au monde à avoir attaqué ses ministres en justice sur une pandémie mondiale… Cela devrait nous faire réfléchir collectivement", estime-t-elle.

Mais son avenir, la médecin ne l'imagine pas nécessairement en dehors de la politique. Lorsqu'on lui demande si elle pourrait jouer un rôle dans les élections européennes du printemps 2024 elle défend "une Europe plus affirmée" et finit par répondre: "j'irai là où je suis utile. Je ne mettrai jamais mes convictions dans ma poche". Et quand Le Parisien lui demande si elle accepterait à nouveau le poste de ministre de la Santé, elle estime que "ça dépend de ce qu'on peut y faire".

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Agnès Buzyn : l’ancienne ministre menacée, elle décrit son quotidien invivable