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Le Sénégal envoie des troupes en Gambie

par Emma Farge DAKAR (Reuters) - Le Sénégal a déployé jeudi des troupes en Gambie pour exprimer le soutien résolu des puissances d'Afrique de l'Ouest au nouveau président Adama Barrow, dont le prédécesseur, Yahya Jammeh, refuse de céder le pouvoir. Les forces engagées dans le cadre de l'opération "Restaurer la démocratie", qui fait appel à des moyens terrestres, aériens et navals, ont d'ores et déjà procédé à des frappes, annonce le colonel Abdou Ndiaye, membre de l'état-major sénégalais, dans un communiqué. Adama Barrow a été contraint de prêter serment jeudi à Dakar, et non dans son pays, le président sortant ayant remis en cause le résultat de l'élection du 1er décembre. Dans son discours d'investiture, il a exhorté la communauté internationale "à soutenir le gouvernement et le peuple de Gambie afin de faire respecter leur volonté". Ce que le Sénégal, en premier, assure avoir fait. "Nous sommes entrés en Gambie", a dit à Reuters le porte-parole de l'armée sénégalaise, le colonel Abdou Ndiaye. Les forces armées nigérianes ont fait savoir pour leur part qu'elles allaient y déployer des hommes "afin de protéger le peuple de Gambie et de maintenir la paix et la sécurité dans la région". On ignorait dans l'immédiat si des troupes nigérianes avaient franchi la frontière gambienne. Le Ghana a aussi mobilisé des troupes. La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), dont le Nigeria assure la présidence tournante, essaie depuis des semaines de convaincre Yahya Jammeh de respecter le verdict des urnes et avait prévenu qu'une intervention militaire en Gambie était en préparation. RÉSOLUTION À L'ONU A New York, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé à l'unanimité une résolution présentée par le Sénégal appuyant les efforts de la Cédéao pour faire respecter la volonté du peuple gambien. Mais, souligne le texte, cela doit se faire "d'abord par des moyens politiques". Le projet de résolution du Sénégal évoquait, lui, un recours "à toutes les mesures nécessaires". A Washington, le département d'Etat américain est allé plus loin en exprimant son soutien à une intervention militaire, soulignant l'importance "de stabiliser une situation tendue". La cérémonie d'invetiture d'Adama Barrow s'est déroulée dans une petite pièce de l'ambassade de Gambie dans la capitale du Sénégal, pays qui ceint la Gambie. "C'est un jour qu'aucun Gambien n'oubliera jamais", a-t-il dit dans son discours rapporté par la télévision sénégalaise. Devant l'ambassade placée sous haute surveillance, ses partisans distribuaient des T-shirts sur lesquels était inscrit : "La Gambie a décidé". "C'est un peu triste d'organiser une cérémonie d'investiture dans un autre pays", remarquait Fatou Silla, une jeune femme d'affaires qui a quitté la Gambie avec son fils il y une semaine. "Je suis heureuse et triste à la fois". ÉTAT D'URGENCE Yahya Jammeh est au pouvoir depuis un putsch en 1994. Il avait tout d'abord reconnu sa défaite à l'élection présidentielle, avant de se dédire et d'affirmer que le scrutin a été truqué. Il a décrété mardi l'état d'urgence. Son mandat a expiré la nuit dernière. A Banjul, la capitale gambienne, l'annonce de la prestation de serment d'Adama Barrow, même si elle s'est déroulée à Dakar, a suscité des scènes de joie au sein de la population. Des centaines d'habitants sont descendus dans la rue, avec hésitation d'abord, de crainte d'une intervention des forces de l'ordre. Qui ne s'est pas matérialisée. "C'est fini pour le dictateur", assurait Lamine Jao, un pharmacien. "C'est juste une question de temps. On va le faire dégager, c'est sûr". La plupart des magasins et des banques sont restés fermés jeudi. Des soldats étaient postés aux principaux carrefours et la police patrouillait dans les rues. On ignore quand et comment Adama Barrow prévoit de rentrer en Gambie. Tout comme on ignore les intentions du président sortant, dont l'isolement politique s'accroît. Son vice-président, Issatou Njie Saidy, a choisi de s'effacer après une vingtaine d'années à ce poste, a-t-on appris de sources gouvernementales et auprès de sa famille. Dans un pays verrouillé, gouverné par décrets et où les organisations des droits de l'homme dénoncent la répression des opposants, et le recours à la torture, Yahia Jammeh clamait haut et fort que seul Allah pourrait l'amener à céder le pouvoir. Il a promis un jour à ses partisans qu'il pourrait diriger le pays pendant "un milliard d'années". (Avec Tim Cocks à Banjul, Nellie Peyton et Diadie Ba à Dakar, Felix Onuah à Abuja et Michelle Nichols à New York, Gilles Trequesser et Jean-Philippe Lefief pour le service français)