Comment les accusations de Karine Lacombe contre Patrick Pelloux ont fait émerger un #MeToo à l'hôpital

Comment les accusations de Karine Lacombe contre Patrick Pelloux ont fait émerger un #MeToo à l'hôpital

Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, a accusé le médiatique urgentiste Patrick Pelloux de "harcèlement sexuel et moral".

Une prise de parole qui a fait émerger d'autres témoignages, donnant naissance aux prémices d'un #Metoo du milieu hospitalier.

· Patrick Pelloux accusé de "harcèlement sexuel et moral"

Dans une enquête de Paris Match publiée mercredi 10 avril, Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, a accusé l'urgentiste Patrick Pelloux de "harcèlement sexuel et moral". Après avoir repoussé les avances du médecin "prédateur" selon elle, elle affirme avoir subi "un ostracisme patent et plusieurs épisodes ­d’humiliation".

En octobre 2023, elle avait déjà décrit dans un livre -à l'époque sans donner son nom- le "regard concupiscent, les mains baladeuses" et le "comportement empreint de domination" de ce médecin senior, dont la réputation était déjà "bien établie".

Président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Patrick Pelloux n'est à ce stade visé par aucune plainte.

· L'urgentiste reconnaît avoir été "grivois"

"J'ai été sidéré d'apprendre par la journaliste de Paris Match les accusations de Karine Lacombe et les rumeurs relayées dans cet article, que je conteste avec force", s'est défendu Patrick Pelloux sur le réseau social Instagram dimanche 14 avril.

L'urgentiste ajoute qu'il "ne souhaite pas réagir davantage aujourd'hui afin de préserver la sérénité des débats utiles autour du sexisme et des violences sexuelles".

Auprès de Paris Match, Patrick Pelloux avait assuré n'avoir "jamais agressé personne" mais reconnu avoir été "grivois" dans le passé. "Ce que nous disions et ce que nous faisions est infaisable aujourd’hui, c’est sûr. Mais on rigolait bien!", a-t-il aussi fait valoir.

De quoi "faire tomber de sa chaise" Karine Lacombe. "On rigolait bien? Qui rigolait? Ce n'est pas marrant et ce n'est pas parce qu'à l'époque, on ne disait rien et qu'on était pétri de culpabilité que c'était rigolo, pas du tout", a réagi cette dernière dans C l'hebdo sur France 5 samedi 13 avril.

· Buzyn, Bachelot: d'anciennes ministres de la Santé témoignent

Interrogée par Paris Match sur le comportement du très médiatique médecin, l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn s'est souvenue du 25 novembre 2017, journée contre les violences faites aux femmes. Invité à l'Élysée pour prononcer un discours, Patrick Pelloux a créé un certain malaise dans l'auditoire, raconte-t-elle.

"Je me suis demandé ce qu’il faisait là, car je ne le savais pas au fait de la cause des femmes. Puis, en entendant la salle tousser, j’ai compris qu’il y avait un problème." Avant d'ajouter: "On m’a appris que Pelloux était loin d’avoir eu un comportement exemplaire avec la gent féminine, c’est pourquoi il a été exfiltré de Saint-Antoine."

Ministre de la Santé durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Roselyne Bachelot a affirmé sur BFMTV avoir été mise au courant "d'un management anormal, harcelant, humiliant" aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine de Paris, mais pas "d’accusations de violences sexuelles".

En 2008, elle assure avoir "exfiltré" Patrick Pelloux vers l'hôpital Necker, au Samu de Paris, pour "protéger" des aide-soignantes qui s'étaient plaintes du comportement de Patrick Pelloux.

Du côté du gouvernement, le ministre délégué chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, a annoncé sur X réunir "bientôt associations, employeurs et professionnels de santé, afin d’amplifier les actions déjà menées et travailler sur une réponse globale et ferme".

· Le début d'un #MeToo de l'hôpital?

Selon Karine Lacombe, Patrick Pelloux "n'est pas le problème". "Le problème c'est la persistance de ce système de violence sexuelle à l'hôpital, dans les actes, dans les mots", a-t-elle déclaré sur le plateau de C l'hebdo.

L'infectiologue affirme avoir reçu plusieurs dizaines de mails, de témoignages de femmes disant avoir "vécu les mêmes choses", "avec Patrick Pelloux et d'autres, dans d'autres hôpitaux".

"Pour faire bouger le système, il faut que l'on montre du doigt, que l'on nomme ce qu'il se passe", a déclaré Karine Lacombe.

Après la publication de l'enquête de Paris Match, le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP) a lancé un appel à témoignages, qui se multiplient déjà sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Metoohopital. Marine Silvestre, vice-présidente du syndicat, affirme ce mardi 16 avril sur BFMTV avoir répertorié "une cinquantaine de cas". "Certaines spécialités sont plus représentées comme la chirurgie et l'anesthésie-réanimation", précise-t-elle.

Marine Silvestre souligne la prégnance à l'hôpital "d'une mentalité carabine" qui est "à la base un humour, un esprit de corps qui nous permet de survivre" à la pression. "Ce sont des blagues salaces, des fresques pornographiques" dans les réfectoires, décrit-elle.

Sous couvert d'anonymat, une interne des hôpitaux de Paris affirme sur BFMTV avoir "plusieurs anecdotes" liées à des faits de violences sexuelles "au cours de son cursus d'externe ou d'interne". Durant un stage, elle raconte qu'un chirurgien lui a un jour demandé d'"enlever sa culotte" alors qu'elle était seule avec lui dans un bureau. Des comportements perçus comme "banals" voire "normaux" à l'époque, selon elle.

"Depuis 48h les témoignages affluent", abonde auprès de l'AFP Kahina Sadat, vice-présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine (Anemf). Une enquête de son association, réalisée en 2021, montrait déjà l'omniprésence de ces violences: 38,4% des étudiantes en médecine disaient avoir subi du harcèlement sexuel pendant leurs stages hospitaliers, 49,7% des "remarques sexistes", et 5,2% des "gestes déplacés", entre mains aux fesses, attouchements et autres "gestes sexuels".

"On le dénonce depuis des années", souligne de son côté Pauline Bourdin, représentante de la Fnesi, le principal syndicat des étudiantes infirmières, qui avait aussi mené une enquête en 2022. Une aspirante infirmière sur six assurait avoir été victime d'agression sexuelle au cours de sa formation, essentiellement à l'hôpital. Les victimes décrivaient des "mains sur la cuisse", des "massages" ou "baisers" non désirés de collègues et maîtres de stage.

Article original publié sur BFMTV.com