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Accord sur les visas: Ankara fait pression sur Bruxelles

par Michelle Martin et Humeyra Pamuk BERLIN/ISTANBUL (Reuters) - Si l'Union européenne n'autorise pas d'ici octobre les Turcs à voyager sans visa, l'accord sur les migrants devra être "mis de côté", prévient le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, dans un entretien publié lundi par le quotidien Bild. "Je ne veux pas évoquer le scénario du pire, les discussions avec l'UE se poursuivent mais il est clair que soit nous appliquons tous les traités en même temps, soit nous les mettons de côté", dit-il. "Il n'est pas possible que nous appliquions tout ce qui est bon pour l'UE mais que la Turquie n'obtienne rien en retour", ajoute-t-il. Les Européens et les Turcs ont négocié en mars dernier un accord visant à freiner les arrivées de migrants et de réfugiés dans l'Union européenne en contrepartie d'une aide financière et de facilités accordées à Ankara. Il prévoit le retour en Turquie de toutes les personnes qui arriveront illégalement sur les îles grecques de la mer Egée, selon le principe du "un pour un" ("pour chaque Syrien renvoyé en Turquie depuis les îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies", peut-on lire dans le texte). En contrepartie, la Turquie obtient une aide financière supplémentaire de la part de l'Europe (trois milliards d'euros en plus des trois milliards déjà accordés), l'accélération du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE et la mise en oeuvre anticipée de la libéralisation des visas pour les citoyens turcs. Cet accord a permis de réduire très fortement les arrivées de réfugiés et migrants en Europe, après le pic de 2015 qui avait vu plus d'un million d'entre eux débarquer dans les îles grecques. Mais les autorités turques, qui jugent que l'UE n'a pas tenu ses promesses, ont multiplié ces dernières semaines les menaces de suspension. DES OCCIDENTAUX INQUIETS Ces tensions entre la Turquie et l'UE se sont accompagnées d'un réchauffement des relations entre Erdogan et Vladimir Poutine, provoquant une inquiétude parmi les Occidentaux ainsi qu'au sein de l'Otan, organisation dont fait partie la Turquie. Interrogé sur une éventuelle sortie de son pays de l'Alliance atlantique, Cavusoglu a précisé que si le gouvernement turc restait partisan de cette organisation de défense, il n'en examinait pas moins d'autres éventualités. "Il est clair que nous devons coopérer avec d'autres partenaires sur l'achat et la vente de systèmes d'armement parce que certains de nos partenaires de l'Otan nous refusent le droit de vendre des systèmes de défense antiaérienne par exemple ou d'échanger des informations", a-t-il ajouté. Dans une interview publiée la semaine dernière par Le Monde, où il reproche aux Occidentaux d'avoir laissé les Turcs "seuls" après la tentative de putsch du 15 juillet, le président Recep Tayyip Erdogan a menacé de ne plus réadmettre de migrants et de réfugiés sur le territoire turc. "L'accord de réadmission et l'exemption de visas devaient entrer en vigueur simultanément le 1er juin. Nous sommes aujourd'hui en août et il n'y a toujours pas d'exemption de visas. Si nos demandes ne sont pas satisfaites, les réadmissions ne seront plus possibles", dit-il. De son côté, l'Union européenne demande qu'Ankara modifie son arsenal juridique de lutte contre le terrorisme, faisant valoir qu'il porte atteinte à la liberté d'expression et autorise des arrestations arbitraires. Le mois dernier, le commissaire européen à la Société numérique, Günther Oettinger, a prédit qu'il n'y aurait pas d'exemption de visa d'ici la fin de l'année du fait de la vague de répression qui a suivi le coup d'Etat manqué. (Michelle Martin; Henri-Pierre André pour le service français)