"Pas acceptables" pour les uns, "symboliques" pour les autres... Les mesures de la Convention climat à l'épreuve du Budget 2021

Le rapporteur du projet de budget Laurent Saint-Martin (LREM) à l'Assemblée nationale le 10 juin 202 à Paris - Anne-Christine POUJOULAT © 2019 AFP
Le rapporteur du projet de budget Laurent Saint-Martin (LREM) à l'Assemblée nationale le 10 juin 202 à Paris - Anne-Christine POUJOULAT © 2019 AFP

Plus un groupe est important, plus il devient compliqué d'y estomper les désaccords. C'est l'un des problèmes auxquels est confronté Emmanuel Macron de manière récurrente. Le projet de loi de finances 2021, dont l'examen démarre en séance publique à l'Assemblée nationale ce lundi, est une nouvelle occasion pour sa majorité d'être tiraillée entre deux penchants idéologiques. L'un est d'ordre climatique, l'autre budgétaire.

Il faudra pourtant bien faire du "en même temps". La semaine dernière, le PLF a été décortiqué en commission au Palais-Bourbon, en particulier celle des finances. C'est à cette occasion que le rapporteur général du budget, le député La République en marche Laurent Saint-Martin, a prononcé quelques phrases acerbes visant certaines propositions émanant de la Convention citoyenne sur le climat.

Mesures "pas acceptables"

À son côté l'austère Eric Woerth, président Les Républicains de la puissante instance, se contentait parfois d'acquiescer. Un moment symbolique fut celui où, le 7 octobre, le député LaREM Jean-Marc Zulesi défendait une révision du barème de l'indemnité kilométrique, cet avantage fiscal censé permettre de déduire de l'impôt ses frais de carburant pour se rendre au travail. L'idée serait de l'indexer sur la distance parcourue et sur les émissions de CO2.

Réponse sèche de Laurent Saint-Martin: "Je dois vous avouer que j'ai un vrai problème avec ces amendements et (...) cette proposition. Je sais qu'elle est issue de la Convention citoyenne pour le climat. (...) Je crois qu'elle a des conséquence sur le pouvoir d'achat d'un certain nombre de nos concitoyens qui n'est pas acceptable."

Cette mesure sur l'indemnité kilométrique est l'une des quelques pouvant être discutées à l'occasion du Budget. L'essentiel des 149 propositions de la Convention climat iront dans un texte dédié, porté en décembre par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Laquelle assure qu'une trentaine de ces mesures ont d'ores et déjà été reprises par le gouvernement, entièrement ou en partie, notamment à travers le plan de relance.

"L'indemnité kilométrique et le barème malus sur le poids des véhicules, c'est du pur PLF. Mais le reste, comme les mesures sur la publicité, ça n'a pas de sens de les inclure dans les discussions sur le budget", complète Cendra Motin, vice-présidente de la commission des finances, auprès de BFMTV.com.

"Le contexte a changé"

Par "mesures sur la publicité", la députée de l'Isère fait référence aux propositions de la Convention visant à sanctionner les publicités pour les produits émetteurs de CO2. Elle le sait, "on ne va pas arrêter d'entendre qu'on foule aux pieds les engagements du président de la République". "Il faut en aucun cas amputer le budget des Français", insiste-t-elle malgré tout, invoquant l'exemple de ceux qui ont besoin d'un véhicule lourd pour se rendre au travail chaque jour et qui pourraient se voir imposer un malus.

Dans L'Opinion ce lundi, le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a annoncé la couleur. Ou plutôt, les nuances de couleurs pouvant justifier que certaines mesures de la Convention climat soient retardées, réévaluées:

"Il faut s’interroger sur le moment que nous vivons. La Convention a été lancée avant la crise du Covid. Aujourd’hui, certains acteurs économiques sont fragilisés, il faut veiller à ne pas aggraver ces difficultés. La situation de février 2020 n’est pas celle d’aujourd’hui."

Ces acteurs fragilisés, ce sont avant tout l'industrie du tourisme et le secteur du transport aérien. "Le contexte a changé, il faut être honnête", plaide un ancien poids lourd du gouvernement d'Édouard Philippe auprès de BFMTV.com. "Sept mois après le début du confinement, on n'est même pas sûr que ces secteurs pourront redémarrer à l'été 2021".

"La Convention climat s'est prise à son propre piège. Un sujet qu'elle aurait pu examiner par exemple, c'est la taxe carbone, car les prix du pétrole sont bas. Mais elle n'a pas voulu faire le sale boulot que le gouvernement n'a pas fait. C'est une grosse erreur, car c'est un levier majeur. Elle a préféré aller sur d'autres secteurs", poursuit ce député marcheur.

Temps long

Pour faire preuve de bonne volonté, le gouvernement a introduit des amendements au PLF reprenant six propositions de la Convention climat. D'après Libération, ils portent entre autres sur la fiscalité des carburants dans l'aviation de loisir, l'aide à l'achat de poids lourds propres et la taxation des contrats d'assurance pour les achats de véhicules électriques.

"Nous marchons sur deux jambes, chacune est dans son rôle. (...) Il faut trouver l’équilibre et le compromis. Avec le PLF, cette semaine marquera une première série de réponses concrètes à la Convention, par exemple sur l’automobile ou la fiscalité des déchets", affirme de son côté Marc Fesneau dans L'Opinion.

Selon un baron du groupe LaREM, connaisseur de la question environnementale, "tout ce qu'a fait la Convention climat n'est pas caduc, mais tout ce qu'il y a sur le transport est à revoir".

"En France, on agite toujours des mesures symboliques, types pub, avions, SUV... et dès qu'on dit qu'on est rattrapé par la réalité, on nous accuse de trahison. Le vrai sujet par exemple, ce sont les data-center, très énergivores, mais on n'en parle pas. On préfère s'exciter sur la 5G", développe cette source.

Chez les élus écologistes, plus particulièrement ceux issus du groupe Écologie Démocratie Solidarité, chacun entend dénoncer les dérobades de l'exécutif et de la majorité.

"Saint-Martin va toujours dans le sens du gouvernement. Si le gouvernement demandait à mettre en place un Green New Deal, il le ferait. Ces gens n'ont aucune colonne vertébrale intellectuelle, ils sont sans foi ni loi", cingle une ex-LaREM.

D'autres ne veulent pas entendre que le besoin de préserver le pouvoir d'achat des Français puisse empêcher de mettre en place dès maintenant certaines mesures environnementales. "Le malus sur les véhicules lourds, les SUV, crise ou pas crise, je ne vois pas l'intérêt de ne pas le faire", estime la députée EDS Émilie Cariou. "La transition énergétique, elle ne peut être acceptée que si elle est faite sur le temps long", répond Cendra Motin.

"La Convention climat a voulu faire le législateur. Et quand on est législateur, il est plus facile d'interdire ou d'obliger que d'inciter. Cela demande des moyens", enchaîne la députée de l'Isère.

"Objectifs légitimes mais opposés"

Le "temps long" voulu par Cendra Motin sera l'objet de la mission d'information sur la "conditionnalité des aides publiques aux entreprises", dont les travaux commencent mardi.

"Il s'agira de retracer toutes ces aides et de voir, en bout de chaîne, ce qu'on a réussi à déployer en créations d'emplois et en décarbonation de l'économie", explique la rapporteure LaREM pour la commission du développement durable, Laurianne Rossi. "Il faut un suivi assez fin de ces aides. C'est l'argent du contribuable, après tout."

Ce lundi, les citoyens de la Convention climat ont adressé une lettre au chef de l'État, dans laquelle ils réclament un "soutien clair et défini" du gouvernement à leurs propositions. Et appellent à l'"engagement formel et public" d'Emmanuel Macron.

"Nous avons le sentiment de manquer d'un soutien clair et défini de la part de l'exécutif, dont les prises de position nous apparaissent parfois contradictoires", écrivent notamment les 150.

Lors de son propos introductif à l'examen du PLF dans l'hémicycle, le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, a tenté de dessiner la ligne de crête que parcourait justement l'exécutif. "C'est certainement dans le domaine écologique que la réconciliation d'objectifs légitimes, mais parfois opposés, est la plus nécessaire et en même temps la plus complexe", a-t-il affirmé, souhaitant éviter toute "approche manichéenne des choses". Avant de poursuivre:

"Tous ces débats montrent qu'il est parfois difficiles de trouver le bon équilibre. (...) Je constate d'ailleurs que ces inquiétudes sont parfois diamétralement opposées, entre ceux qui veulent un changement de modèle radical dès demain matin, et ceux qui rejettent l'impératif écologique au motif qu'il exige un changement de nos modes de vie."

Et de clore: "Nous vous proposerons un équilibre qui, par définition, ne peut pas faire l'unanimité." Tout est dit.

Article original publié sur BFMTV.com