“A La Poste, il n’y a aucune humanité”

La Poste est en grève aujourd'hui, alors que l'avenir du groupe est en discussions au Sénat. Les syndicats demande à la direction de prendre en compte le malaise des facteurs.

Jour de grève à La Poste. Ce jeudi 8 décembre, les 22 000 salariés du groupe sont appelés à se mobiliser par les syndicats CGT, SUD-PTT, UNSA et FO plus localement. Au coeur de cette grogne, le malaise social des postiers.

Burn-out, arrêts maladie à la pelle et même tentatives de suicide, le malaise social gronde au sein du groupe La Poste. Point d’orgue, le 19 février dernier à Villeneuve d’Ascq (Nord). Une factrice est victime d'un accident vasculaire cérébral. Elle affirme que sa direction lui a “mis la pression” pour venir travailler alors qu’elle venait de prévenir qu’elle ne se sentait pas bien. Depuis la médiatisation de cette affaire, en septembre dernier, des facteurs de toute la France racontent le spleen qu’ils traînent au boulot depuis plusieurs années.

"De plus en plus de tâches à effectuer"

“Cela fait cinq ou six ans que la situation s‘est compliquée”, nous explique David, 35 ans et facteur à Paris depuis 2002. En cause selon lui, le management au sein de l’entreprise. “On est de moins en moins de salariés. Et même si le volume de courrier diminue, on a de plus en plus de tâches à effectuer”.

Avec cette mobilisation prévue jeudi après-midi devant le Sénat, les syndicats veulent que la direction ouvre des négociations sur les conditions de travail au sein du groupe. Le lieu n'est pas choisi au hasard : au Sénat ont lieu des discussions sur l'avenir du groupe, à l'initiative d'élus communistes, qui craignent une "nouvelle affaire France Télécom".

“Même en courant on ne termine jamais à l'heure”

Le groupe a diversifié ses activités depuis plusieurs années, et confie ces tâches aux facteurs. “Par exemple, on doit aller voir les personnes âgées. Sur le principe c’est bien, mais on n’a pas le temps. Souvent je me rends au domicile, je demande à la personne si elle va bien, je lui fais signer un papier et c’est tout. D’autant qu’on doit cocher une case si la personne se porte bien. Sauf qu’on n'est pas des médecins”, explique David. “Il y a même des facteurs qui promènent le chien”, ajoute le facteur. Des tâches qui sont prévues sur la tournée de distribution du courrier.

“Même en courant, on ne termine jamais à l’heure. C’est impossible. Donc on est obligés de renier des tâches que l’on faisait pour terminer à l’heure”. D’autant que si les facteurs dépassent le temps de leur tournée, les heures supplémentaires ne sont pas payées. “Il m’arrive de terminer à 16 heures au lieu de 13h30. Pour essayer de terminer à l’heure, j’ai rogné sur ma pause de 20 minutes, j’ai aussi commencé à venir plus tôt, à 6h au lieu de 6h30, mais ce n’est plus tenable”, poursuit David.

“Mon entourage et mon médecin m'ont sauvé”

“Souvent, il y a des tournées qui ne sont pas terminées par manque de temps. Les facteurs ramènent le courrier au centre ou alors dépassent leurs horaires. Tout ça par manque de personnel. Par exemple, dans mon équipe de quatre, un départ à la retraite n’a pas été remplacé, un congé maternité non plus. Donc nous sommes deux pour abattre le travail de quatre personnes. Ce n’est pas tenable”, ajoute Gwendoline*, qui travaille à Dieppe (Seine-Maritime) depuis 2002. Des conditions de travail qui pèsent sur sa santé. “L’an dernier j’ai fait un burn-out. Je ressentais des douleurs dans la poitrine, une boule au ventre à cause du stress. J’ai été arrêté 5 mois, j’ai consulté un médecin et un psychologue. Sans eux et mon entourage, j’aurais fait une bêtise. Ils m’ont sauvé”, ajoute David, ému.

Depuis, il est retourné travailler, mais toujours dans des conditions difficiles. “Il y a quelques semaines, j’ai ramené du courrier car ce n’était pas possible de terminer la tournée dans les temps. A cause de cela, j’ai eu un blâme. A La Poste, il n’y a aucune humanité”. Une collègue de David s’est donné la mort, il y a quelques années, en sautant d’une fenêtre du cinquième étage, après un entretien avec son chef d’équipe. Selon un décompte de RTL, depuis trois ans, au moins neuf facteurs se sont donné la mort, sans compter les tentatives heureusement avortées.

Un parallèle avec France Télécom

“On est le nouveau France Télécom” ose même David, en référence à la vague de suicides qui a touché l’opérateur entre 2008 et 2009. Une vingtaine de salariés s’était donné la mort, certains évoquant “un management de la terreur”. Dans une interview au quotidien Le Monde, la DRH du groupe La Poste, Sylvie François, se défend : “Nous sommes une entreprise humaine et responsable. Il n’y a pas de mobilité forcée, pas de formation de manageurs de façon inhumaine”, défend-elle.

Des experts indépendants ont demandé à la direction de réagir face à la “dégradation rapide des conditions de travail”. Le groupe La Poste a suspendu les projets de réorganisation des métiers du courrier jusqu’à la mi-décembre, soit la date de fin envisagée des négociations sur les conditions de travail des facteurs et de leurs encadrants.

*Son prénom a été modifié