Le 49.3, histoire d’un outil accepté devenu arme contestée

POLITIQUE - Considéré comme un simple outil constitutionnel du côté du gouvernement, et souvent comme « un passage en force » du côté de l’opposition, le 49.3 permet au gouvernement de faire passer des lois sans le vote des députés. C’est exactement ce qu’a fait Élisabeth Borne jeudi 16 mars pour faire passer sa réforme des retraites.

Le gouvernement l’utilise en général en cas de majorité relative (ce qui est le cas pour l’actuelle Première ministre) ou quand il n’est pas sûr d’obtenir le vote de son camp (ce qui était le cas de Manuel Valls en 2016). Il permet aussi d’éviter de long débat à l’Assemblée ou de faire passer un texte en urgence.

Depuis 1958, les gouvernements successifs avaient sorti ce joker 89 fois. En ajoutant les 11 d’Élisabeth Borne, on arrive au total symbolique de 100. Pendant longtemps, recourir au 49.3 n’avait rien d’inhabituel, notamment lorsqu’il faut voter le budget de l’État dans ces conditions.

Michel Rocard, recordman du 49.3

Champion inégalé de l’utilisation du 49.3, Michel Rocard en fait usage 28 fois pour faire passer 15 textes de loi comme pour l’instauration de la CSG, ou la création du CSA. Il faut dire qu’entre 1988 et 1993, le PS n’avait qu’une majorité relative à l’Assemblée.

Ce recours n’est pas systématiquement sanctionné par l’opposition par une motion de censure. Sous Michel Rocard, ou encore sous Jean-Pierre Raffarin et Jacques Chirac, la grogne de l’opposition ne trouve pas d’échos dans l’opinion et les remous provoqués par le 49.3 sont souvent limités.

La rue plus forte que la motion de censure

En 1995, malgré un passage en force par le 49.3, et même si la motion de censure qui le vise échoue, Alain Juppé est bien contraint d’abandonner sa réforme des retraites, sous la pression de la rue qui se mobilise massivement.

Même chose en 2006. Le 49.3 dégainé par Dominique de Villepin va d’abord ébranler l’Assemblée. Le Premier Ministre fait adopter le CPE, un contrat de travail destiné aux jeunes de moins de 26 ans et qui peut être rompu par l’entreprise dans les deux ans, sans motif.

La motion de censure qui vise son gouvernement n’est pas adoptée. Ce n’est pas l’Assemblée qui va le faire plier, mais les manifestants et notamment les jeunes, qui descendent dans la rue pendant quatre mois. Le CPE ne verra jamais le jour.

Un outil devenu impopulaire

À partir de 2008 et la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy, l’usage du 49.3 est limité à un texte par session hors texte budgétaire. Depuis, il crispe l’opinion, et écorne l’image des gouvernements qui l’utilisent.

Entre 2015 et 2016, Manuel Valls y a recours pour faire adopter la loi sur la croissance portée par un certain Emmanuel Macron (qui assurait pourtant avoir une majorité pour la faire voter) puis la loi travail de la ministre El Khomry.

En 2020, Édouard Phillippe actionne pour la première fois le 49.3 pour faire passer sa réforme des retraites. Cette fois-ci, ce n’est ni l’Assemblée, ni la rue qui a raison du projet, mais l’urgence de la crise sanitaire. Le projet de loi des retraites est abandonné juste avant le premier confinement.

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