"Le Grêlé": qui est ce serial killer qui a été identifié 35 ans après les faits?
C'est simple. Du haut de ses 35 ans d'âge, c'est le plus vieux cold case de la Brigade criminelle de la Préfecture de police de Paris. Et mercredi soir, il a trouvé sa résolution sur le coin de table d'un appartement du Grau-du-Roi.
Un homme de 59 ans, qui devait être interrogé dans le cadre d'une enquête conduite par une juge d'instruction parisienne dans le cadre de l'affaire dite du "Grêlé", a en effet laissé une lettre avant de se suicider dans son appartement gardois. Cet ancien gendarme, passé à la police en 1988 selon l'AFP, et élu local, s'y accuse des crimes attribués à ce serial killer qui s'acharnait à échapper à la police - et à obséder la presse - depuis les premiers faits commis en 1986 et dont on perdait la trace après l'été 1994. Selon une source proche du dossier, il s'agit bien du tueur en série.
Ces crimes, ce sont au moins trois meurtres - tandis que de forts soupçons pèsent sur un quatrième homicide - et six viols. Et tout concourt à faire de ce dossier un épisode hors norme de l'histoire de la police parisienne: sa durée bien sûr, les rebondissements qui l'ont marqué, l'évolution des investigations scientifiques qui l'a accompagné... mais aussi la rage, pour les enquêteurs, de disposer d'un ADN partiel et d'un portrait-robot de leur homme sans toutefois parvenir à l'identifier. Retour sur plus de trois décennies d'horreur et de recherches.
· Le 5 mai 1986: Cécile Bloch rétrouvée morte au fond d'un réduit
Le 5 mai 1986, les parents Bloch, qui travaillent à la Sécurité sociale, prennent l'ascenseur à 8h30 pour se rendre au travail, dans leur immeuble du 19e arrondissement de Paris. Comme l'a précisé en plateau notre consultant police-justice Dominique Rizet ce jeudi, leur fille, Cécile, 11 ans, doit prendre le même chemin mais 15 minutes plus tard, la descente du couple s'interrompt un instant le temps qu'un homme plutôt grand, le visage couturé de marques d'une forte acnée - en un mot "grêlé" - monte dans la cabine. Poli, il leur dit bonjour et leur souhaite de "passer une bonne journée".
Plus tard, la madame Bloch se rend compte que sa petite fille n'est pas allée à l'école et à la mi-journée - alors que sa fille doit déjeuner chez elle - personne ne répond au téléphone. On retrouve finalement le petit corps dans un réduit des caves. Cécile a été poignardée et violée en ce matin du printemps 1986. De la rencontre entre les parents et le curieux voyageur de l'ascenseur naît un premier portrait-robot, qui s'affinera, s'accentuera au fil des meurtres, des agressions et des années. L'âge du suspect avançant, son acné se dissipera même comme une ombre.
Comme le rappelle ici, ce récit du Monde, les premières recherches de la police en 1986 permettent d'établir que quelques semaines avant l'assassinat de Cécile - le 7 avril - la petite Sarah, 8 ans, a été violée au 4e sous-sol de son immeuble sis Place de la Vénétie, dans le 13e arrondissement de Paris. Là encore, la victime a été piégée dans l'ascenseur de l'édifice.
· Le 29 avril 1987: le "Grêlé" s'attaque à un autre profil
Exclusivement violeur, et le cas échéant assassin, de petites filles le "Grêlé"? Non, le criminel n'est pas l'homme d'un seul profil de victimes. Le 29 avril 1987, les policiers découvrent - comme le relate ici Patricia Tourancheau pour Les Jours, elle, qui, a longtemps chroniqué cette enquête pour Libération - une scène horrible dans une chambre du dernier étage du 7 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie en plein Marais, à Paris.
Irmgard Mueller, jeune fille au pair allemande de 20 ans, gît étranglée, égorgée, crucifiée sur un lit. Son employeur, Gilles Politi, mécanicien d'Air France, âgé de 38 ans, est lui aussi retrouvé mort, garroté. En apparence, ces affaires sont trop dissemblables pour qu'un lien soit établi et ce sont deux équipes différentes qui planchent sur l'une et l'autre dans l'espoir de les tirer au clair.
· Deux affaires en 1994
Les années passent et le "Grêlé" s'efface. C'est du moins ce qu'on croit. Car en 1994, il frappe deux fois. La petite Ingrid, 11 ans, est enlevée durant l'été alors qu'elle fait du vélo du côté de Saclay dans l'Essonne. Si sa vie est épargnée, elle est toutefois violée. Ingrid reconnaît plus tard son agresseur dans le portrait-robot du "Grêlé". L'affaire nourrit le dossier d'un détail de plus: le violeur conduisait une Volvo blanche. Un indice de plus peut-être, mais aussi vain que les autres.
Bien plus tard, en 2015, comme le note ici Le Point, le logiciel informatique de compilation de dossiers criminels et d'analyse comportemental, SALVAC, postule encore la responsabilité du "Grêlé" dans l'assassinat de Karine Leroy le 9 juin 1994. Celle-ci avait disparu au pied de la cité Beauval, à Meaux, comme se souvient l'hebdomadaire. Le corps de la victime est retrouvé trois jours plus tard dans un bois. Karine Leroy a été tué selon le modus operandi habituel du suspect, garrotée entre autres, ce qui laisse penser que le Grêlé peut être impliqué. Mais son ADN n'a pas été retrouvé sur la scène de crime.
· Une histoire de progrès scientifiques et d'ADN
L'histoire du "Grêlé" est donc celle des portraits-robots, et des analyses. C'est aussi celle des progrès de l'analyse scientifique, et de la connaissance de l'ADN. Car le violeur homicide le laisse souvent derrière lui. C'est l'ADN qui consolide le lien entre le rapt et le viol d'Ingrid et le serial killer, c'est encore l'ADN qui surprend la police en révélant que les meurtres de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie en 1987 sont de la même main que celui de Cécile Bloch. C'est encore l'ADN qui permet d'établir qu'une autre victime, Marianne, a bien été violée par l'homme le plus recherché du 36, Quai des Orfèvres, alors qu'elle avait 14 ans, en 1986.
La parole revenait désormais à l'ADN. Un test a été conduit pour savoir si l'ancien gendarme de 59 ans qui a mis fin à ses jours au Grau-du-Roi était bien le visiteur des ascenseur, le conducteur de la Volvo, le barbare du Marais. Le résultat est tombé dans la soirée: 35 ans de doutes et de cauchemar viennent de se refermer pour les enquêteurs.