Pour le 1er mai, Marine Le Pen a délaissé Jeanne d’Arc mais pas ses fondamentaux

L’ex-candidate à la présidentielle a dénoncé « la violence » ou « le wokisme », sans s’attarder sur les problématiques sociales du pays.

POLITIQUE - « La conquête de l’Ouest peut démarrer ». Voilà comment Jordan Bardella, président du RN, résume son idée d’avoir troqué la traditionnelle fête frontiste de Jeanne d’Arc du 1er mai, pour un nouveau rendez-vous, au Havre (Seine-Maritime) cette année, intitulé « Fête de la nation ».

« C’est un clin d’œil au monde du travail », revendique le député européen de 27 ans qui souhaite que le RN soit en mesure de l’emporter aux prochaines municipales de 2026. « Mais bien sûr », lui a répondu laconiquement l’actuel locataire de la mairie, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe sur Twitter. « Je ne vois pas de différence entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe, et sur des sujets comme ceux de la retraite, Édouard Philippe, c’est Emmanuel Macron en pire », attaquait dès potron-minet Marine Le Pen, face aux journalistes.

« L’homme de la retraite à 67 ans », ainsi présenté - et sifflé - dès l’introduction par la vice-présidente du RN, Edwige Diaz, est au cœur des critiques de ce banquet qui a réuni 1500 personnes aux Docks de Normandie, là même où le maire avait lancé son parti politique, Horizons, en 2021. « La pilule a du mal à passer, qu’il accepte un parti comme celui-là dans notre ville, un premier mai alors que c’est le rendez-vous du monde syndical ! », s’était indigné un peu plus tôt la responsable de la CGT locale, Sandrine Gérard, qui organise une contre-manifestation à quelques encablures de là, sur le bassin de la Manche.

« Parce que Jeanne d’Arc, qui est une sainte, serait diabolique ? La sainte patronne de la France ? Quelle inversion des valeurs… » Marine Le Pen au HuffPost

Embarrassée par ce 1er mai social qui s’annonçait très suivi, notamment à Paris, Marine Le Pen a préféré prendre le large pour s’éviter la comparaison avec la manifestation syndicale et pousser un peu plus loin son entreprise de dédiabolisation en rompant avec la fête de Jeanne d’Arc créée par son père, Jean-Marie Le Pen, en 1988. « Parce que Jeanne d’Arc, qui est une sainte, serait diabolique ? La sainte patronne de la France ? Quelle inversion des valeurs… » répond sèchement au HuffPost Marine Le Pen, qui a autrefois assumé plus franchement cette stratégie.

Dans les travées qui mènent au banquet, affrontant le vent, une famille d’artisans venue de l’Aisne n’y voit, elle, pas autre chose. « Elle suit sa stratégie de dédiabolisation, pas la peine d’aller se confronter aux syndicats qui ne veulent pas vraiment de nous », estime le père de trois enfants, approuvé par son épouse.

Bardella en appelle aux électeurs de droite

La patronne du RN, qui grimpe inexorablement dans les sondages, l’affirme : « Le meilleur moyen de lutter contre le gouvernement, c’est de voter, c’est la seule chose qui marche ». Au déjeuner, son lieutenant grand vainqueur à l’applaudimètre, Sébastien Chenu, explicite : « Ne remplacez jamais votre bureau de vote par une casserole, le bulletin de vote sera toujours plus sonore ». Manière de s’opposer frontalement à la NUPES, sifflée lors de l’intervention de Jordan Bardella qui la qualifie de « pseudo-insoumission à Emmanuel Macron » et caricaturée ainsi par Chenu à l’Assemblée : « Nous ne sommes pas arrivés en haillons, drogués, vociférant, sectaires, nous nous sommes mis sur notre 31 avec nos cravates ».

Pour mieux se démarquer de la gauche et des syndicats, le RN tente d’effectuer une opération de séduction à destination des électeurs de droite, et revient pour cela sur ses fondamentaux. « La valeur travail », est brandie par le vice-président de l’Assemblée nationale, Sébastien Chenu pour expliquer le choix du Havre où Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête du premier tour avec 30 % des voix en 2022. « Je le dis à l’électeur de droite, y va encore plus franchement Jordan Bardella, vous qui n’en pouvez plus du politiquement correct, vous pour qui le mot mérite et le mot nation ont une signification profonde, n’attendez pas et rejoignez-nous ! » « Il nous faut rétablir l’autorité du professeur et l’ordre dans nos rues », affirme-t-il encore.

Des références dignes d’un meeting de l’UMP, années Sarkozy. « Je dirais plutôt un meeting RPR des années 1990 », rectifie Chenu en souriant, venu de l’UMP. « On occupe la place qu’occupait l’UMP auparavant », assumait peu avant son discours, le président du RN, à table.

Pas de mesures sociales, peu d’adresses aux travailleurs à part une promesse des « jours heureux », brandie par Jordan Bardella reprenant le slogan du candidat communiste Fabien Roussel en 2022, lui-même emprunté au Conseil national de la Résistance. Bardella multiplie les références au gaullisme, manière de séduire encore l’électeur de droite.

Inflation et pouvoir d’achat loin du discours

Dans sa prise de parole d’une demi-heure, en début d’après-midi, Marine Le Pen parle à peine du pouvoir d’achat ou de l’inflation et évoque une seule fois la question de « l’écrasement des salaires au bénéfice des spéculateurs », sans détailler d’idées pour leurs hausses potentielles. Dès le début de son discours, Marine Le Pen fait surtout part de son « impression de n’être plus chez nous quand des quartiers entiers, des villes mêmes, deviennent des enclaves étrangères, hostiles à ce que nous sommes ». Elle s’en prend au « communautariste Pap Ndiaye », le ministre de l’Éducation nationale, sans argument, ou au projet d’Emmanuel Macron « d’expropriation, de dépossession et de démantèlement du pacte social ». Elle tente de pousser la thématique de l’environnement avec cette formule contre « l’écologie punitive ». « Leur objectif est d’interdire les voitures tout court ! (...). Derrière cette idéologie rode l’idée de la disparition de toute activité humaine », prévoit celle qui avait un peu plus tôt affirmé devant la presse que « l’élevage intensif n’existe pas en France » et que « personne n’a la solution pour éviter la sécheresse de cet été ».

De longues minutes, en revanche, consacré à la « violence qui semble surgir de nulle part, des coins sombres des rues » ou au « wokisme », comme Édouard Philippe avant elle, deux ans et demi plus tôt, dans la même salle. « C’est le triomphe d’identités artificielles exacerbées par des groupuscules minoritaires » et la « mise en danger psychologique des enfants », décrit la dirigeante frontiste, dans un long développement, sans vraiment faire réagir la salle et loin des problématiques sociales du moment.

« La gauche NUPES hargneuse et irresponsable n’a aucun débouché à offrir si ce n’est le déboulonnage de la république française », attaquait un peu plus tôt Jordan Bardella, dans la même veine. Les Lepénistes affichent leur sérénité. « Ceux qui ont voté contre Le Pen en votant pour Macron, je ne suis pas sûre qu’ils le referont », prédit l’ex-candidate qui n’a pas de crainte non plus quant à un éventuel futur Premier ministre de droite. « À chaque fois qu’Emmanuel Macron prend une décision, c’est une bonne nouvelle pour nous. S’il tue LR, il libère un électorat », se satisfait-elle. Juste devant la tribune, un ancien électeur de François Fillon, 72 ans, se dit « très confiant pour 2027 ». Paraphrasant la nouvelle affiche de Le Pen ouvertement populiste « Le pouvoir au peuple », il déclare : « Nous avons des pouvoirs qui n’écoutent pas le peuple ».

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