14 ans et déjà titrée chez les pros: qui est Ksenia Efremova, la nouvelle "Tsar" du tennis français?

A-t-on déjà vu pareil phénomène éclore et croître sur le sol français? "Là, comme ça, je n’ai pas de noms qui me viennent…", se résigne un membre de la Fédération française de tennis (FFT). Il faut dire qu’au petit jeu des comparaisons dont raffolent les journalistes, la jeune Ksenia Efremova (14 ans) ne facilite la tâche à personne.

Parce qu’elle est jeune, et qu’en dépit d’un talent indéniable et d’une maturité hallucinante, tout reste encore à écrire. Et surtout parce que l’histoire incite à la prudence. Combien de talents auxquels il était promis un avenir radieux ont fini par se brûler les ailes?

Devenue la plus jeune vainqueure d’un tournoi sur le circuit professionnel ITF depuis 2003, après son titre sur le 15.000 dollars de Monastir fin décembre, Ksenia Efremova disputera dans la nuit de vendredi à samedi son premier match en Grand Chelem junior à l'Open d'Australie, face à la Tchèque Tereza Valentova, 16 ans, finaliste du dernier US Open junior. Un nouveau défi pour la Française pour qui, malgré son indéniable talent, la route est encore longue et le chemin parsemé d'embûches avant d'atteindre les sommets espérés.

Pour ceux qui l'ont côtoyé plus jeune ou qui ont eu la chance de pouvoir observer au bord du court, interpellé par le son que produit sa raquette au contact de la balle, la force de frappe "assez dingue" de ce petit gabarit, l'évidence saute aux yeux. Son entraîneur Pierre Débrosse se remémore pour RMC Sport sa première rencontre avec le phénomène.

"Jouer aussi vite, frapper aussi fort, avec ce si petit corps, c'était assez impressionnant. Moi, ce qui m'avait choqué, c'est quand même le timing, cette capacité à prendre la balle très tôt, et ce refus de la défaite, deux choses qui la caractérisent encore aujourd'hui."

S'ils se sont séparés à l'initiative du coach en septembre 2021, Pierre Débrosse et Ksenia Efremova ont rétabli le contact en septembre 2023, avec l'assentiment de l'entrepreneur du tennis aux multiples casquettes, Patrick Mouratoglou.

"Je ne suis pas surpris, il croit énormément en elle, depuis toujours"

Mouratoglou ne doute pas lui non plus que la jeune joueuse qu’il couve au sein de son académie à Biot (près d’Antibes), dans le sud de la France, sera à l’avenir une championne: "Attention, je peux me tromper, mais par contre, j’ai un peu d’expérience. Et un certain nombre de critères me font penser qu'elle a tout pour gagner des grands tournois et être extrêmement forte."

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L’ancien coach de Serena Williams en a été assez vite convaincu quand il a vu débarquer la jeune fille. Accompagnée de sa mère, Julia (ex-285e joueuse mondiale, sa première coach), qui tient la famille à bout de bras depuis que le père est décédé en 2022 d'un cancer, Ksenia Efremova posait ses valises en octobre 2019 pour une semaine de test au sein de son académie.

"Elle n’est plus jamais partie depuis", savoure encore aujourd’hui Patrick Mouratoglou, pas peu fière de pouvoir la compter parmi ses protégés.

"Ce qui est hyper frappant, c’est qu’elle a une capacité de concentration à l’entraînement qui est absolument incroyable, une énergie, une intensité de tous les instants", s’émerveille-t-il auprès de RMC Sport.

Son objectif? Marquer l'histoire du tennis

Poussée plus jeune par sa mère, qui nourrit depuis toujours pour sa fille le rêve de jouer et de gagner des tournois du Grand Chelem, Ksenia Efremova est devenue au fil du temps moteur de son propre projet.

"Elle a presque plus envie que sa mère. Elle veut tout gagner, c’est viscéral, insiste Patrick Mouratoglou. Les deux semaines qui ont précédé sa dernière apparition aux Petits As (défaite en demi-finale de l’édition 2023), Ksenia voulait s'entraîner cinq heures par jour. Elle se levait à six heures du matin et disait à sa mère: 'viens, on va courir'. C'est elle qui poussait sa mère."

Ksenia Efremova bénéficie depuis 2020 du soutien de la fondation ChampSeed et d’une aide financière et logistique fournie par la Fédération française de tennis.

"Avec elle, on s'adapte un peu parce qu’elle est hors cadre, au-dessus du lot à tous les niveaux. Elle est déjà très proche du haut niveau", confie à RMC Sport Pauline Parmentier, chargée des 15-18 ans chez les filles.

Une singularité qui avait déjà interpellé le patron des Petits As, le tournoi de référence au niveau international pour la catégorie des moins de 14 ans (fondé en 1982). Jean-Claude Knaebel en a vu défiler, des prodiges.

Des talents qui sont parfois devenus de grands champions, certains parmi les plus importants de l’histoire récente de ce sport, sans forcément gagner à Tarbes d’ailleurs, aussi bien chez les garçons (Roger Federer, Novak Djokovic, Rafael Nadal, Andy Murray…) que chez les filles (Justine Hénin, Simona Halep, Carolina Wozniacki…).

Âgé de 86 ans, Jean-Claude Knaebel a accepté à la veille de son tournoi (du 18 au 28 janvier 2024) de nous ouvrir en grand les portes d’une mémoire restée très vive*. Sa comparaison immédiate? L'ancienne n°8 mondiale Anna Kournikova (vainqueur en 1994).

"La même assurance, une personnalité affirmée. Sur le plan humain, je la compare vraiment à Anna Kournikova", avance le patron du tournoi.

Sur le plan tennistique, souhaitons à Ksenia Efremova de ne pas connaître la même trajectoire que sa devancière, présentée par le New York Times, en 1996, comme "le nouveau phénomène du tennis féminin". Deux ans après sa victoire à Tarbes, Anna Kournikova disputait l'US Open et devenait la plus jeune joueuse à remporter un match en Grand Chelem, à l’époque (ndlr, elle s’arrêtera au 4e tour, sèchement battue par Steffi Graf, future vainqueure du tournoi).

La tenniswoman Anna Kournikova était prometteuse, mais c'est pour sa plastique avantageuse que l'égérie a séduit les sponsors et enchaîné les contrats publicitaires. Ksenia Efremova, à l'instar de sa prédécesseur ultra-médiatisée, est entrée dans le giron du géant IMG, qui a signé l'adolescente à l’âge de dix ans. Une précocité rare motivée, nous dit-on, par un marché ultra concurrentiel.

Les marques de cosmétiques souhaitant associer leur image à celle de Ksenia Efremova n'ont pas tardé à se jeter sur l'adolescente au potentiel phénoménal, mais son entourage prend soin de les écarter, conscient du danger. Seuls les équipementiers Nike et Yonex sont présents depuis le début de l’aventure, permettant à Ksenia Efremova de s’offrir un staff de haut niveau (coach tennis, prépa mental, nutritionniste, endocrinologue). Le reste attendra.

"Elle aura le temps de s’en préoccuper quand elle aura du succès sur le circuit", glisse-t-on à RMC Sport.

"C’est une joueuse qui travaille très dur, elle sait exactement où elle veut aller, elle a toujours eu des objectifs très clairs: être numéro une mondiale, gagner des tournois du Grand Chelem, marquer l’histoire du tennis", tient à rassurer Pierre Débrosse.

Ksenia Efremova ne franchit pas les paliers, en ce sens qu'il n’y a pour l'instant aucun intermédiaire dans sa progression vertigineuse: les écueils tombent les uns après les autres. Sa trajectoire est fulgurante.

Depuis qu’elle a arrêté le circuit des moins de 14 ans, la prodige du tennis français navigue entre deux mondes, les juniors et les professionnels, avec un dévouement à ses routines quotidiennes qui lui permet de rêver plus grand.

"Moi j’y crois, autant sur le plan sportif que sur le plan de la personnalité, du caractère. Je pense qu’elle est promise à un bel avenir si rien d’autre ne vient troubler son parcours, estime Jean-Claude Knaebel. Sur le plan tennistique, elle est très douée."

Tennistiquement, Ksenia Efremova a une identité de jeu déjà très établie, qu’elle s’est attachée à consolider ces deux dernières années et qu’elle continuera de stabiliser tout en s’étoffant physiquement. "Elle est en retard sur la croissance, admet son entraîneur. Mais c’est plutôt un point positif, parce qu’elle arrive déjà à être à ce niveau-là avec un corps de 12-13 ans".

"Quand elle va grandir et se développer, on peut imaginer quelque chose d’assez dingue", se prend-il à rêver.

Un sourire d'ange, un caractère en acier trempé

Son jeu? Prendre la balle très tôt en étant proche de la ligne, frapper très fort des deux côtés, avec une intensité égale et sans jamais reculer, ce qui peut évidement lui arriver en match, sous le poids de la pression. Après tout, elle n'a que 14 ans.

"Quand on frappe fort sur Jannik Sinner (4e joueur mondial au classement ATP), il en remet dedans, de la vitesse. Il faut un timing exceptionnel et elle l’a. C’est une sorte de rouleau compresseur, c’est vraiment très fort", admire Patrick Mouratoglou.

"Elle est impressionnante parce qu’elle est toujours en demande, toujours en recherche de challenge, elle est joueuse, souligne pour sa part Pauline Parmentier. Quand on jouait, elle me disait: 'tu penses que je te prends un set, tu penses que je prends un set à untel?' C’est une jeune fille attachante, très souriante."

Au quotidien, la jeune fille attachante peut aussi se transformer en petit patron, un tempérament à l'origine de nombreuses tensions: "Ce n’est pas toujours facile au quotidien, elle a ses idées bien à elle. Mais c’est ce qui fait aussi qu’elle est très forte, et il faut l’accepter", s'incline Pierre Débrosse.

Arrivée en France à l’âge de 9 ans avec sa mère, Ksenia Efremova disputera l’Open d’Australie junior à partir de ce samedi sous les couleurs du drapeau tricolore. Elle a obtenu la nationalité française en juin 2023, près de deux ans après le dépôt de sa demande. L’idée avait germé petit à petit au sein de la famille, reconnaissante de ce que la France lui avait apporté et de la manière dont chacun des enfants (Ksenia a deux frères, l'aîné va partir en université américaine) et la mère avaient été accueillis.

"La demande avait déjà été formulée, bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais cela n'a fait que renforcer la conviction de la famille qui se retrouvait davantage dans les valeurs portées par la France", fait-on savoir dans son entourage.

Pour son tournoi de préparation, Ksenia Efremova est sortie des qualifications, enchaînant les victoires impressionnantes avant d'être battue sèchement par la 11e joueuse mondiale chez les juniors, l'Américaine Iva Jovic. La Française s'est inclinée sur le score très sévère de 6-1, 6-1, à l’issue d’un match qui aura toutefois duré près de deux heures (1h50).

"Ce qui veut dire qu’il y a quand même eu une grosse bagarre. À l'Open d’Australie, il peut tout se passer", se projette son entraîneur.

Le pronostic est d'autant plus difficile à établir que la jeune Ksenia, néophyte à ce niveau, disputera donc son premier tournoi du Grand Chelem. "Avec la chaleur, les juniors, c’est compliqué, ajoute Pierre Débrosse. On sait que Ksenia se battra jusqu’au bout quoiqu’il arrive. On ne se fixe pas forcément d’objectifs. On espère qu’elle pourra faire de grandes choses et embêter les meilleures."

* L'entretien a eu lieu le samedi 13 janvier 2024

Article original publié sur RMC Sport