Étienne Klein : « Je suis vacciné contre le désespoir »

Le physicien et philosophe des sciences Étienne Klein.  - Credit:JOEL SAGET / AFP
Le physicien et philosophe des sciences Étienne Klein. - Credit:JOEL SAGET / AFP

Je suis, je crois, vacciné contre le désespoir depuis que j'ai découvert – il y a fort longtemps – les ouvrages du philosophe Clément Rosset. Bien que je la sache parfaitement discutable, sa thèse centrale m'a définitivement dopé. Il la résumait lui-même ainsi : « L'homme ne vit que d'un espoir d'évasion alors qu'il n'y a pas d'évasion possible. » Toute son œuvre dénonce nos vaines tentatives pour travestir la réalité par l'invention de mondes parallèles fantomatiques censés lui servir d'alibi ou de compensation. En somme, martelait-il, nous ne devrions pas nous raconter d'histoires : notre monde, avec toutes les misères qu'il contient, ne peut être dédoublé.

À partir de cette prise de conscience, ce penseur atypique a développé une philosophie originale de la joie, la « force majeure », à ses yeux : par la joie, je prends plaisir au réel tout entier, sans en masquer aucun aspect, aussi effroyable soit-il. La joie, ainsi refondée philosophiquement, n'est ni un remède ni une échappatoire. Elle est même l'inverse puisqu'elle intègre explicitement la connaissance lucide du pire à l'exercice jubilatoire de l'existence.

Je demeure très sensible à ce « paradoxe de la joie » que Rosset a fait surgir : alors que rien ne me porte à approuver la réalité, je puis l'aimer inconditionnellement, sans motifs, avec allégresse même, et de façon irrationnelle. Car être joyeux, c'est toujours être joyeux malgré tout. Mais c'est justement cette joie qui me donne à la fois l'env [...] Lire la suite