"Il a été le premier tué, le dernier enterré": au procès Charlie, l'hommage poignant à la victime "oubliée" des attentats

La cour d'assises spéciale, à Paris, lors du deuxième jour du procès des attentats de janvier 2015.  - Benoit PEYRUCQ / AFP
La cour d'assises spéciale, à Paris, lors du deuxième jour du procès des attentats de janvier 2015. - Benoit PEYRUCQ / AFP

Un "costaud" de 120 kg, "bon père de famille", "protecteur" comme un "grand-frère". Ce mardi, la cour d’assises spéciale s’est penchée sur la première victime tombée sous les balles des frères Kouachi dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo. Frédéric Boisseau, 42 ans, responsable d’opération chez Sodexo dans l'immeuble de l’hebdomadaire satirique, est mort dans les bras de son collègue, Jérémy G. A la barre, ce dernier s’en est pris au "silence" des médias sur la mort de son ami "Frédo". Une victime "oubliée" des attentats de janvier 2015.

Odeur de poudre

Les poings serrés et le regard droit face à la cour, Jérémy G. se souvient de cette froide matinée de janvier, appelé avec deux collègues pour la maintenance d’un immeuble du 11ème arrondissement. De cet instant où la porte de la loge des gardiens s’est ouverte et qu’un homme cagoulé s’y est présenté, a crié "Charlie", puis a ouvert le feu en direction de Frédéric Boisseau.

"Il a braqué l’arme, avec un regard déterminé. (...) Je me souviens de cette odeur de poudre, j’avais l’oreille qui sifflait, je pensais qu’il allait m’abattre. (...) J’ai mis un genou à terre, je me suis protégé avec mes bras", détaille-t-il aux juges.

Rapidement, il se rapproche de son ami, avec qui il travaillait depuis près de dix ans, puis le prend dans ses bras. "Jérémy, je suis touché, appelle Catherine", lui souffle-t-il. Très vite l’odeur du sang remplace celle de la poudre. Frédéric est immobile mais les terroristes eux, rôdent toujours aux étages supérieurs, avec le bruit des tirs de kalachnikov en rafale. Et puis soudain, un silence "angoissant."

Le premier tué, le dernier enterré

Tandis que Jérémy G. tente de contacter les secours, il voit son "confident", son "grand-frère" partir: "Dis à mes enfants que je les aime", prononce, dans un dernier souffle Frédéric Boisseau. Son regard se fige en l’air. "Quand je l’ai pris dans mes bras, mon doigt est entré dans le trou de la balle, j’ai réalisé qu’il s’était fait perforer", dit-il. Sur le banc des parties civiles, plusieurs proches ne peuvent contenir leurs larmes.

Après le bal incessant des secours, Jérémy G. se rappelle de la panique des rescapés de Charlie Hebdo à l'Hôtel-Dieu. Et puis du traitement médiatique des attentats, où la lumière s’est immédiatement jetée sur les dessinateurs de l’hebdomadaire.

"J’en ai voulu à tous les médias" d’avoir "minimisé" la mort de Frédo, s’indigne-t-il. Tout en affirmant comprendre "l’envergure mondiale de Charlie Hebdo, il répète à la barre: "Au début Frédo n’a pas été cité", "Ca veut dire quoi, qu’il y a une hiérarchie?" Et d’ajouter: "Il a été le premier tué, le dernier enterré."

"On oublie vite dans ce pays"

Originaire de Seine-et-Marne, Frédéric Boisseau était un "bosseur", qui partait de la maison dès 4h30 et revenait rarement avant 19 heures. Père de deux garçons alors âgés de 10 et 13 ans, son épouse le présente comme un "papa formidable", qui construisait des cabanes dans les bois avec ses enfants. "Chez nous, il y avait tout le temps quelque chose à fêter, on était heureux", poursuit Catherine G., succédant à la barre en début d’après-midi. "Je n’ai pas perdu qu’un compagnon, j’ai perdu un ami. (...)" "Il ne méritait pas de passer sous silence", dit-elle, la voix tremblante.

Durant ces dix semaines d’audience, Jérémy G. a tenu à être partie civile en mémoire de son ami. Parce que "dès que les projecteurs s’en vont", on "oublie vite dans ce pays." En fin d’audition, le président l’a remercié d’avoir su "mettre de l’humanité dans ce procès."

Article original publié sur BFMTV.com