Éric Dupond-Moretti veut s’inspirer du « maxi-procès de Palerme » pour s’attaquer aux narcotrafics

Le « maxi-procès » de Palerme, représenté ici par le réalisateur italien Marco Bellocchio pour « Le Traitre » avec Pierfrancesco Favino dans le rôle de Tommaso Buscetta.
Lia Pasqualino Le « maxi-procès » de Palerme, représenté ici par le réalisateur italien Marco Bellocchio pour « Le Traitre » avec Pierfrancesco Favino dans le rôle de Tommaso Buscetta.

JUSTICE - « Je souhaite qu’on s’inspire de ce que font les Italiens avec beaucoup d’efficacité ». En dévoilant ce dimanche 28 avril son plan de lutte contre le crime organisé, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti n’a pas caché sa volonté de s’inspirer du modèle transalpin de lutte contre la mafia pour l’appliquer au fléau des narcotrafiquants en France.

Éric Dupond-Moretti veut créer un « statut du repenti » bien plus efficace pour endiguer le crime organisé

Pour cela, le garde des Sceaux a évoqué la future mise en place d’un statut du repenti. Une mesure qui permettra d’offrir une seconde chance aux criminels, en cas de collaboration efficace avec la justice. Ce statut permettra de voir la peine encourue réduite lorsque des « déclarations sincères, complètes et déterminantes pour démanteler des réseaux criminels » ont été formulées par le repenti.

À cela s’ajoute une forme de protectorat qui se matérialisera par « un changement d’état civil officiel et définitif ». Une méthode qui s’inspire directement de Tommaso Buscetta, du nom de ce mafioso sicilien devenu célèbre pour avoir été l’un des premiers grands noms de la mafia italienne ayant accédé au statut de repenti, brisant alors l’omerta.

Le « pentito »

« S’il n’y avait pas eu le repenti Tommaso Buscetta, il n’y aurait pas eu le gigantesque procès de Palerme (...) Dans ce type d’affaire, les complices qui témoignent sont indispensables pour faire tomber tout le réseau criminel », a ainsi illustré le ministre ce dimanche dans les colonnes de la Tribune Dimanche. En effet, le « maxi-procès de Palerme » est un cas d’école en matière de justice.

Ouvert en février 1987 en Sicile, ce procès avait pu voir le jour lorsque l’Italie avait (enfin) donné l’impulsion nécessaire pour s’attaquer au fléau de la mafia, un problème longtemps minimisé par les autorités et l’État. Résultat ? Un procès XXL que l’on doit en partie au « pentito » (repenti en italien) Tommaso Buscetta.

Arrêté au début des années 1980 au Brésil, ce criminel italien avait fini par intégrer un programme inédit de protection des témoins, lui offrant une protection coûteuse et d’importantes remises de peine. Suffisant pour permettre de briser le silence du milieu mafieux, sous l’impulsion du juge Giovanni Falcone.

Les échanges entre le juge italien Giovanni Falcone et le criminel repenti Tommaso Buscetta dans le film italien « Le Traître », sorti en 2019 au cinéma.
Lia Pasqualino Les échanges entre le juge italien Giovanni Falcone et le criminel repenti Tommaso Buscetta dans le film italien « Le Traître », sorti en 2019 au cinéma.

Ce dernier, sentant Buscetta prêt à se repentir après avoir vu plusieurs membres de sa famille assassinés, décide d’entamer une série de conversations secrètes avec le prisonnier pour qu’il puisse livrer un maximum de détails sur le fonctionnement de la mafia de l’époque. Deux mois plus tard, Tommaso Buscetta s’était confié jusque dans les moindres détails sur la structure hiérarchique de la mafia de l’époque.

Soigner le mal à la racine

Dans un tribunal bunker, le procès de Palerme s’ouvre finalement en 1986. Un peu moins de 500 accusés se présentent alors dans les boxs, comparaissant pour 120 homicides. Parmi les accusés, se trouvait alors Toto Riina, surnommé le « parrain des parrains », que Tommaso Buscetta aura finalement désigné comme responsable de nombreux meurtres.

Le résultat de ce procès est cataclysmique pour la Cosa nostra, le nom de la mafia sicilienne. Le 16 décembre 1987, après un an et dix mois d’audience, 360 accusés (sur 474) sont condamnés pour un total de 2 665 années de prison cumulées. Témoin-clé dans ce procès, Tommaso Buscetta deviendra l’exemple parfait de l’efficacité du programme de protection des témoins. Exilé aux États-Unis, Buscetta bénéficiera −comme le préconise désormais le ministre français− d’une nouvelle identité.

Pise le 10 février 1986, cette photo d’archive dévoile la foule présente dans la salle d’audience-bunker d’une prison sicilienne, où s’est tenu le maxi-procès de Palerme.
AFP Pise le 10 février 1986, cette photo d’archive dévoile la foule présente dans la salle d’audience-bunker d’une prison sicilienne, où s’est tenu le maxi-procès de Palerme.

Mais la mise en place de cette méthode aura également permis à l’Italie de voir naître une Direction nationale antimafia (DNA) dès 1982. Une entité finalement assez proche de celle que préconise désormais Éric Dupond-Moretti sous le nom de « parquet national dédié à la lutte contre la criminalité organisée », le « PNACO ». La DNA avait surtout permis d’aborder la mafia non plus comme « une suite de crimes particuliers », mais comme un « système de domination économico-miltaire et culturel » à la structure complexe, comme le souligne La Tribune Dimanche.

Efficaces mais pas radicales contre la mafia, le système de protection des repentis et les mesures judiciaires appliquées pour faire tomber les gros bonnets de la mafia n’auront pas suffi à protéger la vie des instigateurs de cette méthode de démantèlement des réseaux criminels. Qu’il s’agisse du juge Falcone ou du juge Paolo Borsellino, ils furent tous deux assassinés par la mafia en 1992, après le rejet de nombreuses procédures d’appel du maxi-procès de Palerme. De son côté, Tommaso Buscetta a pratiqué la chirurgie esthétique pour être certain de finir sa vie paisiblement. Ce qu’il fut le cas jusqu’à sa mort de causes naturelles en 2000, à l’age de 71 ans.

À voir également sur Le HuffPost :

Une hausse de la délinquance des mineurs en France ? Ce n’est pas ce que disent les chiffres

Kendji Girac : la conférence nationale des procureurs répond aux critiques sur le traitement de l’affaire