"Une épopée extraordinaire": Maurice Manificat annonce la fin de sa carrière en équipe de France de ski de fond

Maurice Manificat disputera ce dimanche la dernière course en Coupe du monde de ski de fond de sa longue carrière, sur le mythique 50km d'Oslo. Si à 37 ans, le quadruple médaillé de bronze olympique ne souhaite pas encore complètement raccrocher les skis (il devrait disputer le circuit Ski Classics), il ne fait plus partie des plans de l'équipe de France alors qu'il avait déjà été relégué en groupe B la saison dernière. Un choix de la Fédération française de ski qui s'impose donc à lui mais qu'il comprend. Et c'est avec beaucoup d'émotions que le fondeur du Vercors va mettre un terme à vingt années passées en équipes de France.

Le vice-champion du monde du 15km en 2015 prendra une dernière fois le départ d'une Coupe du monde, près de 18 ans après sa première à La Clusaz en 2006. Une longévité et un des plus beaux palmarès du ski nordique français. Un personnage, aussi. "Momo" Manificat a fait le lien entre deux générations de fondeurs avec en symbole ces trois médailles de bronze consécutives sur le relais 4x10km aux Jeux de Sotchi, Pyeongchang et Pékin.


Maurice, la question de s'arrêter s'est posée depuis quelques saisons maintenant, mais vous expliquiez que ce n'était pas le moment, alors pourquoi aujourd'hui ?

J'ai su que je n'étais pas reconduit en équipe de France l'an prochain donc ça laisse beaucoup moins de choix. Il a fallu un peu de temps pour l'accepter. Forcément ça impliquait plein de choses de ne plus faire partie de l'équipe de France. Je parlais souvent de me projeter sur les Jeux à Milan en 2026 qui étaient ma dernière deadline. Je sais que même si je voulais poursuivre hors des équipes de France, continuer à m'entraîner et passer par les sélections un peu comme j'ai fait cette année dans le groupe B, je ne me voyais pas me battre comme cette année, c'est très usant. Je préfère me dire que c'est le moment. Ce n'est pas un choix plein et entier de ma part, mais je vais m'orienter vers autre chose. C'était beaucoup de stress cette année, ces sélections. Ça aurait été trop compliqué de poursuivre dans cette voie. On m'a proposé l'opportunité de finir à Oslo, c'est l'occasion de bien finir les choses, sur une course mythique.

Est ce qu'on vous a expliqué pourquoi vous n'étiez pas reconduit en équipe de France ? Et est ce que vous l'avez compris ?

Oui et non. Je n'ai pas fait les performances suffisantes aux yeux des sélectionneurs et on m'a dit que la vocation d'un groupe B n'est pas à maintenir un athlète de mon âge. Donc les raisons sont sportives, clairement. C'est pour ça que j'ai mis un peu de temps à l'accepter. Je n'ai pas fait une saison dégueulasse en tout cas. Mon gros objectif de la saison qui était de revenir sur le tour de ski a été accompli. J'étais vraiment content de mon début de saison. Donc oui j'étais assez déçu mais bon ce n'est pas surprenant, ça fonctionne comme ça ces derniers temps à la fédération. J'ai mis du temps à l'accepter, mais j'ai 37 ans, j'ai une grande carrière derrière moi et malgré tout c'est plus facile à absorber. Je n'ai jamais eu autant de stress que ces derniers mois, jamais eu autant d'anxiété parce que ça va être un grand bond dans l'inconnu malgré tout. C'est vingt ans de ma vie en équipes de France, c'est mon sport, j'ai commencé à l'âge de 6 ans. C'est mon métier donc c'est difficile d'entendre que l'on me dit tu arrêtes ton métier. Ce n'est pas sans émotion que ça se fait. C'est forcément l'inconnu qui arrive derrière, même si petit à petit je dégrossis un peu ce qui va arriver, j'ai plein d'idées.

Vous évoquiez les Jeux de 2026, vous vous sentiez capable d'apporter encore quelque chose à cette équipe de France dans cette optique et dans cette perspective des Jeux, comme sur les relais par exemple?

Je sentais bien que déjà depuis l'an dernier on n'avait plus besoin de moi. Mes performances étaient forcément moins récurrentes même si c'était souvent aussi lié à des maladies l'an passé. Je suis souvent tombé malade, je l'ai été quasiment toute la saison. Donc oui je le sens bien, et tant mieux. L'équipe de France actuellement a une belle densité. C'est sûr que la priorité est sur le groupe A. Je sais comment ça fonctionne. C'est aussi ce qui m'a permis parfois ces dernières années qu'on me fasse confiance quand il y avait un coup de moins bien, de faire des impasses et de bien me repréparer. Ça c'est une chose qu'on ne m'offre plus. C'est une histoire de confiance et la confiance est perdue. Mais je l'accepte, c'est normal. J'ai 37 ans et c'est vrai que les dernières saisons étaient quand même assez en dents de scie. Je ne peux pas me dire que non, je n'aurais pas pu apporter encore quelque chose dans deux ans parce que j'ai eu des maladies, des circonstances qui ont fait que je n'ai pas pu accomplir tout ce que je pense que j'aurais pu réussir à accomplir. Oui, je suis dans peut-être dans une courbe descendante, mais je ne sens pas que j'étais mort complètement. Si je suis mort complètement, je me dirais j'arrête complètement le ski et la compétition. J'arrêterai totalement. Et là ce n'est pas le cas. Mais c'est sur aussi que ça devient compliqué sachant que l'équipe de France actuellement a beaucoup d'atouts ! On le voit cette saison ils ont égalé le record de podiums. On a quand même des athlètes qui ont claqué fort. Donc c'est sûr que de toute manière une place dans un relais typiquement, ça aurait été plus compliqué. Si on est lucide, forcément c'est très compliqué.

Quelles images, quels souvenirs vous gardez de votre carrière?

C'est dur d'en retenir un seul évènement, une seule performance ou un seul moment. Ce serait trop facile de dire que je retiens telle ou telle médaille. Oui mon titre de vice-champion du monde peut-être en individuel c'était une consécration en 2015 sur le 15 km skate. C'était une une quête sur cette distance qui m'a souvent réussi en coupe du monde mais qui a été si difficile dans les grands évènements à aller chercher. Mais forcément les médailles en relais c'est juste incroyable. Je vais résumer le truc en disant que ce qui globalise tout, c'est tous ces moments de camaraderie. Tous ces moments avec l'équipe... (il doit s'arrêter un long moment pris par les larmes). Ces moments avec l'équipe qui sont devenus des amis tout simplement. C'est vraiment tous ces moments, avec les copains, les staffs. À Vancouver en 2010, ce relais où on fait 4e, c'était mes premiers Jeux et je ne me sentais pas encore forcément pleinement intégré au sein de ce groupe Coupe du monde. Et cette défaite, cette tristesse, cette émotion de faire 4e sur ce relais avait marqué ce début, cette entrée en équipe de France et le début de tous ces moments de joie... (il s'arrête à nouveau pris par l'émotion). Désolé, ce n'est pas vraiment de la tristesse, c'est de la joie aussi, c'est un peu tout en même temps. C'est de la joie d'avoir tellement vécu ces expériences et ces moments qui sont ancrés en moi. C'est cette vie de groupe.

Vous avez été un animateur particulier en plus de cette vie de groupe...

Oui j'ai un tempérament... Je les ai rendus assez fous quand même. On ne compte plus mes retards. Dès le début je me suis fait remarquer. Mes entrées dans les groupes Coupe du monde... J'ai vite appris la vie (rire). Ça fait partie de mon personnage. J'ai essayé à des moments d'être à l'heure ! J'ai essayé et j'y arrive des fois (rire), Mais c'est vrai que oui j'étais un sacré personnage. On a bien rigolé aussi pour ce que je suis : tête en l'air, dans ma bulle. Je suis quelqu'un de solitaire à faire mon truc et ça l'a toujours été. Il y a cette dualité de la vie de groupe des stages, des compétitions. Avec l'envie de retrouver les copains parce qu'on va passer des moments fabuleux. Et puis en même temps, au bout de deux semaines, tu es content de rentrer chez toi parce qu'on ne se supporte plus (rire). On est content de retrouver sa famille, de s'entraîner seul et de pouvoir faire faire des choses différemment. Et après pareil, au bout de deux semaines à la maison, t'es content de repartir en stage ! J'ai un tempérament assez solitaire. La vie de groupe j'aime bien, mais il ne faut pas que ce soit trop. Pendant les stages, plus les jours passent et plus je suis en retard.... Mais on a bien rigolé ! Ca m'est déjà arrivé d'être en retard pour le départ sur un championnat de France (rire).

Est-ce que vous avez le sentiment d'avoir fait un peu le lien entre les générations jusqu'à l'actuelle qui accumule les gros résultats?

Quand je suis arrivé en équipe de France dans le groupe coupe du monde, je ne connaissais pas mon sport, je ne regardais pas mon sport à la télé. Je faisais mon chemin et je n'imaginais pas forcément faire une carrière dans le ski de fond. Mais petit à petit j'ai pris la conscience que le ski de fond était un sport ancestral, qu'il y avait des grandes courses mythiques, que c'est un sport incroyable. Et puis forcément, cette histoire de l'équipe de France avec le groupe de "Toz" (ndlr : Vincent Vittoz) dans les années 2000 jusqu'en 2010 justement. Ils avaient défriché plein de choses comme avec ce premier podium, cette première victoire en relais en coupe du monde en à La Clusaz. A l'époque ça ne m'avait pas marqué parce que je ne suivais rien ! Et quand Toz a arrêté en 2011, on a pris le relais, on a fait cette passation, avec notamment Jean Marc (Gaillard). J'ai pris conscience qu'on prenait le relais d'un héritage. Avec tous les podiums en coupe du monde que j'ai réalisé avec les autres également, petit à petit je me suis rendu compte vraiment qu'il y avait un héritage qui se poursuivait. Quand j'ai eu mon contrat avec les Douanes en 2009 ça a aussi été un tournant parce que j'ai pris conscience que c'était mon métier, que je faisais vraiment ça pour quelque chose. Représenter la France, mais plus que ça également.

Représenter ma discipline en France et cette équipe. Au lieu de courir pour moi finalement, j'ai commencé à courir pour les autres. Ça a été mon leitmotiv et c'est vrai que les grands événements c'était ça. C'était certes pour moi, mais ce relais c'était encore plus transcendant. Certes, je faisais des performances en coupe du monde, mais on voulait à tout prix accomplir cette épreuve en relais parce que c'est partagé, c'est le résultat de toute une équipe, de tout le monde. Et petit à petit je me suis rendu compte qu'on écrivait l'histoire, que je mettais ma patte dans l'histoire du ski de fond français et du sport français. Il y a une sorte de dimension d'héritage. Oui c'est futile, c'est que du sport mais en même temps, ça véhicule tellement de valeurs que forcément on se prend au jeu. Ça donne envie de pousser le travail à l'extrême, avec cette volonté d'accomplissement qui devient primordiale. Je vis ski de fond à l'année, même en vacances, c'est presque trop même (rire). Ces dernières années j'essaye d'avoir un peu de détachement mais malgré tout c'est quelque chose d'extraordinaire cette épopée. Et oui, c'est clairement un héritage, qui est en train de se poursuivre d'ailleurs.

L'année passée dans le groupe B a permis de s'en rendre compte avec la nouvelle génération?

C'est rigolo parce que la plupart des jeunes dans le groupe B ont des posters, des cartes dédicacées de moi. Certains ont les photos du moment où on a fait la dédicace ensemble. Donc c'était rigolo parce qu'on se dit waouh... ça fout un coup de vieux. Eux aussi m'ont dit qu'ils étaient fiers de s'entraîner avec moi. Clairement j'ai passé une super année, parce que cette relégation en groupe B je l'ai pris comme un défi. Et finalement, j'avais l'impression de retourner sur mes premières années de junior où on avait cette camaraderie, toutes ces conneries que l'on a pu faire ensemble. Et en même temps ce travail dans la bonne humeur pour chercher à se dépasser et accomplir des choses extraordinaires. Finalement cette année était un peu une passation avec ces jeunes et j'étais bien content de voir qu'ils ont réussi à passer des paliers, à passer des caps.

Article original publié sur RMC Sport