Épidémie de bronchiolite : « On a transféré notre enfant dans un hôpital à 138 km de chez nous »

90 % des cas d’hospitalisation pour bronchiolite concernent des enfants de moins d’un an.
ALAIN JOCARD / AFP via Getty Images 90 % des cas d’hospitalisation pour bronchiolite concernent des enfants de moins d’un an.

HÔPITAL - « Vers minuit, mon conjoint est venu avec une tête d’enterrement me dire que mon fils allait être transféré au CHU de Bordeaux », se souvient Marion. Comme plus d’une soixantaine de familles, elle a vu son enfant, hospitalisé pour une bronchiolite, être déplacé à plus d’une centaine de kilomètres, faute de lits et de moyens disponibles.

Ce 17 novembre 2022, Marion vient elle-même d’être admise à l’hôpital de Périgueux, car elle est en train de donner naissance à sa fille. Alors que son conjoint s’occupe de leur fils admis en pédiatrie, c’est donc toute seule qu’elle accouchera. « Il m’a laissée vers 14h00  et ma fille est née à 16h45 », note-t-elle. Sept heures plus tard, son mari lui apprend la nouvelle : l’oxygénation de leur fils ne fonctionne pas et il doit être transféré par hélicopète au CHU de Bordeaux, à 138 kilomètres de là. « Les sages-femmes ont accepté de me garder la petite pour que j’aille le voir en pédiatrie avant qu’il ne parte. L’hôpital était clairement débordé », se souvient Marion.

Dans l’hélicoptère, pas de place pour un parent. Son mari prend sa voiture au milieu de la nuit pour faire les deux heures de route et rejoindre leur fils, qui sera hospitalisé pendant cinq jours.

Un nombre record de transferts

En 2022, le nombre de transferts d’enfants souffrant de bronchiolite a atteint des records : plus d’une soixantaine depuis le début de l’épidémie, elle-même la plus forte observée depuis dix ans. En général, le pic se situe autour du 31 décembre. Pour le Dr Jean-Louis Chabernaud, pédiatre réanimateur et l’un des fondateurs du système de SMUR (structure mobile d’urgence et de réanimation) pédiatrique, tout cela aurait pu être mieux anticipé.

« On sait que c’est tous les ans à cette période. On sait ce qu’il faut faire, quels traitements donner, souligne-t-il. On est très en colère contre ce gouvernement qui ne nous a pas donné les moyens pour faire face, par manque de volonté politique. »

Emmanuel, interne de 28 ans en réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert Debré, dans le 19e arrondissement de Paris, se souviendra longtemps de la nuit du 31 octobre 2022. Il est alors de garde au SMUR pédiatrique de Montreuil (93). « En 24 heures, on a fait dix interventions, ce qui est énorme, et trois transferts hors d’Île-de-France : deux en hélicoptère vers Amiens et Reims et un en ambulance vers Reims. C’était assez impressionnant. »

À l’hôpital, certains enfants hospitalisés sont « stockés » en salle de réveil ou dans des couloirs, faute de chambres disponibles. « Tant qu’il n’y a pas de décès, le gouvernement attend simplement que l’épidémie se termine, souffle-t-il. Les parents sont en général hyper compréhensifs. Mais ça fait mal au cœur de leur apporter des soins dégradés. »

« On est montées dans l’ambulance en pleine nuit, sans réaliser ce qui nous arrivait »

Reims, c’est la destination qu’a dû prendre la fille d’Adélaïde, 38 ans, entrepreneuse parisienne. Alors âgée de sept semaines, ses symptômes inquiètent ses parents : elle a le nez très pris, respire mal, ne mange plus et a 38,8 °C de fièvre. « On a fini par appeler le 15, qui nous a dit d’aller aux urgences pédiatriques, explique Adélaïde. Je l’ai emmenée à l’hôpital Necker vers minuit. En arrivant, j’ai flippé, parce que c’était blindé, les gens avaient l’air d’être là depuis mille ans. »

Heureusement pour elle, les bébés de moins de trois mois sont prioritaires. Diagnostic : bronchiolite. Sa fille doit être gardée en observation pour la nuit, dans un box des urgences. « On lui a posé une sonde naso-gastrique pour la nourrir, fait une prise de sang, des gestes médicaux pour lesquels ni elle ni moi n’étions préparées », raconte sa mère. Le lendemain, pas de place en médecine pédiatrique. Et il faut libérer le box des urgences.

« Une pédiatre et une infirmière sont venues me demander si j’avais de la famille à Lille ou à Amiens, ce à quoi j’ai dit non ! », poursuit Adélaïde. Mais quelques heures plus tard, plus le choix : le tout petit bébé doit être transféré à Reims par la route.

« Elle était sanglée sur un lit, avec sa sonde naso-gastrique, tous les câbles pour le scope, complètement crevée, se rappelle sa mère. On est montées dans l’ambulance en pleine nuit, sans réaliser ce qui nous arrivait. J’ai passé presque douze heures sans pouvoir la prendre dans mes bras. » Sa fille sera gardée une semaine en pédiatrie. Pendant ce temps, son conjoint confie leur aînée, âgée de quatre ans, à sa mère pour faire des allers-retours à Reims. Un luxe que tous les parents ne peuvent se payer.

« Ce sont des familles qui sont déplacées de 150 à 200 km de chez elles, souligne Emmanuel, l’interne en pédiatrie. Certaines n’ont pas de véhicules, sont précaires et n’ont pas les moyens de payer le train. Dans ces cas-là, les enfants partent et se retrouvent seuls dans l’hôpital de transfert. » Ce qui n’est pas sans conséquences.

Des transferts à risque

90 % des cas d’hospitalisation pour bronchiolite concernent des enfants de moins d’un an. « Les bronchiolites, ce sont beaucoup de très petits bébés, parfois même âgés d’une semaine, 10 jours, un mois, rappelle le Dr Jean-Louis Chabernaud. Ils sont souvent encore allaités et ont des besoins importants de présence parentale. C’est très perturbant, pour eux. » À l’hôpital Necker, Adélaïde doit tirer son lait pour sa fille. « J’étais en post-partum, pas très vaillante, confie-t-elle. À l’hôpital, ils n’avaient qu’un seul tire-lait pour toutes les urgences, c’était l’enfer. »

Le transfert des enfants en lui-même comporte des risques. « Transporter de tout petits bébés en ambulance ou en hélicoptère, c’est dangereux, ça peut déstabiliser l’enfant, soutient Emmanuel, l’interne en pédiatrie. Ce n’est jamais une solution optimale, d’un point de vue médical. »

Après cette expérience compliquée, Adélaïde n’a qu’une hantise : devoir retourner aux urgences. « Ma fille a eu une rhinopharyngite récemment, raconte-t-elle. À chaque fois qu’elle se met à respirer bizarrement je suis en panique, parce qu’il n’est pas question qu’on y remette les pieds. »

De son côté, Marion a peur dès que son assistante maternelle emmène son fils dans des relais où il est au contact d’autres enfants. « Même si je sais que c’est bien pour lui et qu’il faut qu’il se socialise, reconnaît-elle. J’ai acheté un thermomètre frontal et je prends sa température tout le temps. C’est sûr que désormais, on est plus vigilants. »

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi