Élections européennes : les enjeux nationaux éclipsent-ils les enjeux européens ?
Les électeurs aux élections européennes voteront-ils pour des motifs nationaux ou européens ?
En France, les élections européennes sont présentées par certains comme des élections de mi-mandat ou un avant-goût de la présidentielle de 2027.
Les élections européennes “sont d’abord et avant tout des élections de mi-mandat”, affirme Jordan Bardella, tête de liste du parti d’extrême-droite Rassemblement national, qui appelle à “sanctionner l’Europe de Macron”.
"Si je suis en tête, je demanderai évidemment une dissolution de l'Assemblée nationale le soir même", lance même Jordan Bardella dans une interview à RTL. Un vœu pieux, car seul le Président de la République peut prendre cette décision selon la Constitution française.
“Oui, l’élection européenne de 2024 prépare l’élection présidentielle de 2027”, déclare de son côté Jean-Luc Mélenchon, candidat aux européennes à une place non éligible sur la liste de la France insoumise.
"Élections nationales de second ordre”
Un an après les premières élections européennes de 1979, les chercheurs Karlheinz Reif et Hermann Schmitt qualifient le scrutin d’”élections nationales de second ordre”. Perçu comme de faible importance, il permettrait aux forces politiques de sonder leur popularité au niveau national, surtout si elles ont lieu au milieu du mandat présidentiel. De plus, les chercheurs qualifient les élections européennes de “nationales” car elles sont organisées au niveau national, selon des règles nationales et opposent des candidats nationaux sur des enjeux nationaux. En effet, le mode de scrutin, le jour du vote, l’âge légal pour voter ou se présenter diffèrent d’un état membre à l’autre.
Toutefois, plusieurs études observent l’émergence d’attitudes européennes aux élections au Parlement européen. Ainsi Céline Belot et Virginie Van Ingelgom montrent l'existence d’un choix électoral sur des positions européennes lors des élections européennes de 2014.
Achats en commun d’équipements médicaux et de vaccins pendant la pandémie de Covid-19, adoption de sanctions contre Moscou suite à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie…
De quoi mettre en avant les enjeux européens lors du scrutin du 9 juin ? Rien n’est moins sûr selon l’analyste car l’action des institutions européennes reste mal connue du grand public.
Élections nationales
Cette année, les enjeux européens pourraient de plus être éclipsés par les enjeux nationaux aux élections européennes alors que l’attention de nombreux pays est accaparée par d’autres scrutins. Une dizaine de scrutins nationaux est en effet organisée dans l’Union européenne en 2024. En Belgique, les élections fédérales et régionales sont tenues le même jour que les élections européennes le 9 juin. Des élections présidentielles ont lieu en 2024 en Finlande, en Slovaquie, en Lituanie et en Roumanie, tandis que les électeurs du Portugal, d’Autriche et de Croatie sont appelés aux urnes pour les législatives.
Les élections européennes pourraient également être l’occasion pour les partis au pouvoir ou de l’opposition de sonder leur popularité en prévision d’élections à venir.
En Pologne, les élections parlementaires d’octobre ont provoqué l'alternance suite à la défaite du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS) et la victoire de la Coalition civique menée par Donald Tusk. "Pour le parti Droit et justice qui a été battu à l'automne, c'est aussi une occasion de se remettre sur les rails sur l'échelle nationale”, considère Eric Maurice.
Même analyse en République Tchèque où le parti de l’ancien Premier ministre Andrej Babis, perdant à la dernière élection présidentielle, est en tête aux élections européennes, selon certains sondages. “Pour lui, c'est aussi la perspective de revenir au pouvoir, peut-être lors de la prochaine élection présidentielle”, analyse Eric Maurice.
Les préoccupations nationales l'emportent
En France, les enjeux nationaux l’emportent sur les enjeux européens chez la moitié des sondés, d’après une enquête Ipsos menée pour « Le Monde », le Cevipof, la fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne.
53% des Français sondés répondent qu’ils tiendront compte “avant tout des propositions des partis sur les questions nationales” pour déterminer leur choix de vote, et 47% sur les questions européennes.
De plus, 52% des Français interrogés disent qu’ils “voteront avant tout pour manifester leur soutien ou leur opposition au président de la République ou à son gouvernement”.
L’européanisation des préoccupations est socialement clivée selon l’étude.
“Dans certains milieux, je pense en particulier aux cols blancs, aux cadres, aux personnes actives de moins de 50 ans, il y a une prise de conscience que l'Europe, c'est plus qu'une chose lointaine à Bruxelles ou à Strasbourg, explique Pascal Perrineau qui a contribué à cette étude. En revanche, dans certains milieux qui sont plus éloignés de l'Europe, je pense aux ouvriers, aux employés, aux chômeurs (...) il y a une préoccupation nationale qui l'emporte souvent sur la préoccupation européenne", précise l'auteur du "Goût de la politique"(Éditions Odile Jacob).
A contrario, les questions européennes, telles que l'immigration, la politique agricole commune ou le soutien à l'Ukraine s’invitent elles aussi dans les élections nationales.
De plus, sujets nationaux et européens sont tellement imbriqués qu'il est parfois difficile de les démêler.