Une école sous emprise de la Scientologie? 25 ans après, le procès de l'Institut Aubert débute
Comment juger correctement, 25 ans après le début d'une enquête? Le tout sans déperdition des preuves, et avec une sanction qui a du sens et qui répare les préjudices des victimes? C'est la question à laquelle va être confronté le tribunal correctionnel de Créteil qui juge à partir de ce mercredi le dossier de l'Institut Aubert. Cette école privée hors contrat a, selon l'accusation, été infiltrée par l'Église de scientologie, à l'insu de certains parents d'élèves et même d'enseignants.
Sur les bancs des parties civiles, ce sont aujourd'hui deux femmes de 31 et 33 ans qui s'assiéront. En 1998, elles avaient 6 et 8 ans et étaient scolarisées à l'Institut Aubert à Vincennes, dans le Val-de-Marne. Cette année-là, le maire de la ville réalise un signalement auprès du procureur de la République de Créteil, évoquant des méthodes inquiétantes d'enseignement pratiquées dans l'établissement. Une enquête est ouverte, un juge d'instruction nommé un an plus tard.
Des liens avec la Scientologie inconnus des parents
Les premières investigations, comme noté dans la synthèse des enquêteurs, ont permis de relever "des suspicions d'irrégularités dans la situation administrative de l'établissement d'enseignement privé hors contrat, (...), des allégations et présentations fausses ou de nature à induire en erreur, notamment l'indication 'initiation à l'anglais dès le jardin d'enfants' (...) ainsi que sur l'appartenance de l'institut à l'Église de scientologie."
Ces liens "établis par l'enquête" étaient ignorés par une partie des parents de la soixantaine d'élèves accueillis dans cet établissement qui proposait des enseignements de la maternelle au collège. Ces parents avaient été alertés par des "troubles du comportement" que présentaient leurs enfants alors que certains confiaient qu'ils devaient "faire le ménage" en classe.
Une mère de famille a affirmé aux enquêteurs qu'elle "n'aurait jamais inscrit" son fils dans cette structure si elle avait eu connaissance des relations entre la direction et la Scientologie, qualifié de mouvement sectaire par la Miviludes.
Des "carences graves"
Ces liens devaient également être "dissimulés" à certains enseignants. Ils ont témoigné, pour certains d'entre eux, ne pas savoir que les principes qu'ils enseignaient avaient un fondement scientologique.
En cause notamment, les soins "par contact". Cette méthode, issue de l'ensemble de croyances créé par Ron Hubbard aux États-Unis, et diffusé en France à la fin des années 1950, consiste à demander à un enfant blessé de toucher sa blessure pour se convaincre d'une absence de douleur.
Une expertise conduite dans le cadre de l'instruction note que cette technique non validée peut s'apparenter à "un défaut de soins non négligeable".
Des "carences éducatives, didactiques et pédagogiques graves" étaient également soulevées en raison "des qualifications insuffisantes des personnels d'enseignement et d'encadrement".
25 ans de procédure judiciaire
L'enquête a démontré les liens étroits entre l'équipe dirigeante de l'Institut Aubert et l'Église de Scientologie. Certains enseignants, adeptes de la Scientologie bénéficiait d'ailleurs de tarifs préférentiels pour scolariser leurs élèves. La gérante du premier avait en effet été auparavant la directrice de l'école de l'éveil à Paris, réputée proche de la Scientologie. Dans son réquisitoire, rendu en 2010, le parquet de Créteil relevait que l'établissement était dans les faits "contrôlé" par la branche française du mouvement.
Le tribunal de Créteil jugera donc cinq personnes physiques, anciens membres de cet institut, et une personne morale, l'association ABLE créée par l'Eglise de scientologie.
"Il s'agit donc d'un dossier sans complexité", selon un proche de cette affaire.
Pourtant, pas moins de dix juges d'instruction se sont succédés. Le dernier magistrat a rendu son ordonnance de renvoi en 2012, 14 ans après le début de l'enquête, reprenant à son compte les réquisitions du parquet qui demandait un procès pour quatre personnes notamment pour "tromperie". Il écartait des poursuites l'association ABLE, entre autres, en raison d'un délai déjà déraisonnable d'enquête.
Entendues dans le cadre de l'instruction, les personnes mise en cause dans la procédure nient que l'Institut Aubert avait des liens avec l'Eglise de scientologie et assurent que les enseignants ne dispensaient aucun enseignement religieux, scientologue ou autre. Contactés, leurs avocats n'ont pas donné suite à nos sollicitations.
"Maltraitance des justiciables"
Les familles des enfants n'ont pas voulu s'en tenir à cette lecture du dossier. La cour d'appel de Paris puis la Cour de cassation leur ont pourtant donné tort. Il faut attendre 2021 pour qu'elles obtiennent gain de cause auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme: le gouvernement français a reconnu au cours de la procédure devant la CEDH que "la durée de l'instruction a méconnu les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme" qui rappelle le droit à un procès "dans un délai raisonnable".
Il a fallu attendre encore un peu plus de quatre ans pour obtenir une date de procès, suspendue à la décision de la Cour de cassation qui a estimé en novembre dernier que la durée déraisonnable d'une enquête ou l'audiencement tardif devant un tribunal n'invalidait pas la procédure pénale.
"C'est un véritable déni de justice", dénonce auprès de BFMTV.com, Me Olivier Morice, avocat des parties civiles dans ce dossier. "Le caractère scandaleux de la durée de la procédure constitue une véritable maltraitance pour les justiciables."
L'avocat a en parallèle du procès adressé un courrier au garde des Sceaux. Il demande qu'une enquête soit conduite par l'Inspection générale de la Justice "pour que toute la lumière sur l'origine et l'étendue de ces dysfonctionnements soit établie", écrit-il dans le document que BFMTV.com a pu consulter.