"On est écœurés": la colère de médecins face à la réintégration des soignants non-vaccinés contre le Covid-19

"On est profondément écœurés, et c'est un sentiment collectif!". Médecin généraliste, président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty a multiplié les prises de parole pour encourager à la vaccination, et justifier son obligation dans le système hospitalier, depuis le début de la crise sanitaire ouverte par le Covid-19 début 2020.

Alors autant dire que l'annonce faite jeudi par le ministre de la Santé François Braun le met en colère. Ce dernier a indiqué qu'il allait se ranger derrière un avis de la Haute autorité de santé (HAS) publié le même jour, faisant passer la vaccination pour les soignants d'obligatoire à "fortement recommandée". Ouvrant la voie à la réintégration des soignants non-vaccinés.

"On a porté la campagne de vaccination (...). Il ne faut pas que le gouvernement compte sur nous pour porter les prochaines campagnes, ils n'auront qu'à les faire avec les antivax!", lâche-t-il auprès de BFMTV.com.

"S'ôter une épine du pied"

Depuis 18 mois, l'ensemble des soignants exerçant en France a l'obligation d'être vacciné contre le Covid-19, sous peine d'être suspendu. Dans leur immense majorité, conscients des bénéfices apportés par une telle démarche, médecins, infirmiers ou encore aides-soignants se sont pliés à la décision. Selon certaines estimations, de 2000 à 4000 soignants auraient été suspendus pour refus de recevoir une injection, avec cependant une dynamique plus marquée dans les Antilles.

Mais depuis quelques mois, certains partis d'opposition, comme La France Insoumise ou le Rassemblement national, militaient pour la réintégration des soignants suspendus. Une décision sur laquelle le gouvernement refusait encore de revenir, en décembre dernier.

Pour Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, en prenant cette décision, le gouvernement a voulu "s'ôter une épine du pied". Le spécialiste rappelle que nombre de soignants n'ont pas reçu de rappel contre le Covid-19 depuis mars 2022, et sont donc faiblement protégés face à la maladie.

Plus facile donc de lever l'obligation vaccinale plutôt que de "mettre en place une nouvelle campagne de rappel obligatoire".

"On donne le bâton pour se faire battre. J'ai souvent des patients qui me demandent si je suis vacciné. En leur répondant 'oui', je peux leur dire que le vaccin n'est pas dangereux, qu'il permet de réduire de 50% le risque d'infection. Avec cette levée, il y a un risque de crédibilité du médecin, qui n'est plus sur son piédestal d'exemplarité", nous détaille Benjamin Davido.

Des indicateurs en hausse

L'annonce dérange d'autant plus les médecins interrogés qu'elle est faite au moment où les indicateurs de l'épidémie repartent à la hausse. Durant la semaine du 13 au 19 mars, Santé Publique France écrivait dans son bulletin que bien qu'à des "niveaux faibles", les taux d'incidence et de positivité "continuaient d'augmenter", et ceci pour la "deuxième semaine consécutive".

Toujours selon Benjamin Davido, la réintégration des soignants non-vaccinés, "c'est un message casse-gueule, car le virus risque de circuler plus vite, plus fort. On risque de lui donner du sang frais avec de jeunes soignants. Et cela s'accompagne également d'un relâchement des gestes barrières à l'hôpital".

"On a un virus qui continue de circuler. Et qui nous dit qu'un nouveau variant dangereux ne va faire son apparition? C'est un raisonnement politique", balaie Jérôme Marty.

Une remise en question plus large de la vaccination?

En-dehors du vaccin contre le Covid-19, la HAS s'est également exprimée dans le même avis sur le vaccin DTP, qui vise la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, recommandant également la fin de son obligation. "Si on continue dans cette dynamique, tout va s'effondrer, tout le système de vaccination", craint Benjamin Davido.

"Ce message m'alerte encore plus que celui sur le Covid", poursuit-il.

Un constat qu'a partagé sur RMC ce vendredi Mathias Wargon, chef des urgences au centre hospitalier Delafontaine en Seine-Saint-Denis: "C'est un message envoyé aux antivax. On est un pays très antivax, en leur disant que la vaccination contre le Covid, ce n'est plus obligatoire, mais également celle contre le DTP... C'est un mauvais message envoyé".

Et ce alors que le gouvernement entend renforcer la vaccination contre le papillomavirus dans les collèges, comme l'a annoncé Emmanuel Macron en février dernier.

"C'est un très mauvais message, la prochaine campagne de vaccination, ils se démerderont tous seuls", a mis en garde Mathias Wargon.

La crainte des tensions dans les services

Enfin, les médecins s'inquiètent de voir émerger des tensions dans les services que réintégreront des soignants non-vaccinés.

"Cela va créer des tensions dans les services, et surtout, ceux qui ont perdu leur poste, ce sont les plus extrêmes! Ils vont faire du prosélytisme antivax!", fulmine Jérôme Marty, qui se demande si "vous avez envie vous que ce soient des gens qui pensent que le vaccin sert à contrôler les gens grâce à la 5G qui soignent vos grands-parents".

Pour Benjamin Davido, qui dénombre 1% du personnel médico-social de son établissement suspendu, "cela ne va pas ressouder les liens dans les équipes".

"Ils n'ont pas manqué aux équipes. Ils ont fait le choix du retrait au plus fort de la pandémie, et clairement, si demain ils reviennent, cela n'est pas sûr que ça soit vu d'un bon œil", croit-il.

Article original publié sur BFMTV.com