À Paris, devant Assas bloquée contre la réforme des retraites : deux trottoirs, deux ambiances

Ce jeudi 6 avril, l’université Paris-Panthéon-Assas a été bloquée pour la deuxième fois dans le cadre de la réforme des retraites.
Ce jeudi 6 avril, l’université Paris-Panthéon-Assas a été bloquée pour la deuxième fois dans le cadre de la réforme des retraites.

RETRAITES - Dans le quartier de Notre-Dame des Champs, dans le VIe arrondissement de Paris, presque rien ne laisse présager que quelque chose se prépare ce jeudi 6 avril pour la 11e journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. À un indice près : un jeune homme en pantalon rouge traîne deux poubelles derrière lui. Direction le 92 rue d’Assas, le siège de l’université Paris-II - Panthéon-Assas, dont l’entrée est bloquée pour la deuxième fois en moins d’un mois.

Ils sont une petite trentaine sur le trottoir du bâtiment. Devant les grilles fermées, poubelles et Vélib’ s’entassent. « Étudiants en lutte, Assas antifa » clame une banderole, juste à côté de « Grand établissement, culte de l’argent ». « Ça fait plaisir de voir Assas bloqué », sourit Victor* étudiant en L1 de droit.

Effectivement, l’image est rare dans cette faculté, connue pour être « estampillée de droite » comme peut l’écrire Le Figaro, et donc peu favorable aux mouvements sociaux. L’un des rares précédents date de 2020 quand l’université a fait le choix de maintenir les examens malgré la grève contre la réforme des retraites du gouvernement Philippe. Mais le blocus n’avait été que partiel.

Depuis « pas mal d’organisations étudiantes de gauche se sont réimplantées et les profils en L1 et L2 changent un peu », analyse un étudiant mobilisé ce jeudi, le visage à moitié couvert par un foulard rose « Solidaires ». Il explique que ce renouvellement est une conséquence de ParcourSup et des changements de règles de sélection des étudiants d’Assas.

Sur cette partie du trottoir qui bloque l’université jeudi matin, on rit, on crie « Retraites, climat même combat » ou le classique « La jeunesse emmerde le Front National » et on entonne « Résiste » de France Gall.

« Y’a des cassos qui ont bloqué notre fac »

En face, ils sont bien plus nombreux à les observer. L’ambiance est radicalement différente. Entre 7 h 30 et 8 h 15, au moins une cinquantaine d’étudiants et quelques enseignants se sont massés. Aucun sourire de ce côté-ci de la rue. « C’est insupportable ! ! ! Ça va arriver tous les jeudis ? » crie un jeune homme exaspéré. Dans un petit groupe, un décroche son téléphone, fixe les poubelles amoncelées et résume la situation telle qu’il la perçoit pour son interlocuteur :« Y’a des cassos qui ont bloqué notre fac ».

Si certains se disent « en colère », les regards en direction de la trentaine de manifestants ne sont pas ouvertement hostiles, plus agacés qu’énervés. Paul Antoine, en master de 1 de finances, observe la scène depuis une vingtaine de minutes, appuyé sur un poteau. Lui se dit « consterné ». « Il n’y a aucune raison de bloquer une université. Il y a plein de moyens légaux pour dire son opposition, des manifestations, des recours… Ce n’est pas le cas ici et ils font ça juste pour s’amuser », déplore-t-il calmement.

« Ils se pensent lésés alors que ça les dépasse »

Sur le fond, rare sont ceux qui disent soutenir à 100 % le projet actuel de réforme des retraites. C’est le cas d’Agathe, étudiante en M1 de droit. Elle veut être notaire et « ça va, je peux bosser jusqu’à 64 ans », assume-t-elle. En revanche, « pour des professions hyper physiques, comme ma mère infirmière », le recul de l’âge de départ à la retraite va « faire perdre de l’espérance de vie ».

Elle a fait partie des premiers arrivants aux alentours de 7 h 40, ceux qui ont découvert l’université inaccessible : « Je comprends les revendications, mais ça fait chier de se lever à 6 h 30 et d’arriver devant une fac bloquée », tempête-t-elle.

Cet avis, beaucoup le partage, comme en témoigne cet échange entre quatre étudiantes en M1, qui rient sous cape des chants et slogans des manifestants. Pourtant… « moi je suis pour le blocage, il y a des vraies revendications, ça ne me dérange pas », avoue l’une d’elles, presque hésitante, quand on lui pose la question. « Moi aussi », reconnaît une de ses amies. Mais elle ne décolère pas contre l’absence de communication autour du blocage. « Du coup, j’ai envie d’être contre eux, alors que sur les idées politiques, je suis plutôt d’accord. C’est bête, ça monte les étudiants contre eux », fustige-t-elle.

« Les extrêmes n’ont pas de terrain à Assas »

Une rue seulement sépare les deux blocs. Autant dire un océan. Les contacts entre les deux groupes sont quasi inexistants et « avec ceux qui viennent nous parler, c’est plutôt hostile », confient des organisateurs du blocage. « Depuis tout à l’heure, on débat avec des gens qui ne comprennent pas qu’on bloque. Ils se pensent lésés par le blocage alors que le sujet les dépasse », ajoutent-ils.

La culture d’Assas ne joue pas en faveur de la mobilisation. « Les étudiants sont plutôt hostiles aux mouvements sociaux et ne se gênent pas pour le montrer. Ils envoient des messages du genre ‘Vous nous empêchez de travailler’. Et on a quand même deux trois messages plus véhéments de temps en temps. C’est Assas… », philosophe Victor qui soutient la mobilisation.

« Je comprends les revendications, mais ça fait chier de se lever à 6 h 30 et d’arriver devant une fac bloquée ».

Comme pour prouver ses dires, une étudiante en M1 de droit, très remontée, estime que « la direction pourrait prendre des mesures » pour empêcher les blocus. Mais en attendant, pas question de perdre une journée. Au bout d’une heure et demie de blocage, le trottoir face à la fac s’est vidé. Les étudiants ont quitté les lieux et beaucoup évoquent des cours en visio ou des rendez-vous au café pour « bosser ». « T’as vu, la prof elle a changé le lieu du cours », prévient une étudiante par téléphone.

« La culture d’Assas c’est qu’ici on bosse et basta », tranche Paul Antoine. Et de balayer le cliché politique : « À chaque fois j’entends des gens qui pensent tous qu’on est des néonazis, ce n’est plus le cas ! Ce n’est même pas une question de politique : les extrêmes n’ont pas de terrain à Assas. On est juste là pour bosser », insiste-t-il.

En face, tandis que le blocage continue, une jeune fille danse en brandissant une pancarte « Klaxon » pour encourager les automobilistes à signifier leur soutien au mouvement. Les vivats et applaudissements éclatent pour remercier ceux qui répondent à l’appel.

* Le prénom a été changé

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