À Mayotte, des coupures d’eau deux jours sur trois, la sécheresse est-elle la seule coupable ?

MAYOTTE - Cela fait maintenant plusieurs semaines que les Mahorais et Mahoraises vivent à un rythme inédit de coupures d’eau. Déjà rationnée de longue date sur l’île, l’eau courante n’est désormais disponible qu’un jour sur trois, selon un roulement entre les communes établi depuis le début du mois par la préfecture.

Face à l’urgence et à la colère des habitantes et des habitants, le gouvernement a annoncé la distribution de bouteilles d’eau aux personnes les plus fragiles, ainsi que l’installation d’urgence de citernes d’eau potabilisée. Un porte-conteneurs affrété par l’État transportant 600 000 litres d’eau potable est arrivé à Mayotte cette semaine. Les opérations de distribution doivent débuter prochainement, en commençant par les personnes les plus fragiles, a annoncé le préfet Thierry Suquet à l’arrivée du cargo, comme vous pouvez le voir ci-dessous :

Mais comment les autorités en sont-elles arrivées à prendre la décision de couper l’eau deux jours sur trois dans un département français ? « La saison des pluies 2022-2023 est la plus sèche de l’histoire de Mayotte après celle de 1997 », répond la préfecture sur son site officiel (1). Entre décembre et avril, il a plu en moyenne 25 % de moins que la normale.

Sécheresse historique

Un réel problème, puisque l’île dépend principalement de cette pluie pour s’approvisionner en eau potable. En effet, l’eau qui arrive au robinet des Mahorais vient à 60 % des eaux de surface et à 30 % des eaux souterraines. La pluie agit directement sur ces deux ressources, que ce soit pour alimenter les rivières, les retenues collinaires ou les aquifères (nappes d’eau souterraine).

« La sécheresse exceptionnelle que vit Mayotte est aggravée par le changement climatique, qui raccourcit la saison des pluies et diminue son intensité », indique au HuffPost l’hydrogéologue indépendant Emmanuel Soncourt.

Pour autant, les experts soulignent que le manque de pluie est loin d’être la seule explication de cette crise. En effet, sécheresse ou pas, à Mayotte, l’essentiel de la pluie tombe sur une très courte période, entre décembre à mars. Le relief de l’île conduit cette eau à ruisseler, au lieu de pénétrer dans les sols. Il faut donc s’organiser pour la stocker et structurer sa gestion pour en fournir aux habitantes et habitants tout au long de l’année.

Méconnaissance des réserves d’eau

Pour gérer l’eau, il est nécessaire de suivre l’évolution des réserves, comme c’est le cas dans chaque département français à l’aide des données du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières, le service géologique national français) et des agences de l’eau, organismes publics chargés de la gestion de la ressource.

Problème : « Mayotte ne dispose pas, contrairement aux autres départements ultramarins, d’un office de l’eau », pointe du doigt, dans son dernier avis, la mission régionale d’autorité environnementale de Mayotte (MRAE), qui émane du ministère de la Transition écologique. L’hydrogéologue Jean-Lambert Join, professeur à l’université de La Réunion, remarque ainsi « qu’aucune donnée sérieuse n’est disponible pour le département ». « Dans le SDAGE 2022 (document public de référence sur la gestion de l’eau du territoire), je lis qu’entre 2016 et 2021 “les premières pierres d’un futur observatoire de l’eau” ont été posées. Pourtant, aujourd’hui, il n’y a toujours rien », relève le chercheur.

De son côté, le BRGM dispose de 17 points d’évaluation du niveau d’eau souterrain sur l’île et travaille à collecter des données depuis 1992. Pour autant, « en raison de la complexité du milieu volcanique, on ne connaît pas précisément les réserves en eau souterraines de Mayotte », concède Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales délégué à l’Outre-mer au BRGM. « Nous pourrions aller plus loin dans la valorisation de la ressource en eau souterraine, ce qui permettrait de diminuer la vulnérabilité de l’île aux périodes de sécheresse », estime-t-il.

Infrastructures insuffisantes et réseau vétuste

Une vulnérabilité qui ne date pas de la sécheresse enregistrée au cours des derniers mois. En temps normal, 30 % de sa population n’a pas accès à l’eau courante. Et ces cinq dernières années, la distribution en eau potable a été interrompue « une à deux fois par semaine sur toute l’île en fin de saison sèche et en début de saison des pluies », rapporte la chaîne Outre-mer La 1re. Par le passé, l’île a déjà connu des « crises de l’eau » en 1997, en 2017 et en 2020.

À chaque épisode de sécheresse, des réponses ont certes été apportées par les pouvoirs publics : création d’une usine de dessalement en 1998, réalisation des deux retenues collinaires en 1999 et 2001, généralisation des « tours d’eau » en 2017… Mais à nouveau, la MRAE de Mayotte note que « ces actions ont chaque fois été engagées dans l’urgence » et leurs mises en œuvre ont été « plus ou moins rapides et surtout plus ou moins abouties ».

L’usine de dessalement inaugurée en 1998 (qui fournit 8 % de l’alimentation en eau de l’île) n’a jamais tourné à plein régime, la faute à des problèmes de conception. Pire, les travaux d’extension décidés en 2017 ne sont toujours pas achevés. Une campagne de forage doit être entamée cette année, après 10 ans sans travaux de ce type.

Plus encore, « le réseau en eau de l’île connaît 30 à 35 % de fuites », relève l’hydrogéologue Emmanuel Soncourt, là ou un réseau d’eau optimisé connaît environ 10 à 20 % de fuites. « Réduire d’au moins de 10 % ces fuites ferait une différence sans équivoque face à la crise dans laquelle se trouve le département, d’autant plus que sa population ne cesse d’augmenter et, avec elle, la demande en eau potable », estime le spécialiste. Chaque année depuis 2012, la population de l’île augmente de 3,8 % selon l’Insee.

Déforestation et changement climatique n’arrangent rien

Au-delà de l’état des infrastructures, un autre facteur de crise est pointé du doigt par les experts : la déforestation, qui réduit la capacité des sols à absorber l’eau de pluie – et nuit donc à l’état des réserves souterraines. « En 2017, une étude de l’ONF indiquait qu’une centaine d’hectares de forêt permettrait de mettre à disposition 400 000 m3 d’eau par an en saison sèche, soit une dizaine de jours de consommation de l’île », rappelle l’Association des naturalistes de Mayotte dans un communiqué publié le 8 septembre denier, avant de constater qu’« aucune action de grande envergure contre la déforestation n’a cependant été menée depuis ».

Pour améliorer la situation à moyen terme, le préfet chargé de gérer la crise de l’eau à Mayotte, Gilles Cantal, a annoncé la mise en chantier d’une deuxième usine de dessalement et assuré que le projet d’une troisième retenue collinaire était toujours d’actualité. « Ces infrastructures vont mettre du temps à se construire, là où le changement climatique n’attend pas pour prendre de l’ampleur », rappelle Emmanuel Soncourt, tout comme la MRAE dans son dernier avis.

En attendant, à Mayotte, on guette la prochaine saison des pluies, qui devrait démarrer en novembre, espérant qu’elle ne soit pas déficitaire comme celle de l’an dernier. D’ici là, les habitants s’organisent et stockent l’eau les jours où elle coule. « Il faut bien la stocker dans des bidons propres et fermés, sous peine de voir bactéries émerger », insiste l’hydrogéologue Emmanuel Soncourt.

« On ne manquera pas d’eau potable à Mayotte, il y aura des bouteilles d’eau pour tout le monde à des prix extrêmement raisonnables », déclarait début juillet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Depuis, les restrictions se sont durcies et le prix de l’eau a grimpé en flèche. La bouteille de 1,5 litre coûte désormais 1,25 euro. C’est trois fois plus que dans l’Hexagone, alors même que Mayotte est le département le plus pauvre de France.

(1) Contactées, la préfecture de Mayotte et la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte n’ont pas répondu aux questions du HuffPost.

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