À Lampedusa, comment la catastrophe humanitaire vire à la guerre politique et à la crise diplomatique

L’île de Lampedusa a fait face un afflux important de personnes migrantes. Suffisant pour que l’extrême droite souffle sur les braises d’une crise diplomatique entre Paris, Rome et Berlin.

Il n’aura fallu que quelques jours pour que les événements de Lampedusa passent des inquiétudes sanitaires aux saillies politiques. L’île italienne, située entre Malte et la Tunisie, a fait face à un afflux sans précédent de migrants cette semaine. Dix ans, presque jour pour jour, après un naufrage qui avait fait plus de 300 morts près de ses côtes.

L’île est l’un des premiers points d’escale pour les migrants qui franchissent la Méditerranée en espérant gagner l’Europe. Chaque année pendant l’été, ils sont des dizaines de milliers à tenter cette traversée périlleuse. Près de 126 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes depuis le début de l’année, contre 65 500 au cours de la même période l’année dernière.

Cette fois encore, la crise a pris en quelques jours une tournure diplomatique créant une crise ouverte entre l’Italie et la France, et l’Allemagne.

Situation aggravée à Lampedusa après les inondations en Libye

La situation n’a jamais été aussi tendue à Lampedusa où 10 000 personnes sont arrivées entre lundi et mercredi 13 septembre, selon le ministère italien de l’Intérieur, soit plus que la population de l’île, saturant le centre d’accueil géré par la Croix-Rouge et dont la capacité est de 400 places.

Faute de place, des centaines de personnes, dont des enfants en très bas âge, ont dû dormir dehors, dans la rue, bénéficiant parfois de la générosité des habitants. Les autorités italiennes ont mobilisé d’importants moyens pour transférer ces personnes vers la Sicile ou des ports du continent.

Même si les migrants arrivant par la Méditerranée centrale sont principalement Ivoiriens, Égyptiens et Guinéens, les inondations qui ont fait des milliers de morts en Libye, et les bonnes conditions météo en mer, ont sans doute accentué la situation.

L’Allemagne prête à rouvrir la porte à l’Italie

Alors que les arrivées à Lampedusa s’intensifiaient, Berlin a révélé mercredi avoir suspendu depuis fin août l’accueil volontaire de demandeurs d’asile en provenance d’Italie, prévu par les accords européens. Le gouvernement d’Olaf Scholz a justifié cette décision par « la forte pression migratoire actuelle vers l’Allemagne » ainsi que par « la suspension persistante des transferts de Dublin par certains États membres », dont l’Italie, qui « renforce les défis majeurs pour l’Allemagne en termes de capacités d’accueil et d’hébergement ».

Le règlement de Dublin prévoit que le pays d’arrivée d’un migrant dans l’UE traite sa demande d’asile. Or, a écrit le journal allemand Die Welt, le gouvernement italien (d’extrême droite) ne reprend plus les demandeurs d’asile que veulent lui transférer d’autres pays, ayant fait savoir à ses partenaires que l’Italie n’avait plus les capacités d’accueil suffisantes.

Une surprise de la part de l’Allemagne, près de 10 ans après la décision d’Angela Merkel d’ouvrir les frontières allemandes aux réfugiés syriens en 2015. Ce vendredi, Berlin a dit avoir voulu « envoyer un signal » à l’Italie.

Un porte-parole a souligné que l’Allemagne était toujours engagée dans le mécanisme européen de relocalisation avec d’autres pays, et prête à tendre la main à l’Italie si elle remplissait à nouveau son obligation de reprendre les réfugiés.

L’extrême droite française monte au créneau

Alors que les Européens voteront l’année prochaine pour élire leurs eurodéputés, l’extrême droite française s’est glissée dans la brèche. S’agissait-il de s’inviter dans la botte alors que Marine Le Pen sera présente dimanche au rassemblement annuel de la Lega de Matteo Salvini, alliée de Giorgia Meloni. Le ministre italien dit voir dans ces arrivées massives « un acte de guerre » contre son pays.

Toujours est-il que Marion Maréchal, tête de liste du parti d’Éric Zemmour aux européennes 2024, s’est rendue ce jeudi soir à Lampedusa. Elle a dit vouloir « apporter un soutien au peuple italien (et) au gouvernement italien qui est abandonné par l’Union européenne, abandonné aussi par la France, et qui se retrouve seul à gérer cette situation ».

Dans la foulée, son rival et président du Rassemblement national Jordan Bardella a demandé à Emmanuel Macron de suivre la décision allemande et de prendre l’engagement de ne pas accueillir « un seul migrant » en provenance de Lampedusa.

Emmanuel Macron répond, Darmanin échange

Emmanuel Macron leur a répondu vendredi en renvoyant au « devoir de solidarité européenne ». « Je considère que c’est la responsabilité de l’Union européenne tout entière, d’être au côté de l’Italie », a déclaré Emmanuel Macron, estimant que cette nouvelle crise migratoire montrait « que les approches strictement nationalistes ont leurs limites ».

Gérald Darmanin a quant à lui échangé vendredi avec ses homologues allemand et italien, en plus d’un « point de situation » avec les services concernés en France. « Nous venons d’échanger longuement avec mon homologue italien Matteo Piantedosi. Nous sommes convenus d’agir ensemble auprès de l’Union européenne dans les heures qui viennent pour renforcer fortement la prévention des départs de migrants et la lutte contre les passeurs », a écrit le ministre français de l’Intérieur, sans donner plus de précisions.

Bruxelles enlisé sur le terrain migratoire depuis 10 ans

Bruxelles assure être « en contact étroit » avec Rome sur la situation. Une porte-parole de la Commission a précisé que l’Italie avait déjà reçu 14 millions d’euros de fonds européens pour faire face à cette situation.

Les discussions européennes autour d’un pacte migratoire sont enlisées à la Commission européenne, qui a présenté en septembre 2020 ce texte censé déboucher sur un système de solidarité entre États membres dans la prise en charge des réfugiés.

Quand bien même un accord de répartition serait signé, les compromis ont tant dévitalisé le texte - notamment la possibilité de s’acquitter d’une forme d’amende plutôt que d’accueillir des personnes -, qu’il n’aurait « aucun impact », estime Chloé Peyronnet, chercheuse sur les politiques migratoires européennes à l’université Paris Panthéon-Assas.

Faute d’avancée, le Parlement européen a adopté mi-juillet une résolution pour renforcer les moyens de Frontex dans les opérations de sauvetage. « Quand on sait que Frontex est déjà accusée de violations des droits fondamentaux et que lorsqu’elle repère des bateaux en détresse, elle les signale aux autorités libyennes, c’est une blague », ajoute-t-elle.

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