À Djerba, l’émigration fait le vide

Attablés dans un café, à l’entrée du village de Sedouikech, Jamel, Mohamed et Taoufik, la soixantaine, n’ont plus qu’un seul sujet en tête : le départ en continu des jeunes depuis le mois d’avril. “Ils sont en moyenne 400 à partir chaque mois”, s’alarme Mohamed.

Un décompte interminable

En l’absence de chiffres officiels, les habitants ont fait le recoupement avec les demandes de passeport au sein de la sous-délégation, pour faire une estimation. Mais au-delà des chiffres, le phénomène est visible à l’œil nu. Il règne dans le village un calme inhabituel.

C’est jour de marché, et l’agitation du lundi matin n’est plus qu’un lointain souvenir. Dans le café, les quelques habitués ont tous plus de 50 ans. Ce café fonctionne encore, et c’est un miracle. Ces dernières semaines, d’autres ont dû fermer faute de serveurs. Une mobylette passe, avec un jeune homme au guidon. “Je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui sont restés. Lui, par exemple, est infirmier à l’hôpital, remarque Jamel. J’ai discuté avec lui récemment, il ne sait plus quoi penser, tous ses amis sont partis”.

Les trois sexagénaires s’engagent alors dans un décompte interminable où chaque famille du village est passée au peigne fin. “Dans le menzel [habitation typique de l’île de Djerba] qui jouxte le mien, il ne reste qu’un couple âgé, ils sont littéralement seuls, je n’avais jamais vu ça auparavant”, s’inquiète Mohamed. Aujourd’hui, lorsque deux jeunes hommes se croisent dans la rue, ils s’interpellent : “Alors, tu n’es pas encore parti ?” ou encore, “La Serbie, c’est pour quand ?”

La nouvelle route des Balkans

Mais pourquoi ces départs si nombreux et soudains ? Ici et là, la même réponse fuse : la guerre en Ukraine aurait facilité l’entrée dans l’Union européenne par la route des Balkans. Difficile de comprendre le lien. Cet itinéraire avait été emprunté entre juillet 2015 et mars 2016 par des milliers d’hommes et de femmes venant principalement de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Plusieurs décisions politiques, dont la construction d’un mur de quatre mètres de haut, érigé à cette même période par le Premier ministre hongrois [Viktor Orban], ont fait diminuer le flux migratoire.

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