À La Courneuve, les contrôles de police « c’est tous les jours, tout le temps »

« Il faut qu’on règle ça, ce n’est plus possible. Les policiers sont censés nous protéger et au final, ils ne font que des dégâts » explique Makan, 23 ans.
BERTRAND GUAY / AFP « Il faut qu’on règle ça, ce n’est plus possible. Les policiers sont censés nous protéger et au final, ils ne font que des dégâts » explique Makan, 23 ans.

VIOLENCES POLICIÈRES - « Wanys, ça aurait pu être mon petit frère, ça aurait pu être moi, ou n’importe lequel d’entre nous. » Mamadou a 22 ans et il fait partie des centaines de personnes réunies pour la marche blanche en hommage à Wanys, tué dans une collision avec une voiture de la BAC le 13 mars, et Ibrahim, blessé dans le même accident. La dernière fois que Mamadou s’est fait contrôler par la police, c’était il y a trois jours. Il rentrait du travail en voiture et s’est fait arrêter, « juste comme ça ».

Parler des violences policières à leurs enfants est « épuisant, mais indispensable », pour ces parents noirs ou arabes

S’il est présent à la marche organisée à La Courneuve ce jeudi 21 mars en fin d’après-midi, c’est avant tout pour rendre hommage à Wanys et Ibrahim, et demander justice en leur nom. Car pour lui comme toutes les personnes interrogées par Le HuffPost lors de la manifestation, le décès du jeune homme de 18 ans n’est pas un fait isolé. Il est aussi le reflet d’un système qui met en danger les jeunes hommes perçus comme noirs et arabes, 20 fois plus contrôlés par la police que la population générale.

« On t’explique que pour nous, c’est comme ça »

« La première fois que tu te fais contrôler, il y a une incompréhension. Tu te demandes ce que tu as fait de mal », raconte Mamadou en se remémorant de son premier contrôle d’identité à la sortie du lycée quand il avait 15 ans. « Ensuite, on t’explique que pour nous, c’est comme ça malheureusement ». Celui qui se décrit comme « issu de banlieue » raconte se faire contrôler presque tous les jours, sans jamais qu’on ne lui donne de motif. « On apprend à faire avec. Si je reste bloqué là-dessus, j’avancerai pas dans la vie. » soupire-t-il.

Quelques mètres plus loin, Makan aussi se souvient très bien de son premier contrôle par les forces de l’ordre. « J’avais 16 ans, et j’allais acheter du pain pour ma mère. Nous étions plusieurs devant la boulangerie, la police est venue nous contrôler, et j’ai été menotté et emmené au poste. Je suis ressorti quelques heures après, sans explication ni rien. » En bas de chez lui, dans la cité des fleurs à La Courneuve, il assiste à des contrôles « tous les jours, tout le temps ». « C’est leur travail, mais ce n’est pas la bonne manière de le faire, s’indigne le jeune homme. On ne voit pas ces choses-là ailleurs, dans les endroits moins défavorisés. »

« Il suffit d’être à l’extérieur pour savoir que ça peut arriver »

À 23 ans, Makan raconte se faire encore contrôler « très souvent ». « S’il n’y a personne autour, ça se passe super mal. S’il y a des témoins, ça se passe mal, mais ils font attention. » Il raconte des violences physiques, mais aussi verbales « qui sont parfois plus impactantes que s’ils nous frappaient, des mots racistes qui sont censés être intolérables en France. » Déçu et en colère, il demande justice pour Wanys et Ibrahim, mais aussi pour toutes les victimes de ces discriminations policières dans les quartiers populaires. « Il faut qu’on règle ça, ce n’est plus possible. Les policiers sont censés nous protéger et au final, ils ne font que des dégâts. On demande la sécurité dans nos quartiers. »

Il y a presque 20 ans, après la mort de Zyed et Bouna, Nabil a lui aussi subi ses premiers contrôles. « Après les émeutes de 2005, on a vécu tellement de contrôles au faciès que je ne me souviens plus du premier. Dans la cité où j’ai grandi à La Courneuve, c’était une norme : il suffisait de prendre un café avec des potes, d’être à l’extérieur pour savoir que très vite, cela pouvait arriver ».

Conscient du risque de « dérapage », il explique avoir appris, « à force », à s’adapter : « On connaît les mots à ne pas prononcer, on se laisse faire et on attend que sa passe. On n’a pas le choix. » Pour lui, une chose est claire : « Il y a un problème de racisme profond, et si on veut trouver un vrai-vivre ensemble en France, il va falloir s’organiser et parler de ces défaillances. Qu’il y ait une manière d’interpeller les personnes blanches et une manière d’interpeller les personnes racisées, ça devrait faire réagir tout le monde. »

Des gestes « traumatisants pour les mineurs »

Une manière d’interpeller dont Yamina a été témoin quand son fils mineur s’est fait contrôler sous ses yeux. « C’était l’an dernier, à la patinoire de La Courneuve. J’étais avec des mamans, mon fils était devant moi avec quelques copains. D’un coup, les policiers sont arrivés et l’ont arrêté. Je sais qu’ils sont là pour faire leur travail, mais je les ai trouvés maltraitants. Voir son fils collé à un mur par des personnes armées jusqu’au cou pour une simple demande de carte d’identité, c’est choquant. » La quarantenaire raconte avoir essayé de se présenter aux forces de l’ordre pour calmer les choses, en vain.

Ce n’était pas le premier contrôle de son fils. « La première fois qu’il m’en a parlé, il avait quinze ans et depuis, c’est arrivé chaque année, sur le trajet de l’école ou du sport. Il s’est déjà fait palper, toucher certaines parties intimes du corps pour chercher des choses sur lui. Ces gestes peuvent être un traumatisme pour un jeune. »

Mais elle sait que son fils ne lui raconte pas chacune de ses interractions avec les forces de l’ordre. « S’il me le dit, je vais le priver de sortie parce que j’ai une peur bleue pour lui et mes autres enfants. Un simple contrôle peut toujours mal tourner. Ce qui est arrivé à Wanys, ça aurait pu arriver à n’importe qui. C’est tragique pour cette vie perdue si tôt, pour nos jeunes, pour nos enfants. »

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