« À 42 ans, je collectionne les poupées et j’aimerais qu’on arrête de me juger » - Témoignage
TÉMOIGNAGE - J’ai 42 ans et depuis près d’un an, je m’adonne pleinement à la plangonophilie. Au premier abord on pourrait croire qu’il s’agit d’un fétiche ou d’une préférence sexuelle particulière. En fait, ce mot un peu inhabituel désigne tout simplement l’activité qui consiste à collectionner les poupées.
Je suis même assez sérieusement atteinte puisque je dispose, dans mon salon, d’une centaine de poupées de toutes sortes exposées en vitrine. Certaines sont vintage, d’autres sont plus récentes. J’ai aussi tout un placard dédié au stockage, remplis de doubles, de poupées incomplètes ou de poupées neuves encore dans leur boîte. J’ai parfois l’impression d’être la conservatrice de mon mini-musée du jouet personnel.
Choisir, restaurer et exposer ses poupées
Je passe pas mal de temps à choisir les poupées qui rejoindront ma collection et à en prendre soin. Je les achète parfois dans des magasins de jouet mais je les chine surtout sur internet, dans les brocantes et les Emmaüs. Je les préfère de seconde main, ce qui me donne bonne conscience : je me dis qu’une poupée sauvée de la poubelle, c’en est une de moins à la décharge, ou dans la nature.
Mes soucis sont mis de côté, et l’anxiété qui fait partie de mon quotidien s’envole. Certains tricotent, d’autres font du sport. Moi, j’aime la mode, et voir chaque poupée être le reflet vestimentaire de son époque m’émerveille.
Ensuite, je les restaure. Je lave et coiffe les cheveux emmêlés des poupées, je fais de la couture et répare les vêtements abîmés. Cette activité presque méditative tempère un peu ma nature impatiente. C’est aussi réparateur : en redonnant de l’éclat à un objet abandonné, c’est un peu de moi dont je prends soin.
Un loisir stigmatisé
Mais avoir ce hobby à 42 ans, cela peut être difficile à assumer. Être une adulte qui va acheter des Barbie, c’est vite catalogué comme un peu bizarre, voire suspect. La société considère qu’après un certain âge, on doit laisser derrière soit les activités comme le jeu. Alors, quand on est une personne majeure qui s’aventure un domaine réservé aux enfants, on passe pour quelqu’un d’immature, qui refuse de grandir.
On est catégorisé comme un « kidult » [adulte-enfant, ndlr], terme qui ne me correspond pas vraiment. Je travaille, j’ai un appartement et j’assume toutes les responsabilités d’une adulte. Bien sûr, j’ai comme tout le monde une part d’« enfant » que j’assume pleinement - je crois qu’elle est assez symptomatique d’une part large de ma génération qui a été biberonnée au Club Dorothée et aux mangas.
Comment je parle (ou non) de ce hobby autour de moi
Je n’ai pas du tout appréhendé de parler de mes poupées à ma famille, qui est très ouverte d’esprit et partage mon goût pour l’esthétique. Ils ont trouvé ça très amusant, et je ne leur cache pas. Dans mon cercle amical, par contre, je garde mon passe-temps sous silence.
Mes amis sont très conventionnels, et même sans méchanceté, je pense qu’ils ne pourraient pas s’empêcher de juger ma collection. Nous sommes très différents : je suis plutôt rêveuse et réservée, ils sont plutôt extravertis, ils ont des vies très en phase avec la norme, je suis plutôt en décalage. Ma meilleure amie serait sûrement interloquée de voir que je dépense de l’argent dans des poupées plutôt que dans des voyages, et tout le monde se dirait que j’achète des objets superflus voire inutiles.
Un musée coloré et insolite
La question du sexisme est importante à mentionner, face à ce genre de loisir. Ces dernières décennies, de nombreux jouets ont été popularisés chez les adultes. Les legos, les objets de collections star wars, les figurine « funko pop »… Ces collections appartiennent souvent à des hommes, et elles sont considérées comme acceptables.
Les poupées, à l’inverse, sont un jouet de petite fille. Et comme toutes les choses associées aux filles, elles sont dévalorisées. En plus du stigma lié à l’immaturité, la société a aussi une vision très peu reluisante de ces figures féminines habillées de manière excentrique. Si mes amis les voyaient, ils diraient certainement qu’elles ressemblent à des « poufs » ou à des « pétasses ».
Mais malgré la vision parfois négative que la société peut porter sur mon passe-temps, je ne veux pas renoncer à quelque chose qui me fait plaisir, que je peux m’offrir avec mon propre argent et qui m’apporte une part de rêve. Je suis libre de mes choix et de mes passions. En revanche, j’ai compris qu’il fallait peut-être que j’élargisse mon entourage à des personnes aux univers plus similaires au mien !
Mon mini-musée coloré a encore de beaux jours devant lui, et je viens d’ajouter des étagères dans mon salon pour accueillir encore plus de ces petits humanoïdes de plastique et de chiffon qui égaient mon quotidien.
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