À 18 mois de la campagne présidentielle, Macron investit le front sécuritaire

Emmanuel Macron depuis l'Elysée lors d'une interview télévisée de TF1, à Paris le 21 juillet 2020 - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Emmanuel Macron depuis l'Elysée lors d'une interview télévisée de TF1, à Paris le 21 juillet 2020 - Ludovic MARIN © 2019 AFP

L'air a été beaucoup fredonné, voire braillé. Lundi soir, dans les locaux de la Bac Nuit du XVIIe arrondissement de Paris puis du commissariat du XVIIIe, Emmanuel Macron a tenu à rassurer les forces de l'ordre. À coup d'enveloppe de 10 millions d'euros pour une "indemnité spécifique" aux policiers travaillant la nuit, le chef de l'État a rodé son discours sécuritaire.

"On a beaucoup parlé ces derniers jours de la sécurité du quotidien. (...) Là, ce que je viens d'évoquer, c'est en quelque sorte le quotidien de la sécurité de celles et ceux qui la font, et l'un ne marche pas sans l'autre", a-t-il déclaré.

Ce clin d'œil à l'électorat de centre-droit, qui s'élargit et exprime un besoin de protection de plus en plus aigu, n'est pas le premier de ce gouvernement. Dès sa nomination à Matignon, Jean Castex a annoncé la couleur: "Mes valeurs, c'est la responsabilité, la laïcité, l'autorité: ce sont celles de la République", posait-il le 3 juillet.

Le choix de remplacer Christophe Castaner par Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur s'inscrit dans cette logique. Il s'agit, pour la macronie, de priver Les Républicains du peu d'oxygène qu'il leur reste en investissant copieusement le domaine régalien, à la fois diffus et connoté politiquement.

Les mots qui clivent

L'objectif, maintes fois évoqué depuis plus d'un an, est simple: éviter de terminer comme Lionel Jospin en 2002, au-delà même de son élimination dès le premier tour de l'élection présidentielle. Crédité d'un bon bilan économique (largement tributaire de la croissance mondiale de l'époque), le Premier ministre socialiste s'est trouvé dépassé par le climat d'insécurité qui régnait alors. Et auquel Jacques Chirac, aidé de Nicolas Sarkozy, a su habilement répondre aux yeux d'une partie des Français.

Deux décennies ont passé. Les problématiques n'ont pas fondamentalement changé. D'où le besoin, pour Emmanuel Macron, de s'en montrer conscient et, surtout, d'apporter des solutions d'ici à 2022. Au niveau du verbe, le décor est planté. En atteste l'interview musclée accordée par Gérald Darmanin au Figaro vendredi, dans laquelle il fustige sans détour "la radicalité islamiste". Il y indique par ailleurs qu'il faut "stopper l’ensauvagement d’une partie de la société".

Au sein de La République en marche, le terme est loin de faire l'unanimité. Il charrie son lot de références, pour beaucoup issues de la droite réactionnaire, pour d'autres provenant de la gauche. Ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement qualifiait en 1998 les mineurs délinquants de "sauvageons".

"Je n'aime pas le mot 'ensauvagement'. Ce n'est pas un problème de sauvages, mais d'éducation: on ne sait plus ce qu'est le respect républicain. Les jeunes s'en moquent de plus en plus. Il faut remettre de la gravité dans les actions", juge la députée LaREM Sophie Errante, elle-même ex-socialiste.

"Ça a été dit tellement de fois..."

L'élue de Loire-Atlantique le rappelle, si le chef de l'État est allé soutenir les forces de l'ordre à Paris, c'est aussi en réaction aux propos tenus à leur égard par le maire écologiste de Colombes. Le 19 juillet, Patrick Chaimovitch les a comparées aux gendarmes de Vichy durant la Collaboration. De quoi susciter l'indignation de l'ensemble de la classe politique et inciter Gérald Darmanin à porter plainte.

"Il y a un réel besoin de sécurité, pas besoin de faire une grande enquête pour le voir", observe un sénateur centriste. "Aller voir les types de la Bac Nuit, c'est le minimum que Macron puisse faire. Mais il faut qu'il y ait autre chose que des mots. Gérald qui cavale dans tous les coins, qui dit qu'il va leur donner des moyens, ça a été dit tellement de fois..."

Le spectre Jospin

En filigrane, cet élu pointe du doigt le risque, plus dangereux encore, d'accentuer la désillusion des Français en attente de protection. Selon un proche du président de la République, tout dépend de la capacité de ce dernier à pérenniser sa nouvelle équation gouvernementale.

"C'était quoi la force derrière la 'dream team' de Jospin? Il avait Strauss-Kahn, le banquier libéral; Aubry, la socialiste un peu casse-couilles; et Chevènement qui s'occupait des 'sauvageons'. Jospin marchait sur trois jambes, selon une mécanique très bien huilée. Pourquoi est-ce que ça s'est cassé la gueule? Parce que Chevènement s'est barré", décrypte ce parlementaire, ancien du PS.

En effet, à moins de deux ans de la présidentielle de 2002, le tonitruant maire de Belfort a claqué la porte de la place Beauvau après un désaccord avec son Premier ministre sur le dossier corse. Il s'est ensuite porté candidat à la magistrature suprême. Même si son score s'est avéré très décevant (5,33%), il a joué un rôle considérable dans la déchéance de Lionel Jospin.

Tandem Darmanin-Dupond

De ce point de vue, le changement de ministre de l'Intérieur à la faveur du remaniement s'imposait à Emmanuel Macron. Devenu impopulaire auprès des forces de l'ordre, Christophe Castaner n'était plus en mesure de porter un message sécuritaire ayant suffisamment d'écho au sein de l'électorat de centre-droit. Celui-là même que le chef de l'État souhaite fidéliser.

"Casta, le régalien, ce n'était pas dans sa culture. Alors que Darmanin, ça va être compliqué de le choper sur sa droite", ajoute le macroniste cité plus haut.

L'intéressé l'a illustré une fois de plus ce mardi à l'Assemblée nationale, où il a été sommé de réagir aux propos du maire de Colombes et à la récente série de faits divers violents. "Entre un policier et quelqu'un qui a commis des méfaits contraires aux lois, nous choisirons toujours le policier", a déclaré Gérald Darmanin. Sa ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, s'est mise au diapason.

Et quid de leur homologue à la Chancellerie? S'identifiant plutôt à une gauche "droit-de-l'hommiste", Eric Dupond-Moretti forme un tandem inhabituel avec le maire de Tourcoing, ancien poulain de Nicolas Sarkozy. Certains chez LaREM voient néanmoins en lui l'équivalent de ce qu'a pu être Bernard Tapie pour le PS et François Mitterrand au début des années 90. Un redoutable bretteur "populo mais pas populiste", qui ira se frotter aux caciques du Rassemblement national.

"Vous mettez 'EDM' devant n'importe quel débatteur, il l'explose. Il va mettre du beurre dans les épinards durant ses 600 jours place Vendôme, faire de la petite justice du quotidien, gagner des arbitrages budgétaires, et à partir de janvier 2022 on va l'envoyer désosser la droite et l'extrême droite. Il peut être un grand porte-voix de Macron durant la campagne présidentielle", prédit un député LaREM.

Du "sous-Sarko"?

Encore faut-il que la route ne soit pas trop embouteillée. "Si on compte tous les candidats de la galaxie, entre la mère Le Pen, Dupond-Aignan, une droite entre 10 et 15%, un socialiste, un écolo, les amis des chiens, les amis des chats... Le mec peut finir en string à 18%. Et là c'est terminé", prévient un cacique centriste.

Un trop-plein de candidats ayant obtenu les 500 parrainages - ils étaient 16 en 2002, un record - pourrait obérer les chances d'Emmanuel Macron d'être réélu. Ou, a minima, générerait un risque de dispersion des voix. Cela explique la volonté de LaREM de dépasser sa seule structure et d'englober des formations alliées, telles qu'Agir ou le MoDem. Ce qui est loin d'être fait.

"Soit Macron est un peu finaud et ouvre LaREM, soit il se jospinise. Les derniers sondages qui le placent à 26-28%, c'est une blague. Je le vois plutôt à 22-23 à tout casser. Il peut se chiraquiser et passer ric-rac à 20%, mais il ne faut pas qu'il y ait trop de monde dans les starting blocks", poursuit cette source.

Chez LR, toujours en quête de champion, on feint de ne pas craindre l'offensive régalienne du chef de l'État. "Il fait du sous-Sarko", balaie un cadre du parti, qui poursuit:

"Ça ne nous pose pas de problème tant que ça reste au stade de la parole. Ce sera plus embêtant pour nous s'il y a des actes derrière... Mais il ne leur reste que 18 mois! De toute façon il faut attendre les chiffres de la délinquance. Pas ceux de 2020, qui ont été biaisés par le confinement, mais ceux de 2021. Ce seront les derniers du quinquennat", évoque-t-il, avant d'ajouter: "Là, on saura tout de suite."

Article original publié sur BFMTV.com