Édouard Philippe lance son parti au Havre, dans quel but?

Edouard Philippe lors d'une conférence à Lille le 31 août 2021. (Photo: Sylvain Lefevre via Getty Images)
Edouard Philippe lors d'une conférence à Lille le 31 août 2021. (Photo: Sylvain Lefevre via Getty Images)

POLITIQUE - Il s’est toujours dit “loyal” au président. Mais loyal ne signifie pas muet, encore moins inactif. C’est en tout cas la vision d’Édouard Philippe qui, loin d’adhérer au parti du président déjà existant LREM va fonder son propre parti ce samedi 9 octobre au Havre, la ville dont il est le maire. À six mois de l’élection présidentielle, l’initiative fait grincer des dents au sein de la majorité.

Surtout que les Philippistes n’entendent jouer ni les figurants ni les faire-valoir de ceux qui sont encore aux manettes. “Ce n’est pas un mouvement, ce n’est pas une association, ce n’est pas un think-tank, c’est un parti”, prévient d’emblée l’entourage de l’ancien Premier ministre, sans rien dévoiler du nom qui sera annoncé samedi au Carré des Docks du Havre, inauguré par lui-même en 2016.

“On assume”, poursuivent-ils, quelques jours avant ce grand raout où environ 3000 militants sont attendus. On assume quoi? De faire de l’ombre au président de la République en exercice? De faire peser ses idées en vue de la prochaine élection présidentielle? De préparer 2027? Un peu des trois, sans doute.

On fait de la politique, nous avons vocation à parler de tous les sujets et à dire ce que nous pensons."Entourage d'Édouard Philippe.

L’initiative n’est pas chaudement accueillie par les Marcheurs historiques qui s’interrogent sur ses ambitions réelles. L’interview à Challenges le 30 septembre a été mal vécue dans les hautes sphères du pouvoir. Alors que la réflexion sur la réforme des retraites qui tendait déjà la relation Macron-Philippe quand ce dernier était à Matignon est toujours en cours à l’Élysée, l’ex défend publiquement un report de l’âge légal à 67 ans. Un pavé dans la mare immédiatement recadré par les pontes de la majorité, jusqu’à son successeur à Matignon, Jean Castex.

″Édouard Philippe a rendu service à Emmanuel Macron avec cette interview, en disant ‘je soutiens le président mais je pense qu’il faudra réformer les retraites’. Ça élargit le spectre de la majorité”, démine d’emblée un maire proche d’Édouard Philippe. C’est ce sur quoi misent les groupes de la majorité qui seront tous représentés au Havre (Agir, le MoDem et LREM): qu’Édouard Philippe puisse attirer en son sein des élus des droites afin de poursuivre le dépassement des clivages et continuer à détruire un peu plus LR.

Mais il ne faudrait pas que l’initiative aille jusqu’à embêter le président lui-même et prendre trop de place dans la future assemblée. La liberté de ton d’Édouard Philippe pourrait venir parasiter celle d’Emmanuel Macron en pleine campagne présidentielle qui est loin d’être gagnée. “On fait de la politique, nous avons vocation à parler de tous les sujets et à dire ce que nous pensons”, annonce-t-on ouvertement dans l’entourage du maire du Havre, conquérant.

Castaner au Havre pour symboliser “la maison commune”

Une quinzaine d’élus En Marche sera présente au lancement officiel du parti, comme Marie Guevenoux ou Aurore Bergé, anciennes juppéistes. Pour ce qui concerne les marcheurs historiques, une délégation de députés, emmenés par le président du groupe LREM, Christophe Castaner a finalement été envoyée. Il ne s’agit pas de “snober” un parti qui pourrait rejoindre la maison commune du président si elle voit le jour et encore moins d’afficher une exaspération ou des divisions au grand jour.

La vidéo envoyée par le maire du Havre au campus de rentrée de LREM à Avignon avait déjà crispé en interne. Edouard Philippe ne s’est pas rendu à l’événement début octobre et il a appelé les Marcheurs à venir le soutenir au lancement de son parti le 9 octobre. “Il est train de draguer mes collègues pour savoir qui vient au Havre, tempêtait un pilier du groupe LREM, peu avant cette initiative. On ne braconne pas entre les groupes, cette règle a été violée à de nombreuses reprises, mais quand même!”. “Au fond de lui-même, Philippe considère que nous sommes une parenthèse et que c’est lui qui la refermera”, ajoute encore ce parlementaire, plaintif, qui craint plus que tout la guerre ouverte à la succession d’Emmanuel Macron en 2022 alors que s’il est réélu, Emmanuel Macron ne pourra pas exercer de troisième mandat.

Du côté de l’exécutif où l’on n’est pas directement menacé par l’offensive Philippe qui vise à ce stade un groupe parlementaire, on relativise à haute voix. “Si Philippe n’avait pas dit ‘vous êtes les bienvenus au Havre’ qu’est-ce qu’on n’aurait pas dit!”, relativise un conseiller de l’exécutif, peu inquiet par l’initiative. “Si Édouard Philippe avait d’autres intentions (que d’accompagner la majorité, NDLR), je ne doute pas que les poids lourds de droite du gouvernement fassent du Havre une citadelle assiégée. Attention, Bruno Le Maire et Darmanin, ce sont des squales”, ironise un proche d’Emmanuel Macron, oubliant de mentionner que Gérald Darmanin est un ami d’Édouard Philippe.

Avec une popularité au zénith et un passé de Premier ministre qui le rend d’emblée présidentiable, Edouard Philippe sait qu’il a un coup à jouer. Lors du dernier volet du documentaire Edouard mon pote de droite qui lui est consacré, il n’avait pas répondu à la dernière question: “Veux-tu être président de la République”. Mais en attendant une opportunité, le maire de droite soigne son image, ses réseaux et ses idées. C’est toute l’idée de ce parti qui lui permettra d’avoir un appareil pour servir ses ambitions, à n’importe quel moment.

En façade, la loyauté au président de la République est revendiquée et répétée, l’envie de former un groupe après les législatives de 2022, elle, de moins en moins cachée. “Notre projet, ça n’a jamais été de diviser, mais de parler aux gens de droite modérée qui se sentent orphelins. L’idée ça reste de soutenir le Président de la République, tout en créant un groupe dans le but de peser après 2022, dans un contexte où le pays se droitise”, résume un membre du premier cercle qui sera présent samedi au grand discours de Philippe. “Notre intuition, c’est que la présidentielle n’est pas gagnée, et qu’une bonne partie des électeurs de centre gauche de 2017 feront défaut à Macron. D’où l’utilité d’aller chercher la droite modérée”. Sur le papier, ça fonctionne. En coulisses, les coups sont souvent plus tordus.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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