"Ça va se finir en stage Netflix": pour les élèves de seconde, la dure quête du stage du mois de juin

"Pour mon fils, c'est une punition. Il m'a dit: 'Je ne vais pas encore faire un stage dans un domaine qui ne m'intéresse pas'", confie à BFMTV.com Magali dont l'adolescent, en classe de seconde, souhaiterait s'orienter dans l'animation 3D. Mais l'année dernière déjà pour son stage de 3e, il avait essuyé de nombreux refus. Et avait finalement effectué son stage, sans grand enthousiasme, dans la banque où travaille son père.

"Quand on a compris que boum, rebelote, il y aurait encore un stage en seconde, on s'est tout de suite tourné vers le service national universel (SNU)", continue Magali, qui réside à Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Une démarche que la famille a effectuée avant même que les informations officielles ne soient communiquées. Mais pas par choix.

"On s'est douté qu'on allait encore nous répondre que non, un stage de deux semaines dans l'animation 3D ne serait pas possible, que les dates ne convenaient pas, qu'ils ne prenaient pas de mineurs."

"On s'est rabattu sur le SNU à défaut d'autre chose."

À la fin du mois de septembre 2023, Gabriel Attal, qui était alors ministre de l'Éducation nationale, a annoncé que les quelque 560.000 élèves de seconde effectueraient un stage d'observation de deux semaines -en entreprise, dans une association ou un service public- et ce dès le mois de juin suivant. Soit du 17 aux 28 juin 2024. Objectifs: améliorer la politique d'orientation de la France et reconquérir le mois de juin.

Mais les modalités d'application de ce stage ou encore les catégories d'élèves qui en seraient dispensées -en l'occurence ceux qui participeraient à un séjour cohésion ou une mission d'intérêt général du SNU ou encore une mobilité européenne et internationale- n'ont été précisées que bien plus tard.

CV, lettre de motivation et entretien

Faute d'éléments à transmettre aux familles, nombre de chefs d'établissement n'ont pu se saisir du sujet, ni même informer les élèves. Il aura fallu attendre le deuxième trimestre, nous racontaient-ils. "Les choses se sont déclenchées tardivement", déplore pour BFMTV.com Yann Massina, proviseur à Chartres (Eure-et-Loir) et représentant du Sgen-CFDT.

Afin d'accompagner les élèves dans leur recherche, le gouvernement a mis en place la plateforme 1 jeune 1 solution. Le ministère de l'Économie a ainsi annoncé 200.000 offres de stages lors du lancement de l'opération. Un dispositif qui a notamment permis à la fille d'Hubert de trouver son stage.

L'adolescente, scolarisée dans un lycée parisien, a déjà une idée très claire de son futur métier: orthodontiste. Elle souhaite donc effectuer son stage dans le cabinet d'un orthodontiste. Si ses démarches ont été couronnées de succès, elle s'y est prise dès le mois de janvier.

"Elle a envoyé beaucoup de candidatures et reçu beaucoup de refus", raconte le père de la lycéenne à BFMTV.com. "Elle a rédigé un CV, écrit une lettre de motivation et a même été reçue lors d'un entretien. Tout ça pour un stage de seconde." La jeune fille vient tout juste de recevoir une réponse positive.

Si la fille d'Hubert a réussi à trouver son stage via la plateforme 1 jeune 1 solution, celle-ci serait sous-dimensionnée quant aux besoins des étalissements. "L'offre est famélique", juge pour BFMTV.com Grégoire Ensel, le président de la FCPE, la première fédération de parents d'élèves.

Un constat que partage Laurent Le Drezen, proviseur à Hyères (Var) et commissaire paritaire national pour la CFDT éducation. "La plateforme 1 jeune 1 solution s'avère dans beaucoup de territoires un fiasco total", abonde-t-il pour BFMTV.com.

"Ça va se finir en stage Netflix"

À Chartres, dans la commune du proviseur Yann Massina qui compte cinq lycées, seules six offres de stage étaient disponibles au 21 mai. Conséquence: sur ses 400 élèves de seconde, une centaine effectueront un stage, 70 participeront à un séjour SNU. Les 200 autres élèves se trouvent donc, pour l'heure, sans solution.

"S'il n'y a pas de proposition de stage, on ne peut pas en inventer", se désole pour BFMTV.com Florent Martin, proviseur à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) et secrétaire académique du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN). Ce chef d'établissement se dit par ailleurs navré de ne pas avoir pu davantage aider ses élèves.

"Nous n'avons aucune ressource supplémentaire pour accompagner nos élèves dans leur recherche, aucun personnel alors que nous sommes en pleine organisation des épreuves du baccalauréat, avec la surveillance, la correction et la préparation de la prochaine rentrée."

Dans bien des familles, les stages ont ainsi été décrochés hors plateforme. C'est le cas de la fille de Jeanne. La lycéenne effectuera ainsi sa première semaine auprès d'une amie céramiste et la seconde auprès d'une cousine gastro-entérologue. "On a eu beaucoup de chance grâce à notre réseau personnel", reconnaît Jeanne pour BFMTV.com.

Un écart de traitement entre les élèves, c'est exactement ce que craignait Grégoire Ensel, de la FCPE. "Le résultat, c'est des inégalités sociales et territoriales renforcées", s'inquiète-t-il. "On avait prévenu dès le début que ce stage, ce serait la prime aux familles qui ont du réseau."

"Pour les autres, ça va se finir en stage Netflix à domicile et on ne pourra pas les blâmer."

Et si ce stage est obligatoire, "il n'est pas question de pénaliser dans leur parcours les élèves qui n'auraient pas trouvé de lieu de stage", pévient le proviseur Florent Martin. Le ministère de l'Éducation nationale assure par ailleurs à BFMTV.com que la réalisation de ce stage ne conditionne pas le passage en classe supérieure.

"C'est de l'amateurisme"

Quelle exploitation pour ce stage? Aucune. "Les élèves nous demandent si ce stage sera noté, mais aucune évaluation n'est prévue", précise Florent Martin, du SNPDEN. Le ministère indique ainsi que le rapport de stage "n'est pas obligatoire". Cependant, "les lycéens pourront partager un retour d'expérience en début d'année scolaire en classe de première", ajoute-t-il.

"Quand? Sur des heures de cours? Lesquelles?", s'interroge Grégoire Ensel, le représentant des parents d'élèves. Interrogé sur ce point, le ministère répond que la séquence d'observation donnera lieu à une exploitation pédagogique qui "permettra aux élèves d'échanger ensemble sur leur expérience, les savoirs et savoir-être développés en entreprise et d'expliquer en quoi la séquence d'observation a contribué à conforter ou à faire évoluer leur choix d'orientation, projet de poursuite d'études ou aspirations professionnelles".

"On court déjà après le temps au lycée. Le ministère improvise. Ça n'a pas de sens", regrette Grégoire Ensel. Même désaveu du côté de Sylvie Perron, proviseure et secrétaire nationale de la CFDT éducation.

"Un stage qui n'est pas exploité ne sert à rien", pointe-t-elle pour BFMTV.com.

Le proviseur Laurent Le Drezen, de la CFDT éducation, déplore que ce projet n'ait pas été piloté par les académies. "On nous a laissés nous débrouiller tout seuls." Un manque d'investissement au détriment des élèves, dénonce encore Sylvie Perron. "En filière professionnel, les enseignants se rendent sur place et vérifient le bon déroulement du stage de leurs élèves. Comment vérifier que les lieux de stage sont sécurisés et sécurisants pour les élèves?"

"On ne va quand même pas envoyer nos élèves mineurs dans des endroits qu'on n'a pas contrôlés? C'est de l'amateurisme."

La Rue de Grenelle indique à BFMTV.com que le suivi des élèves sera effectué par un professeur "qui n'est pas nécessairement le professeur principal de la classe", plus précisément un enseignant non mobilisé par les épreuves du bac.

"Il est déçu, résigné même"

Selon les estimations du SNPDEN , 15 à 20% des élèves auraient aujourd'hui une solution pour le mois de juin. Le ministère indique à BFMTV.com ne pas avoir de données sur le sujet. La situation serait d'autant plus compliquée dans les territoires isolés, les zones rurales, les quartiers populaires ou défavorisés. "Il y a des zones où le tissu économique n'est pas assez dense et ne peut pas absorber une telle quantité de stagiaires", poursuit le proviseur Florent Martin.

Sans compter que les élèves de seconde entrent en compétition avec les élèves des formations professionnelles, en stage durant la même période. "Quand vous mettez sur le marché du travail cinq ou six classes de seconde, à 35 élèves, en même temps que ceux des BEP ou des Bac pro, ça créé forcément de la concurrence", pointe Sylvie Perron, de la CFDT éducation.

Pour les élèves qui n'auraient pas trouvé de stage, les établissements sont tenus de les accueillir. "Accueillir des élèves, ce n'est pas faire de la garderie", met en garde Sylvie Perron. Une annonce "illusoire" et "impossible", met en garde le proviseur Laurent Le Drezen. "Je sais d'avance que nous n'aurons pas de personnel disponible. Les lycées ne seront pas en mesure de proposer quoi que ce soit."

C'est le cas pour le fils de Cassandra qui a finit par renoncer. Pourtant le lycéen est très intéressé par les neurosciences et aimerait en faire son métier. "Il a contacté des centres de recherches, des hôpitaux mais ça n'a pas marché", se désole-t-elle pour BFMTV.com. Nombre de ses demandes sont même restées sans réponse.

"Le but, avec ce stage, c'était de se rapprocher de son projet professionnel, de voir si c'était vraiment ça qu'il voulait faire. Il était très optimiste au début, content de la perspective de ce stage."

"Mais là, voyant que l'échéance approche, il est déçu, résigné même."

Un très mauvais message, déplore encore Grégoire Ensel, de la FCPE. "Cela créé un sentiment d'abandon à tous les étages et envoie un signal négatif aux jeunes censés se projeter dans des études supérieures et un avenir professionnel."

Article original publié sur BFMTV.com